Partie 14
Nous rejoignons enfin les Falaises Sanglantes. Qui aurait cru que cette cité puisse autant me manquer ? Devant moi, Püpe grogne de douleur : les dents du loup lui ont entaillé l'épaule et les cuisses. Le reste, c'est surtout des vêtements arrachés. Je lui ai prêté ma cape pour qu'elle puisse se couvrir car la pluie tombe plutôt fort. Quel bon samaritain je fais !
En tout cas, je suis désormais considéré comme un héros : j'ai occis courageusement un loup monstrueux et possédé ! Je crois bien que mes amis vont d'autant plus me respecter désormais.
Et je compte bien éclaircir mon jugement sur Morgal. J'irai faire un petit tour dans ses appartements une fois arrivé.
Nous dépassons les portes du palais et laissons nos montures dans la cour Gnomique. Ce poney ne mérite pas la moindre ration d'avoine : je me suis déplacé une vertèbre à cause de lui ! Je remonte donc les escaliers pour déposer ma sacoche et pars d'un bon pas vers les appartements princiers. Les couloirs principaux sont vides, désertés à cause de la bataille. J'ignore où est Arquen dans cette histoire. Peut-être est-il sur l'Île des Sirènes en " bonne compagnie ".
Je m'arrête devant la lourde porte et inspire profondément : il ne faut pas oublier que ces lieux sont hantés. Je rentre donc dans la pièce, regardant avec une certaine anxiété le tableau imposant et démoniaque. Première chose, je fouille dans les bureaux et les armoires d'ébène. Rien. Je pense que jamais Morgal n'aurait laissé traîner des informations importantes sur son identité, ainsi à la portée de tous. Et le passage secret ? Non, il n'y a rien à en tirer à part la statue du Dieu Suprême. Je m'avance vers sa chambre et m'assois sur le lit, près de la table de nuit. Je saisis le tiroir et retrouve son carnet de dessins. Intéressant...
— Tu fais quoi ?
Je sursaute : Püpe se tient juste à côté de moi. Elle a rabattu ma capeline sur ses épaules et fixe le petit livret de croquis.
— Je cherche des informations sur le prince.
— Très bien. Je me joins à toi.
— Heu... si tu trouves quelque chose pourquoi pas.
Elle s'assoit sur la droite et ensemble, on feuillette les pages. Rien de très probant. Mais faut admettre que Morgal est vraiment doué. Je suis toujours estomaqué par le réalisme des scènes qu'il retranscrit. Nous nous arrêtons sur un dessin : il représente un homme enchainé aux membres et au cou. Son visage basculant vers l'avant, il est impossible de discerner clairement de qui il s'agit. Les cheveux du prisonnier cachent ses traits. Mais il se dégage de ce dessin une certaine force, une angoisse indescriptible. Il ne s'agit pas d'une inspiration soudaine. Morgal savait pertinemment ce qu'il représentait. Et il m'est d'avis que cet homme incarne bien plus qu'un simple prisonnier. Peut-être lui-même. Un bandeau recouvre ses yeux, l'empêchant de voir. Mais plus encore, on a l'impression que le masque est confondu dans la peau de manière à ce qu'il soit impossible de le retirer sans arracher le visage.
— On raconte que pour obtenir le Vala Interdit que contient un Réceptacle, il suffit de lui arracher les yeux et de lui extraire une larme, assure Püpe nonchalamment.
Je déduis alors :
— Le bandeau est donc fixé au Réceptacle pour lui empêcher de perdre la moindre larme.
Je pense sincèrement que Morgal est un Réceptacle : trop de preuves le confirment. Je ne sais pas de quelle race il est le gardien du Vala mais je tiens bien à dévoiler ses secrets dès son retour. Cela est très excitant : j'ai atterri dans le palais d'un Réceptacle. C'est une race extrêmement rare. D'ailleurs, on ne sait quasiment rien d'eux, mis à part qu'ils sont très peu et qu'ils possèdent un Vala propre bien plus développé afin de garder le Vala Interdit.
Püpe soupire et se renverse sur le matelas :
— On dit aussi que les Réceptacles sont toujours tourmentés par des Démons. Mais personne ne l'explique.
Les Démons ne m'ont jamais quitté, Binou. Mon maitre est donc victime de sa nature. Partout où il va, il croise ce genre de créatures. En attendant, il est à la guerre en train de tailler dans du bifteck.
Mon regard glisse sur les couvertures : pourquoi me coucher dans ma vieille paillasse alors que ce superbe lit est à disposition ? Ni une ni deux, je retire mes chaussures et m'allonge de tout mon long avec un oreiller dans les bras. la couche de Morgal est parfaite pour ma deuxième activité préférée.
Bonne nuit les loulous, moi je dors.
Je trouve que Püpe prend un peu de place. Hop, je la pousse du haut du lit et elle se mange le tapis. Bon débarras !
Ah, mais c'est un divin.
Enfin, c'était le cas, avant de me prendre un oreiller en pleine poire.
Attention, je suis imbattable en bataille de polochons ! Je me redresse sur les genoux et contrattaque. J'ai peut-être subi un échec mais je n'ai pas perdu la guerre ! J'empoigne un traversin et l'abat avec moult violence sur le crâne de l'adversaire. Loin d'en rester là, je réitère ma parade et cette fois-ci, balaie son visage de traitre.
Mais l'ennemi saisit mon arme de destruction massive et me l'arrache des mains, ripostant par un lancé de coussin qui me foudroie sur le côté gauche. Il ne reste plus qu'un oreiller sur le lit. Je m'y précipite avant elle, et la plaquant sous moi, je l'étouffe avec mon coussin.
Ainsi périt l'ennemi, écrasé sous le polochon impitoyable.
Püpe me tape sur les poignets, signe de capitulation.
Je lui renvoie mon sourire de vainqueur et elle semble terriblement vexée. Les batailles de polochons, ça ne rigole pas avec moi !
Profitant de sa position sous moi, elle m'embrasse et enroule ses jambes autour de ma taille. Aussitôt, son corps me fait le même effet que le diamant avec le Nain Gax. Mon intelligence sur développée a quitté son domicile et je me retrouve aussi réfléchi qu'une courgette.
Je pense que si jamais Morgal nous voyait ainsi sur son lit, il partirait dans une terrible colère et nous dévorerait cru, sans autre forme de procès.
Mais en attendant, il est à la guerre en train d'augmenter son palmarès de victimes. Et je ne crois pas qu'il se batte avec un traversin.
— Tu penses à quoi ? Me demande t'elle en déboutonnant ma chemise.
Heu... je ne sais pas : à un champ de bataille dont tous les guerriers auraient des oreillers pour seules armes ?
En tout cas, moi je sais à quoi elle pense : elle me fixe avec envie comme si elle voulait me manger, elle aussi ; ses yeux brillent de désir et elle se déleste rapidement de ses vêtements.
Bon, j'avoue que de mon côté, j'ai pas envie du tout. Je suis pas prêt, merde ! Je ne contrôle absolument pas la situation. En plus de cela, c'est bien la première fois que je me retrouve avec une fille nue qui en plus de cela, est loin d'être laide.
Bah, c'est trop tard de toute manière, mon pantalon à disparu malencontreusement.
Ma tête doit être hilarante à voir : un mélange entre une pivoine et un constipé horriblement gêné. Mais après tout, Püpe ne regarde pas mon visage, trop occupée ailleurs.
Bon, ce n'est pas le moment de se faire souiller ! Il faut prendre les choses en main en commençant par ses charmants attributs féminins.
Ça semble la calmer et elle se met à haleter en trépignant.
En y pensant sérieusement, je suis vraiment l'ami le plus détestable : lorsque Clark apprendra ce qui s'est passé, il m'ignorera jusqu'à la fin de sa vie.
Bon, oublions ces désagréments et concentrons-nous sur des sujets hautement plus intéressants. Comme le fait de s'envoyer en l'air... Mais si elle continue à gesticuler dans tous les sens, je ne vais pas y arriver. Je lui plaque les épaules pour l'immobiliser et m'impose dans son intimité. Drôle de sensation... Je commence à jouir mais je sors des propos totalement incohérents. Et elle ce n'est pas mieux, elle gémit mon nom comme si elle était droguée. Mais j'avoue plutôt apprécier la chose même si elle m'en demande toujours plus. Je commence à avoir du mal à respirer normalement alors que nous faisons l'amour. Püpe me renverse sur le dos et chevauche vigoureusement mon bassin. Ça y est, je suis au septième ciel et je compte bien ne pas m'en arrêter là.
Désormais, je n'espère qu'une chose, c'est que mon maitre ne se rende compte de rien : je suis tout de même en train de culbuter la bonne de chambre dans son propre lit. Pourvu qu'il ne s'en aperçoive pas en revenant parce que sinon cela risque de ne pas être amusant du tout !
Avec tous ces grands seigneurs partis en guerre, nous voilà en vacances. Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque je me réveille.
Que diable vais je bien pouvoir faire aujourd'hui ?
Deux options : ou je continue à dormir, ou je trouve une fourberie contre ceux que je n'aime pas comme Borël.
Je me lève donc du lit princier et me rhabille en réfléchissant à un programme.
C'était sans compter les courbatures qui m'empêchent de marché convenablement. Tant pis, c'est le prix à payer de mes ébats interdits.
Püpe s'étire dans le lit en poussant un petit couinement. Sa longue chevelure blonde dévale en cascade jusqu'à à ses cuisses. Elle ressemble à une fée.
Une fée qui se révèle être une vraie tigresse au lit. Je vous assure, elle m'a griffé le dos, cette petite sauvage.
— Peut-être que le prince mourra pendant cette bataille, dit-elle, à ce moment je tiens à conserver son lit : il est plutôt confortable.
Je ne te le fais pas dire. Mais l'idée que Morgal y laisse la vie ne m'a même pas effleuré l'esprit. Je pense que la guerre est son élément et il s'y sent comme un poisson dans l'eau. Ce sont ses ennemis qui doivent craindre pour leur vie.
Je rejoins Püpe sur le lit et l'embrasse une dernière fois avant de sortir de la chambre.
— On se revoit ce soir, lui intimé-je à l'oreille.
— Tu peux compter sur moi, Binou.
Je sors donc des appartements en repensant à ma nuit. Si ça continue, je vais finir par tomber amoureux de cette petite trainée. Et là, ce sera le début de la fin...
Dans les souterrains secrets, les Espions vaquent à leurs occupations. Certains s'entraînent, d'autres finalisent leur mission au-dessus d'une table.
Arquen est toujours absent...
Je remonte donc vers ma chambre, espérant trouver Clark et m'expliquer avec lui. Il ne repartira pas des Falaises Sanglantes avant le retour de son maitre, parti aussi à la guerre. C'est d'ailleurs le cas de la plupart des Gnomes.
Me voilà sur le pallier et après une longue inspiration, je pousse la porte.
Et je me retrouve nez à nez avec Borël et sa fine équipe. Oups ils ne sont pas là pour prendre le thé.
Avant de pouvoir faire le moindre geste, je suis précipité contre le parquet moisi de ma chambre. Le choc est violent et je suis aussitôt relevé par un gros Gnome qui me plaque contre le mur, renversant une chaise au passage.
— Alors le petit merdeux, me crache le chef de la bande, tu t'es laissé surprendre on dirait !
— Mmh... et vous vous m'attendez depuis combien de temps ? Trois heures ? Quatre heures ?
— T'en fais pas, rétorque un Gnome aux cheveux verts et à l'allure de spectre, on ne va pas s'ennuyer ensemble.
Tous le groupe ricane : il y a quelque chose de drôle ?
— Attachez - le à la chaise, ordonne Borël d'un ton impétueux.
— Je ne veux pas casser votre délire, mais vous êtes tous ridicules. Non mais sérieusement, vous vous prenez pour...
Je n'ai pas le temps de finir qu'aussitôt le gros Gnome me décroche son poing dans la mâchoire. Je crache du sang.
Ils s'empressent de me ligoter les mains derrière le dossier de la chaise et m'attache les pieds aux barreaux.
Niveau résistance, Arquen a de quoi s'arracher la tignasse. En même temps, ils sont six.
— Je vais te saigner comme un porc, grince Borël en sortant un couteau de sa ceinture, tu ne sais pas à quel point j'en rêve depuis que tu m'as lancé ces assiettes.
— Tu l'avais cherché, connard !
Je me prends un deuxième coup et mon nez pisse le sang. Mes mèches noires tombent en désordre sur mon front. Le Gnome m'empoigne l'épaule et commence à m'entailler la peau du cou.
Je pousse un cri, je n'ai jamais été torturé et la peur s'empare de moi.
Qu'est-ce qui lui prend ? Il pense être un Fëalocen ?
Borël ouvre ma chemise et fait descendre la lame jusqu'au ventre. Mon corps entier tremble sous la douleur, c'est horrible, je n'ai jamais eu aussi mal. Je me retiens d'hurler, me trouvant déjà assez humilié comme ça. Les autres Gnomes sourient sadiquement devant mon supplice.
Enfin, Borël retire le couteau de ma chair non sans arroser ma chemise beige. Je crois que je vais m'évanouir ; je tourne de l'œil et mes blessures palpitent.
— Et si je te tranchais les oreilles ? Susurre mon tortionnaire, je te les ferai porter en collier, haha.
Mais il est totalement barge ! Pas mes oreilles ! Je tente de me dégager de mes liens mais les autres me maintiennent fermement. Mon cœur accélère dans ma poitrine, sur le point d'exploser.
— Et après, continue Borël en ajustant la lame, je te couperai le nez, puis les doigts, les bijoux de famille, les pieds et les dents.
Ça commence à faire beaucoup là... Je ferme les yeux comme pour me protéger de la douleur.
Mais la porte claque brutalement derrière nous :
— Qu'est-ce que c'est que cette mascarade, tonne une voix, vous allez immédiatement lâcher cet homme.
Je tourne la tête et entrevois un Gnome inconnu. Un lourd pardessus bleu marine recouvre ces larges épaules, lui donnant un aspect théâtral.
— T'es qui ? Crache le gros Gnome.
— Je suis Bradh, le nouveau majordome, et je ne tolérerai pas qu'une bande de charognes de votre espèce s'en prenne à un Gnome tenu sous ma responsabilité !
Wah ! Mon sauveur tient son métier à coeur on dirait. Mais les Gnomes d'Haïront s'en moquent :
— Tu vas vite dégager, menace Borël, ou tu finiras comme cette enflure !
— C'est toi l'enflure ! Je riposte immédiatement.
Je suis aussitôt calmé par un autre coup dans les côtes.
— Tant pis pour vous, conclut Bradh, je vous avais prévenu... Bhaurisse attaque !
Aussitôt, une boule de poils jaillit de derrière son maitre et foudroie Borël en pleine face. Le Gnome s'affale par terre, le visage en sang. L'animal sanguinaire se redresse pour s'en prendre au reste de la bande. Les cris résonnent dans ma chambre et tous mes agresseurs s'échappent par la porte, leurs vêtements arrachés.
Je me retrouve seul avec le majordome et son animal de combat qui est un... Un lapin ? Sérieusement ? La bestiole se campe fièrement derrière son maitre, un bout de pantalon dans les dents. Je remarque qu'un gros collier à piques encerclent son cou. Ça rigole pas les lapins...
— Puis je vous être utile monsieur ?
— Oui, rester accrocher à une chaise ne fait pas partie de mes activités préférées.
Il s'empresse de me détacher. J'en profite pour le détailler. Il est plutôt grand pour un Gnome. Ses cheveux châtains sont parfaitement coiffés et son visage est bien marqué.
Me voilà libre ! À peine levé, Püpe apparaît par la porte et se précipite sur moi.
— Mais que t'ont-ils fait, gémit-elle, comment te sens-tu ?
Oulah, trop d'émotions pour moi. Pour l'instant, j'ai surtout un mal de chien.
— Asseyez-vous, propose Bradh, nous allons vous soigner.
Je me pose sur le lit pendant que mon sauveur trempe un torchon dans de l'eau claire. Püpe me caresse les cheveux et les joues en me murmurant plein de paroles inutiles.
Heureusement pour moi, mon agresseur n'a pas enfoncé la lame trop profondément. Ce ne sont que des blessures artificielles.
En tout cas, je jure sur les Dieux des Abysses que je me vengerai de Borël et sa bande. Je pourrais demander des idées à Morgal ; je suis sûre que ça fourmille dans sa tête détraquée.
Bradh approche le chiffon mouillé et tamponne les plaies en essayant de ne pas trop appuyer. Je ne sais pas pourquoi, mais je le préfère à Dame Lina.
À nos pieds, Bhaurisse regarde la scène d'un œil attentif. Ce lapin me fait peur.
Enfin, le majordome finit son travail et prend place sur ma chaise, en face de moi.
— Ce palais me paraît bien turbulant, affirme-t-il, je compte bien changer cela.
— Oh, vous savez, répliqué-je, vous êtes aux Falaises Sanglantes, rien a de sens ici.
— J'y mettrai de l'ordre.
— Vous ne pouvez pas mettre de l'ordre dans les affaires du prince Morgal. Il est fou et son comportement déteint sur nous tous.
— Et bien, je planifierai un entretien avec lui pour régler ça.
Püpe et moi nous regardons et explosons de rire :
— Un rendez-vous avec Morgal ? Continué je sans m'arrêter, il méprise notre race. Il ne prend pas le temps pour ce genre de choses. Trop occupé à assassiner ses innombrables ennemis.
— Il n'y a pas de règlement ?
Je hausse les épaules :
— Personne ne le respecte de toute façon.
— Ça changera avec moi, décrète-t-il avec assurance.
Sur ce, il se lève et quitte la chambre, suivi de son lapin diabolique.
— C'est la fin des vacances pour nous on dirait, murmuré-je.
— Ce n'est pas lui qui va changer la vie aux Falaises Sanglantes, assure Püpe.
— Toi peut-être ?
— Peut-être...
Elle me prend le visage et m'embrasse langoureusement.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top