Partie 2 (2)

— ...et bien entendu personne n'en saura rien...

Je plisse les yeux, un marteau frappant violemment dans ma tête. Mes oreilles papillonnent, percevant les échanges dans la salle à côté :

— Cela ne se reproduira plus, Majesté...

— Vous avez de la chance qu'il n'y ait pas de témoins ! Sinon vos têtes décoreraient déjà la balustrade de mon balcon !

— Majesté... Un gnome a été aperçu sur les lieux...

Je me redresse brusquement de la chaise sur laquelle j'étais affalé et me précipite derrière la porte pour épier la suite de la conversation :

— Et alors ? Tuez-le et tout rentrera dans l'ordre.

Je reste tétanisé : mourir ? Mais je n'ai rien fait ! La porte s'ouvre brutalement et je me retrouve nez à nez avec un de mes ravisseurs. Il m'attrape par l'épaule et me tire dans le bureau où il se tenait, un poignard sous ma gorge. En face de moi, d'autres comme lui me regardent de leurs yeux froids et indifférents. Je vais donc décéder ainsi ? Assis contre son dossier, le prince referme impassiblement un coffre d'airain. Lorsqu'il pose son regard sur moi, je vois un de ses sourcils se lever, apparemment d'amusement. Il ricane vicieusement et demande à ses larbins d'assassins de se retirer. Celui qui me tenait le couteau sous la gorge semble déçu et je lui lance une grimace pour l'énerver. Sous sa capuche, je perçois ses yeux vriller de haine et sa bouche se crisper sous le bâillon. Enfin, cette bande de joyeux drilles disparait.

— Ne te crois pas sortir d'affaire, le gnome.

Je me tourne vers mon maître. Il est assis dans son fauteuil luxueux et vide une fiole dans sa bouche sans me lâcher de son regard glacial.

— Je suppose que j'ai mis le nez dans vos affaires alors que je ne devais pas, Majesté ?

Il s'essuie la bouche et continue de me scruter, comme s'il voulait m'analyser. Au fond de moi je sais qu'il parvient à lire dans mes pensées : mes membres frémissent à cette idée. Il va savoir tout ce que je pense sur sa race de dégénérés et mon insubordination face à toute la servitude dans laquelle coulent les miens. Non, il faut que j'arrête de penser. J'en dis déjà trop.

— Nous ne sommes pas dégénérés, rétorque-t-il tranquillement, juste un peu excessifs dans certains domaines... Tu es un gnome étrange, « Binou ». Tout ton être se révolte contre cet esclavage alors que tes imbéciles de confrères suivent bêtement nos ordres. Malheureusement, Binou, tu es allé trop loin et je ne peux pas te renvoyer ainsi dans ta chambre, tu comprends ?

— Alors que voulez-vous faire de moi ?

Si je lui demande sans peur, j'appréhende grandement sa réponse : si ce n'est pas en ma faveur, je risque fortement de me paralyser de crainte et souiller mon pantalon.

— Pour tout te dire, j'en n'ai aucune idée. J'ignore pourquoi mais je n'ai pas envie de te tuer : il faut croire que le Destin te réserve encore quelques années devant toi.

— Ah... Et qui était l'arathors ? Que faisait-il là ?

Le prince tord sa bouche dans un étrange rictus carnassier :

— Tu n'essaies même pas de faire oublier ton apparition incongrue dans mes affaires ?

— Vous vouliez le manger et revendre ses cornes après avoir tanné sa peau ?

— Disons... Qu'il faisait partie d'un commerce que j'ai développé. Il arrive que la marchandise soit stockée dans des pièces secrètes du palais mais c'est bien la première fois qu'une d'entre elles s'échappe...

— Cela vous rapporte beaucoup, vos trafics ?

— C'est un de mes revenus mais j'ai d'autres sources.

— Mais vous faites quoi de tout cet or ?

— Cela dépend, vois-tu, les Fëalocen sont une famille guerrière et la guerre... cela demande beaucoup d'argent si l'on veut avoir des armées efficaces.

— Et avec les guerres que vous remportez, vous devenez encore plus riches ! Ma parole, vous êtes pire que les nains !

— Je suis plus riches que tous les royaumes nains réunis, Binou. Enfin, trêve de plaisanteries. Tu m'amuses mais ce n'est pas une raison pour que je te laisse la vie.

— Hein ?!

— Eh bien oui, je vais devoir te tuer, tu en sais trop. Qui me dit que tu n'es pas un sale mouchard laissé par mes ennemis ?

Il se lève et s'approche de moi en faisant claquer sa langue : la situation dégénère gravement pour moi. Je n'ai guère envie de finir dans le ventre d'un prince elfe.

— Je ne suis pas un espion, démentis-je alors qu'il est à un pas de moi, vous pouvez lire dans mes pensées... Par contre je peux vous servir d'espion : comme vous le voyez, je parviens toujours à démasquer les embrouilles... Je suis toujours au courant de tout, rien ne m'échappe et personne ne se doutera d'un pauvre gnome comme moi.

Le fils d'Elaglar hausse un sourcil en fronçant l'autre : apparemment, il est habitué à faire cette tête quand il réfléchit... ou quand il désapprouve. Finalement, il sort encore son horrible ricanement sadique et m'attrape violemment le poignet. Je pousse un cri en sentant une étrange brûlure sur ma peau. Elle se répand dans un crépitement insolite, accompagnée d'une sympathique odeur de viande brulée. La douleur est telle que des larmes dévalent sur mes joues basanées. Lorsque que ce taré me lâche enfin, je suis comme marqué par un étrange tatouage.

— Proposition acceptée, Binou. Mais vois-tu, je n'aime pas que l'on se moque de moi... Alors, si tu me trahis, je n'aurais qu'à formuler une simple pensée dans mon esprit pour te tuer. J'aurai pu avoir recours à un anneau de domination mais je ne suis pas enclin à ces rituels. Évite de dévoiler à tes petits amis ce qui s'est passé ici, cette nuit : je me ferais un plaisir de boire ton sang.

— Vraiment ?

— Évidement, ça ne sera pas la première fois, haha !

Je déglutis malgré moi. Une chose est certaine : ce prince est complètement perché ! Je me demande si toute cette histoire d'espionnage est une bonne idée... Mon cerveau tourne à toute allure et je conclus ceci : voilà le moyen rêvé pour me démarquer de tous les autres membres de ma race. Il y aura certes des risques avec ce suceur de sang psychopathe mais ce n'est pas comme si j'avais le choix.

Je prends congé et regagne discrètement ma chambre. La fin de la nuit risque d'être chargée en réflexion.

Malheureusement, pour moi, en voulant regagner mes « appartements » je heurte la grande sérénissime Dame Lina. Pourquoi cette cruche doit-elle se lever si tôt ?

— Binarvivox ! s'égosille-t-elle, je t'avais pourtant signalé clairement que personne ne devait sortir de ses appartements la nuit ! Ne me dis pas que tu étais dans les pièces elfiques !

— Non, madame...

— Petit menteur ! Si tu aimes tant te balader, tu iras nettoyer la cendre des cheminées ! Vu leur nombre tu en as pour la semaine ! Oust, je ne veux plus te voir !

Piteusement, je rentre dans ma chambre pour me préparer : la truie commence à être un peu trop désagréable à mon goût : y a sûrement moyen de l'éliminer...


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