Partie 19

Me voilà sur pieds ! Trois semaines ont passé. Je suis désormais guéri. Ma vie de domestique et d'espion va devoir reprendre malgré moi. Hélas... Mais comme j'ai apporté des informations apparemment importantes depuis ma dernière mission, j'ai pris de la valeur.

Cependant, je ne sais toujours pas ce qu'est le Var-Nar-Bal...

Dehors, le jour se couche. Je m'empresse de m'habiller et apporte le plateau au bureau de mon maître après être passé par les cuisines.

Je pousse la porte du coude et pénètre dans la vaste pièce. Mon maître est absent. Seule Narlera anime ce tableau, lisant un conte épique.

— Binou ! s'exclame-t-elle en m'apercevant, tu es guéri !

— Vous saviez que j'étais malade ?

— Oui, c'est Morgal qui me l'a dit. Il s'est fait du souci, tu sais.

Haha, mais bien sûr.

— Où est-il ?

— Sur un balcon, avec son papa, je crois.

Je la remercie et décide de partir à la recherche du psychopathe. À chaque fois que je verrai Narlera, en tout cas, je repenserai à mon aventure avec les ours. Rien que de m'en rappeler, ça me fout la frousse.

Discrètement, je parviens aux jardins suspendus. Cet endroit est magnifique, regorgeant de végétation et de vie. Les oiseaux mélancoliques chantent dans les branches, couvrant le mugissement des vagues. Les sentiers sont recouverts de toits végétales d'où pendent des roses et toutes autres sortes de fleurs, malgré la saison. Enfin, j'aperçois le Roi en Blanc et me cache derrière une haie bien taillée. Silencieux, il attend. Son fils ne tarde pas à se manifester, toujours vêtu de ses cuirs sombres.

— Vous m'avez appelé, père.

— En effet, mon fils.

Il marque un temps. Ainsi dressés, on pourrait penser qu'ils sont frères, tellement les traces du temps sont invisibles sur leur corps.

— J'ai reçu un message d'Arminassë, finit par dire Elaglar.

Morgal se pince les lèvres, laissant son paternel continuer :

— Une ambassade est organisée. Luinil veut régler les problèmes pacifiquement.

Le fils ne répond pas. Elaglar le fixe un moment avant de replonger son regard dans l'horizon qui s'étend sous leurs yeux.

— Je veux que tu t'y rendes.

Morgal reste statique, seules ses mains se crispent sur la balustrade :

— Pourquoi moi et pas un autre ?

— Parce que tu es différent. Je ne te demande pas d'assister simplement à des réunions inutiles qui ne feront rien avancer. Je te demande d'agir. Et d'agir pour notre peuple !

— Et comment ça ?

Le Roi en Blanc se tourne vers lui. Sa couronne blanche luit faiblement sur sa chevelure immaculée :

— Je veux les plans de guerre astraux, articule-t-il fermement en baissant d'un ton, les autres races ne présentent pas une trop forte menace pour nous. Mais les astres d'Arminassë... Ils seraient capables de nous détruire.

Je vois d'ici la mâchoire de mon maître se contracter :

— Vous vous servez de moi, murmure-t-il, vous vous servez de mon handicap pour mener à bien vos plans. Vous l'avez toujours fait !

— Bien sûr, admet le monarque, affirmer le contraire serait mentir... Mais il serait idiot d'ignorer tes capacités, mon cher fils.

— Des capacités qui vous révulsent, lâche-t-il, vous me demandez d'exterminer vos ennemis sur les champs de bataille ou dans leur propre foyer. Mais vous ne manquez aucune occasion pour me montrer à quel point je vous dégoûte. Mon comportement vous fait horreur mais vous n'avez aucun remord à l'utiliser !

— Tu prends un plaisir malsain à tuer et à faire souffrir, mon fils. Bien sûr que cela fait de toi un homme effrayant. Ta facilité à manipuler et à détruire font de toi une arme plus qu'intéressante.

— Alors c'est cela ? Je ne suis qu'une arme à vos yeux ?

— À cette heure, oui. Tu es l'arme qui va délivrer notre royaume de cette guerre en le menant à la victoire. Tu es l'arme qui doit évincer l'ennemi.

Morgal ricane nerveusement :

— Quel beau parleur vous faites, père. Je suis un manipulateur ? Les chiens n'enfantent pas les chats à ce que je vois !

Elaglar ne bronche pas : son visage reste impassible, de glace. Il sait qu'il aura le dernier mot. Et contrairement à ce que je pensais, Morgal n'est pas inatteignable.

— Tu as plongé dans le mal, fils. Désormais, soit tu assumes soit tu décides de changer en abandonnant toutes tes vieilles habitudes. Malheureusement pour toi, ton état psychologique t'empêche de devenir un homme meilleur. N'est-ce pas affligeant ? Haha, non Morgal pour rien au monde tu ne voudrais laisser tes envies sanguinaires : elles ont fait de toi ce que tu es désormais. Soit l'un des hommes les plus puissants du Cosmos. Alors oui, je te demande d'accomplir cette mission car elle est parfaite pour toi.

Son fils frissonne : il voudrait sans doute haïr son père mais il sait que tous ses dires sont véridiques

— Vous êtes prêt à me sacrifier.

— Mais en plusieurs millénaires, tu es toujours revenu gagnant. Jamais tu ne m'as déçu, mon fils, et demain tu partiras abattre une nouvelle cible.

— Une nouvelle cible ? Le vol de documents secrets ne suffit donc pas ?

— Non, ce ne serait pas à toi que je m'adresserais sinon. Non, aujourd'hui le Faucheur devra couper une nouvelle tête : celle de la Reine Vierge !

Je suis estomaqué : tuer la reine d'Arminassë ? La reine infaillible ? Cela me semble impossible. Et pourtant, face à Morgal, elle n'a aucune chance. Si Arquen l'apprend, leur amitié se brisera définitivement.

Je me retire, me répétant que toutes ces histoires politiques ne me regardent pas. Et pourtant... on parle tout de même de la mort du monarque le plus vieux de la dimension. Luinil est un pilier sur lequel notre monde s'est construit. L'éliminer provoquerait la fin d'un âge.




Je n'ai pas réussi à me concentrer durant mes exercices d'espionnage, la tête chamboulée. Désormais, je suis sur la terrasse du palais et je regarde mon maître faire ses préparatifs du départ.
Sur son épaule, Alacamor n'est pas plus gros qu'une chauve-souris. Je ne savais pas que les dragons pouvaient changer de taille...

Elaglar murmure quelques paroles à l'oreille de son fils puis recule afin de laisser la monture prendre sa véritable ampleur. Arquen lui adresse un signe de la main. Pour réponse, Morgal lui sourit.

Narlera se précipite vers son tuteur et cale sa petite tête contre son plastron noir :

— Vous reviendrez, n'est-ce pas ?

— Comme toujours, petite, assure-t-il pas très à l'aise devant tant d'affection.

Il lui ébouriffe les cheveux et part enfourcher son dragon. Autour de la selle, des bagages ont été fixés : il voyagera seul puisque la reine d'Arminassë a exigé un seul ambassadeur par race.
Alacamor pousse un hurlement et se jette dans le vide. En trois battements d'ailes, le voilà déjà loin, Morgal sur son dos. Ils voleront ainsi vers le Sud pour atteindre Arminassë.

Je suis un peu triste de le voir partir. Je vais peut-être m'ennuyer sans lui... Je regarde Arquen qui se détache du panorama. A-t-il deviné le complot qui se trame autour de sa reine bien aimée ?
Je ne crois pas honnêtement.

Mais avec le maître en Fanyarë, les espions vont pouvoir souffler. Ce qui n'est pas le cas des domestiques. Même si Morgal revient dans plus d'un mois, nous avons du travail sur la planche.

Zut, voilà Bradh qui m'appelle. Je n'ai d'autres choix que de me résigner.

— Oui monsieur ?

— Binarvivox ! Maintenant que vous êtes rétabli, j'aimerais vous poser deux, trois questions.

Ennuis en vue !

— Je vous écoute...

— Tout d'abord, je veux savoir où est-ce que vous disparaissez la nuit ?

Haha. Je te le dis si tu veux mais je serais forcé de te tuer par la suite ! Comme je ne réponds pas, il s'impatiente et me tire à l'écart :

— Bon, je comprends. Vous ne voulez admettre que vous voyez une maîtresse la nuit ?

Si ce n'était que ça !

— Non, je suis célibataire. Comme la totalité des gnomes ici, d'ailleurs.

— Ah oui ? Alors comment m'expliquez-vous que la servante Püpe s'absente elle aussi, toutes les nuits ?

Ah... j'apprends quelque chose, là.

— Je l'ignorais, monsieur. Je vous le jure.

C'est vrai : en général, je vois Püpe dans la journée et cela reste l'affaire d'une heure tout au plus. Mais la nuit, j'ai mes entraînements et lorsque ce n'est pas le cas, j'en profite pour dormir en toute tranquillité.

— Ne me prenez pas pour un imbécile, murmure le majordome, je sais que vous entretenez une liaison avec la bonne de chambre. Cela serait suffisant pour vous renvoyer, vous savez ?

On dirait d'ailleurs qu'il s'agit de son désir le plus cher !

— De plus, continue-t-il, Bhaurisse vous a surpris plus d'une fois dans vos fornications.

L'idée de me faire espionner par un lapin surtout pendant ces moments intimes me rend perplexe.

— Votre lapin vous parle, maintenant ?

— Ce n'est pas un lapin banal... Mais qu'importe ! Binarvivox, je vous soupçonne de traîner dans des trafics louches. Rien que votre visage arbore la malice dont vous êtes responsable. D'ailleurs, j'irai parler à Püpe et la prévenir de vos intentions !

Ça y est ! Je suis perdu !

— Heu... Je n'ai pas compris... nom d'une dent de harpie ! Vous tournez autour de Püpe, vous aussi ?!

Il me scrute en fronçant les sourcils. Eh oui, vieux ! Je ne suis pas devenu un espion pour rien ! Il semble agacer que j'aie découvert son petit penchant pour la petite qui partage de si bons moments avec moi. Pas de bol, je ne m'appelle pas Morgal et je ne prête pas mes femmes.

— Non mais je vous comprends, ajouté-je pernicieusement, Püpe a un sacré physique qui rend dingue. C'est vrai que coucher avec elle a de quoi marquer surtout lorsqu'elle...

Je me prends une rouste et tombe sur le tapis. Bon, je crois que je l'ai méritée, celle-là. Mais regarder Bradh fulminer à ce point m'a réussi la journée.

— Vous n'êtes qu'une ordure, Binarvivox. Vous paierez un jour pour vos méfaits.

Sur ce, il se retire la tête haute, son lapin derrière lui. Cette bestiole continue de m'effrayer.
Conclusion : je m'opposerai toujours à mes majordomes. Espérons que celui-ci ne me renvoie pas avant le retour de Morgal...

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