Partie 12

Je pénètre dans une loge par une petite porte dérobée. Là, du haut du balcon intérieur, je reste estomaqué par le chatoiement des couleurs vives. De magnifiques robes parsemées de diamants voltigent au son des valses effrénées.

Tous les visages sont recouverts de masques, toutes les coiffures resplendissent de fleurs et de perles. C'est époustouflant. Les passes des danseurs s'enchaînent avec une telle aisance que l'on croirait qu'ils ne font qu'un dans cet univers surnaturel.

La pièce est uniquement éclairée par les bougies des lustres et des candélabres, renvoyant une note chaleureuse et mystérieuse à l'ensemble.

D'autres membres de la cour conversent sur le côté, près de buffets ou dans de confortables fauteuils.

Les boissons et les mets surabondent. Cet étalage de richesse ne peut que me rendre admiratif. Je suis forcé de reconnaitre que cette race possède un raffinement sans nom.

Les femmes comme les hommes resplendissent dans leurs tenues de bal. J'ai l'impression de rêver.

Je retrouve des Fëalocen dans l'assemblée. Et bien sûr, Leüca et Selnar sont bien présents. Je m'avance sur le balcon intérieur qui tourne autour de l'immense salle. Une douce senteur parfumée me grise agréablement.

Je me calle contre une colonne et regarde la scène, tentant de déceler des détails intéressants.
Arquen aurait en tout cas adoré être là avec toutes ces jolies filles.

Tiens, voilà le couple malsain qui s'approche des tables. Falarön, même sous son masque inspire la peur. Quant à Sylvia, elle rit joyeusement, mêlée à un groupe de femmes. J'aperçois les autres frères comme Arlin et sa femme qui semblent se relayer pour soigner un de leur mioche qui se sent mal. Macar, le frère très engagé dans l'armée, a gardé son uniforme d'apparat. C'est bien la première fois que j'en vois un.

Enfin, le roi Elaglar apparaît au bras de sa douce épouse, la reine Hirilnim. Ils s'entretiennent avec d'autres monarques, comme quoi, la politique ça n'arrête jamais. Après quelques paroles, le Roi en Blanc prend délicatement la main d'une princesse et l'entraîne dans la valse.

Sa maîtresse ? Ça m'étonnerait grandement. Elaglar ne trahit jamais ses devoirs et ses engagements. Cela doit être une manière d'incorporer une nouvelle femme à la cour : danser avec le roi.

Je la scrute du haut de mon balcon, bien caché derrière la lourde balustrade. Le diadème blanc qu'elle porte doit faire référence à son royaume d'origine : Elendor. Je remarque son chignon compliqué ou s'insèrent des broches de toutes sortes.

Le roi la fait tourner avec grâce et lorsque les musiciens arrivent au paroxysme de la mélodie, la chose la plus aberrante se produit :

La princesse sort un fin couteau de son chignon et en l'espace d'une seconde, poignarde violemment le roi. Elaglar pousse un cri de douleur, plié en avant. Déjà le sang macule son vêtement blanc, telles des pétales de roses éparpillées sur sa poitrine. La femme recommence son geste et renfonce le poignard dans le ventre du monarque. Je recule, horrifié : ça pisse le sang de partout. La musique s'est arrêtée même si ses échos résonnent lugubrement en moi.

La princesse sort une dague d'un pli de robe et s'apprête à dévisager le roi lorsque le poignet régicide est brusquement sectionné. Elle pousse un hurlement de douleur. Mais ce fut bref car Macar lui tranche définitivement la tête d'un geste précis.

Aussitôt, certains convives dégainent leurs épées et se lancent dans la foule, traquant les Fëalocen. Les autres s'enfuient pour éviter un massacre certain. Macar s'affale à son tour sur le sol, un carreau d'arbalète dans le mollet et dans le dos. Des arbalètes ? En face de moi, de l'autre côté du balcon, j'aperçois des meurtriers qui continuent à tirer. Enfin ça c'était avant que les espions de Morgal leur tranchent la gorge par derrière.

Les dalles sont désormais recouvertes de sang. Des hommes s'affrontent violemment dans des hurlements de rage et se douleur. Les Fëalocen sont en sous nombre mais heureusement pour eux, ils ne manquent pas de dextérité.

Aïe ! Saucarya, le maître de Schlips, bascule derrière une table et se mange violemment le marbre. Il n'avait pas qu'à avoir une coupe de cheveux pareille ! Haïront tente de rejoindre son père qui agonise contre le mur mais ne peut traverser la muraille de soldats. Cependant, les espions rejoignent la fosse pour rééquilibrer le combat. Une lumière vive éclate sous moi : de la magie.

Comme un signal donné, toute la salle s'illumine sous les sorts. Un vacarme sans nom où se mêlent cris, plaintes et froissement de chair. Je n'ai jamais assisté à une telle horreur.

Brusquement, la magie s'arrête. Toute la salle retombe dans le silence. Les portes, au fond, sont grandes ouvertes sur la silhouette de Morgal. Il s'avance lentement, ses pas trempant dans le sang qui s'écoule des cadavres. Il s'avance vers un et unique homme : Leüca. Celui-ci, arme au poing dévisage mon maître avec haine. Sa face est recouverte du sang de ses victimes mais cela n'effraie pas le fils d'Elaglar.

— Pour quelle raison les seigneurs d'Elendor se liguent-ils pour assassiner ma famille dans mes propres murs ?! tonne-t-il d'une voix presque surnaturelle, vous ne méritez qu'un seul châtiment !

Tous les elfes dans la salle sont figés, épouvantés par la présence du célèbre guerrier, le Faucheur de Calca.

Il fixe toujours plus son ennemi et finalement, il lâche :

— Vous ne méritez que la mort.

Aussitôt, une fumée noire s'évapore de son corps et glisse jusqu'au traitre. Leüca recule, horrifié. Elle se fixe à sa peau, telle une horrible sangsue. Un sourire diabolique fleurit sur le visage de Morgal et ses yeux scintillent d'un plaisir abominable : des incantations sortent de sa bouche, touchant immédiatement la victime.

Leüca tombe à genoux ; du sang dégouline de ses orbites et de ses lèvres. Et puis il s'écroule dans un déchirement de chair et d'os. Car en effet, il semblerait que ses os se soient arrachés de ses muscles et se brisent entre eux, lacérant sa peau. En quelques secondes, il ne reste plus qu'une masse informe de chair, mêlée à des vêtements sombres. On ne peut même plus discerner les membres et la tête, rien qu'une plaie ouverte.

Et c'est Morgal l'auteur de ce carnage. Durant toute la décomposition, il n'a pas scié, son sourire abominable sur les lèvres.

Du sang finit de se répandre alors que mon maître rejoint son père.

— Morgal, murmure le roi, n'enlève pas ce cou...

Trop tard. Il lui arrache la lame du ventre, lui faisant cracher du sang.

— Je suis conscient que ça accentue l'hémorragie, dit-il simplement, mais ce couteau est empoisonné.

Puis, d'un geste, il relève Elaglar. Le roi grimace mais il a peut-être connu pire.
Tous les assassins se sont rendus. Bon, au moins le coup d'état a échoué. Même si chacun est profondément choqué par la mort de Leüca. Certes il méritait de mourir mais pas de cette manière !

Morgal semble apprécier son effet morbide sur la cour et après avoir laissé son père aux bons soins de ses frères il tourne les talons, sortant royalement de la pièce. Le message n'est on ne peut plus clair : il est et reste l'unique maître dans ce palais. Tous s'inclinent de respect et d'effroi à son passage. Finalement, il disparait derrière les lourds battants de la porte pour s'engager dans les ténèbres de ses appartements.

Elaglar le perce une dernière fois de son regard perçant. Oulah ! Quelque chose me dit qu'ils vont avoir une petite conversation tous les deux et que le fiston va sentir le savon passer ! Peu lui importe de toute manière, Morgal est inatteignable.

Je me retourne vers les meurtriers qui sont désormais encadrés par la garde du palais. Heureusement, aucun monarque n'a été impliqué dans cette affaire, cela aurait été légèrement plus problématique pour un procès. Mais faut admettre que condamner un baron ou un marquis, ce n'est pas sans conséquence.

Bon et puis je m'en moque après tout, ce ne sont pas mes affaires.

Du haut de mon balcon, j'aperçois déjà une floppée de gnomes qui ramasse les cadavres et les recouvre de draps blancs. Je vais gentiment partir d'ici. Pas question de jouer le croque-mort.

À ce propos, je dois rejoindre Arquen pour une "séance d'apprentissage". Je bifurque donc vers les escaliers pour rejoindre le caveau d'entraînement.

Là, je trouve mon chef en pleine conversation avec un espion. Ce dernier doit lui raconter les événements de cette charmante soirée. En même temps, un bal chez Morgal ne pouvait pas se terminer dans l'allégresse.

Je remarque certains elfes blessés. Je me demande si quelqu'un en dehors de ces caves connaissent leur existence. Je ne pense pas. Arquen finit par renvoyer l'espion.

— Pas d'entraînement cette nuit, Binou, décrète-t-il vers moi, j'ai trop de soucis à gérer avec cet attentat. Je dois m'assurer qu'aucun complice ne s'est enfui.

Je hoche la tête mais je n'ai rien d'autre à faire que de le suivre. Il ne me remarque pas et regagne ses appartements. Chic ! Je vais enfin découvrir son petit chez lui.

Je monte quelques marches et pénètre dans une large pièce cernée de fenêtres. On se croirait en haut d'un phare avec une vue magnifique sur la mer déchaînée. Pourtant, nous ne sommes absolument pas dans les hauts donjons du palais. Je pense qu'il s'agit plutôt d'une tourelle jouxtée à même la falaise. L'intérieur demeure très chaleureux : on y trouve une large bibliothèque, des buffets - bien remplis je suppose - des coffres en bois de chêne et une armada de bougies. Son lit à baldaquin trône au centre de la pièce, face à une table servant de bureau.

J'y remarque une enveloppe déposée sur la surface lisse.

Arquen s'en empare et décachète le document.

— Un pli de vos espions ? Je demande.

Il fronce les sourcils sans me répondre, lisant les lignes claires. Sa mâchoire se contracte. Et ses mains tremblent légèrement. Ça n'a pas l'air d'être une bonne nouvelle.

— De quoi s'agit-il ?

— De la guerre, Binou.

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