Partie 2 (1)
Voilà une semaine que je suis dans ce palais. Oui une semaine et pour tout dire, je ne connais toujours pas la demeure du prince Fëalocen. Je passe mon temps dans les couloirs adjacents à porter toutes sortes de choses inutiles dans des bureaux ou sur des tables à manger. À part ces lieux, je ne connais rien. Mais du peu que j'ai vu, je me rends compte que toutes les légendes sur la richesse de Morgal étaient vraies : il ne doit plus savoir quoi en faire de tout cet or ! Je ne l'ai plus revu depuis notre première rencontre mais je le trouve amusant et je crois que c'est réciproque : il y a moyen de creuser tout ça pour améliorer ma condition pour l'instant misérable. Heureusement, je me suis fait quelques amis : le cuisinier dont j'ignore le nom est sympathique et permet que je me serve dans les réserves. Il y a aussi Tampë et Maril, deux gnomes qui sont chargés d'arranger les chambres. Tous deux sont amusants et ne rapporteront rien à la grande « Dame Lina ». Tampë a un sacré caractère et il est préférable de ne pas le contredire si on ne veut pas se retrouver par terre avec un coquard. Pour Maril, c'est différent : bien qu'il soutienne son ami dans toutes les situations, il n'en viendra pas aux mains et préfèrera rouler un potentiel adversaire. Je crois qu'on se ressemble pas mal tous les deux, moi qui ne suis pas du genre à me retrouver dans une bagarre mais plutôt dans les fourberies.
Malheureusement, je ne peux les voir que lorsque mon service est fini, ce qui me fait très peu de temps libres. Pourtant, cette nuit, nous avons tous trois décidé de nous aventurer dans le palais, pas dans nos vieux couloirs obscurs mais dans les appartements luxueux afin d'avoir un rapide aperçu du tout. C'est vrai quoi ! On a le droit de visiter, non ? En plus, cette nuit, rien n'est organisé chez les elfes : ils seront dans leurs chambres et nous n'avons aucun risque d'en croiser. Bien sûr, il y a les gardes mais ce sera d'autant plus amusant de les éviter !
Je remonte les escaliers jusqu'à ma chambre alors que le soleil se couche derrière l'horizon de la mer. Là, mes deux compagnons m'attendent et pour passer le temps, ont décidé de fouiller mes affaires.
— Désolé, lancé-je, je n'ai rien de palpitant avec moi.
— Dommage, soupire Maril en s'asseyant sur le parquet noirci, j'aurai rêvé découvrir un secret sur toi !
— Quel secret ? Nous sommes tous dans le même pétrin avec une vie aussi insipide qu'un débat entre deux moutons.
Maril hoche la tête avec fatalisme. Son visage est extrêmement expressif du fait de sa grande bouche aux lèvres fines et ses longs yeux noirs. Ses cheveux courts sont violets contrairement à ceux de Tampë qui virent au rouge.
— Et si nous croisons Lina ? demande-t-il, elle serait capable de nous réduire en pièces.
— Eh bien, déclare Tampë, nous la ligotons dans un placard et procédons à un marché !
— Je suis d'accord avec Tampë ! ajouté-je, on y va, le but du jeu étant de ne pas se faire remarquer !
Avec mes amis nous sortons de la chambre et filons dans le couloir sans faire de bruit, prenant soin de ne pas faire craquer le parquet. En y pensant, j'ai vraiment l'impression d'être un gamin. C'est clair : je cherche les problèmes mais vaut mieux en avoir plutôt que de se morfondre. Je m'imagine alors pris par la garde et emmené face au prince pour entendre la terrible sentence.
Au-dessus de nous, sur les toits, les démons nocturnes recommencent leurs danses. Je ne sais toujours pas qui ils sont et apparemment, aucun gnome n'est plus au courant que moi. Ils sont tout simplement habitués. D'ailleurs, en passant devant les portes des chambres, je remarque que la plupart de mes collègues ne dorment pas. Il s'agit de ne pas se faire remarquer.
Nous descendons l'escalier et prenons une porte interdite qui donne sur le hall principal du palais.
Quelques lustres et candélabres sont restés allumés pour éclairer faiblement l'immense escalier de marbre. Un épais tapis le recouvre et je réalise que ce serait plus confortable que je dorme dessus plutôt que dans ma vieille paillasse. Aux murs, entre deux statues ou moulures alambiquées, nous distinguons d'imposants tableaux. Nous parvenons aux pieds des marches, éblouis par ce spectacle grandiose : au-dessus de nos têtes, le dôme de verre se perd dans les hauteurs. C'est tout simplement magnifique. Abasourdis par tant de beauté, nous montons au premier étage, les yeux égarés dans cet étalage de richesse.
Nous nous plaquons discrètement derrière des lourds rideaux : des elfes passent devant nous mais ne nous remarquent pas ; ce ne sont pas des soldats, juste des invités qui disparaissent dans leurs chambres. Alors que nous reprenons notre visite des lieux, je suis brusquement attiré par une lumière sur une mezzanine. Sans prévenir mes amis, je m'éclipse et avance lentement vers la porte d'où s'échappe cette faible clarté. Je la pousse doucement, sans la faire grincer, et me retrouve dans un salon confortable. Mes yeux tombent soudainement sur la chevelure verte de Visève... Visève ?! Mais que fait elle ici ? Elle ne m'a pas remarqué et fouille dans un secrétaire. Mais alors... Serait-ce une espionne ? Elle sort un papier et le déchiffre à la lumière d'une bougie.
— Alors comme ça, on n'est pas couché ?
Elle sursaute au son de ma voix et referme brusquement le tiroir, le papier dans le dos.
— Binar... Binarvavox, bégaie-t-elle, je ne t'avais pas vu venir... Que fais-tu ici ?
— Pour commencer, c'est Binarvivox. Et ensuite je te retourne la question parce que moi je ne fouille pas les bureaux du prince. Tu es une espionne ?
Elle se précipite vers moi et m'attrape nerveusement les épaules :
— Je t'en supplie Binar... Je t'en supplie ne dis rien à personne de ce que tu as vu ! Sinon ils me tueront !
— Ah oui ? Qui ça, dis-moi ?
— Mais tous ! Les elfes !
— Qui t'envoie ?
— Falarön, le frère de Morgal. Il m'a envoyé pour espionner son frère mais si je suis découverte, l'un comme l'autre me tuera !
— Bien ! Je ne veux pas t'attrister Visève mais je ne fais rien gratuitement...
— Je ferai ce que tu voudras !
Intéressant... Bon, on oublie les faveurs sexuelles, parce qu'elle est moche.
— Mmh... Tu ne peux rien m'apporter, du moins pour l'instant. Dès que j'aurais besoin de toi, je te ferai signe et tu as intérêt à y répondre si tu ne veux pas voir ton petit secret découvert.
— Oui Binivavox.
— Et n'essaie plus de dire mon nom, tu l'écorches encore plus !
Elle n'attend pas une seconde pour s'enfuir par une porte cachée. Je soupire et m'assois dans un fauteuil, chose strictement interdite par la Grande Charte Suprême du Règlement. Quelle vie quand même !
Soudain, des pas retentissent bruyamment dans les couloirs et je devine les voix de soldats. D'un bon, je me précipite hors du salon et percute violemment un garde :
— Qu'est-ce qu'il fait là, ce gnome, râle-t-il.
Me voyant déjà pendre au bout d'une corde, je m'enfuis dans l'aile droite du palais et me perds dans les couloirs : cette demeure est un vrai labyrinthe du fait de sa superficie gigantesque. Je me retourne et remarque que personne ne me suit. Les aurai-je semés ? Était-ce moi qu'ils cherchaient ? Mes amis ? Je n'en sais rien mais me voilà égaré dans un endroit hostile : qui sait ce que le prince fait de ses nuits...
Je m'avance lentement dans le sombre couloir silencieux, craignant me retrouver face à un démon d'un autre monde. Finalement, je décide d'entrer dans une pièce. Visiblement, il doit s'agir d'un atelier de dessin. Je m'y glisse et attends quelques minutes dans l'obscurité pour m'assurer que personne ne vienne. Je m'avance alors dans la salle, voulant éviter de reprendre le couloir. Peut-être pourrais-je passer par l'extérieur : je sais que des jardins aériens surplombent certaines parties du palais.
J'observe les toiles qui dorment sur des chevalets et des tables à dessin. J'ignorais que cette demeure accueillait des artistes. Je n'ose m'y attarder longtemps : toutes ces œuvres me font frissonner tellement elles reflètent la véracité de certaines situations tragiques. Décidemment, la culture elfique n'est vraiment pas pour moi. Sûrement les conséquences des guerres raciales qui sévissent...
Brusquement, une ombre se meut dans un recoin. Je ne peux m'empêcher de pousser un cri. Je ne parviens pas à me ressaisir et mes membres tremblent fébrilement : j'en ai plus qu'assez de cet endroit maudit !
Finalement, je décide de m'approcher vers la silhouette. L'individu est recroquevillé sur lui-même et je crois qu'il a encore plus peur de moi. En regardant de plus près je m'aperçois que ce n'est pas un gnome comme sa petite taille le laisserait paraitre. Non, c'est un arathors : deux longues cornes sortent de son crâne et son apparence me fait penser à celle d'un chevreau. Il est blessé : du sang coule abondamment de son cou poilu et ça me dégoute ! Je recule, une grimace sur le visage. Et je hurle lorsque je me sens soulevé violemment. On m'enlève ! Je suis emporté par des individus masqués. L'un d'entre eux me lance un sort et sans pouvoir y résister, je sombre dans un profond sommeil...
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