Partie 1(1)

120 005, Age de Sang

Dimension de Calca

Guerre des Dimensions.


Voici Mubalou, la ville des gnomes. Dans notre langue cela signifie « La côte de l'éveil ». D'après la légende, c'est là qu'est apparue notre race, des milliers d'années plus tôt. Cette ville est un peu notre capitale : seuls les gnomes y vivent, reclus au fin fond des forêts du royaume des Wenmors.

Nous sommes au centre de Calca et bien que nous soyons nombreux à Mubalou, cette ville ne présente aucune position politique au sein des royaumes avoisinants : cela fait longtemps que les elfes ont pris la main sur ces terres et nous sommes devenus leurs esclaves, d'une certaine manière...

L'avantage, c'est que nous sommes sous leur protection et donc non concernés par les guerres qui déchirent continuellement le Cosmos. Et heureusement ! Mubalou serait détruite dès la première invasion : nos maisons troglodytes, creusées dans la pierre ou construites dans les arbres seraient brûlées en l'espace d'une journée. Notre ville est jolie ou plutôt cocasse : du sol à la cime des arbres, s'entassent des petits nids en bois, percés de fenêtres et reliés par des passerelles.

C'est mignon... Mais aussi fragile qu'un habitat d'insectes !

Bien que totalement dénuée de sens, Mubalou est le lieu que j'ai toujours connu. Et pourtant cela ne va pas tarder à changer : j'ai vingt ans et comme tous les gnomes à cet âge, je dois me rendre en Elendor pour recevoir ma mutation. Où serai-je envoyé ? Je l'ignore mais cela promet d'être amusant ! Toute nouveauté est amusante lorsqu'elle n'est pas tragique...

Je finis donc mon sac de voyage et couvre mes cheveux bruns d'un bonnet de laine en me regardant dans la glace. Pour vous la faire rapidement, les gnomes ne ressemblent pas à d'horribles petits trolls morveux. Nous sommes de même taille que des enfants et gardons une apparence d'adolescent toute notre vie. Une vie sans vieillesse. Je crois que l'élément racial le plus caractéristique chez les gnomes est la couleur des cheveux qui peut varier du vert au rose en passant par le bleu. Il y en a pour tous les goûts. Après, moi, j'hérite simplement d'une tignasse noire qui se marie très bien avec ma peau caramel.

Mon manteau sur les épaules, je sors de ma maison-perchoir pour descendre une dernière fois l'escalier en colimaçon qui mène sur l'avenue : je dois attendre la carriole qui me mènera loin de ma ville natale.

Je n'ai pas de regrets : je ne suis pas du genre à ressasser le passé surtout que le mien n'a rien d'extraordinaire. À part quelques soucis avec les autorités pour troubles majeurs, je ne retiens pas grand-chose. Plus simple, je n'ai pas de famille : cela se passe différemment chez les gnomes. Tous les enfants sont élevés ensemble et personne ne sait qui sont ses parents, ses frères ou ses sœurs.

Notre mode sociétale est d'ailleurs critiqué et méprisé par les elfes : ils se mêlent de tout, ces abrutis ! En plus, ils sont à l'origine de ce système...

Bref, me voilà donc au bord de la route recouverte de dalles propres, après avoir fini l'escalier sur les fesses : en plein hiver, le verglas recouvre toutes les surfaces lisses et c'est bigrement dangereux pour les étourdis de mon espèce.

Le visage encore grimaçant, je regarde vaguement la foule de gnomes qui déambule dans les rues et sur les passerelles. Enfin, Clark, mon ami de toujours, apparait, son sac sur l'épaule. Il est roux, gros et un peu bête. Il mange tout le temps et fume la pipe. Je l'aime bien : il est tout aussi bavard que moi, même si en général sa bouche pleine l'empêche de s'exprimer.

— Alors Binou ? Prêt pour le grand voyage ?

— Tu ne veux pas me donner un morceau de ton sandwich au lieu de poser des questions inutiles ?

Clark hésite : la collation de l'après-midi, c'est sacré pour lui. Mais c'est mon ami et il m'en passe en grognant. Je lui lance un sourire et le rassure en lui disant qu'il ne mourra pas de faim, vu les réserves qu'il a déjà.

Enfin, la caravane arrive et nous nous entassons avec d'autres voyageurs : le premier tient une cage avec deux poulets, le second n'arrête pas de renifler et de rabattre les pans de son lourd manteau sur lui, m'envoyant la neige qui s'y collait dans mon nez. Si sympathique ! Le voyage promet d'être long si on considère en plus la femme et les quatre enfants qui l'accompagnent en hurlant. J'enfonce mon bonnet jusqu'aux yeux pour me protéger du froid hivernal et me care entre le marchand de poules et mon ami Clark qui entame sa deuxième collation.

Avec un peu de chance, la neige ne tombera pas...



Ce voyage fut éprouvant. Heureusement, j'ai précipité les poulets du haut de la falaise lorsque nous longions la chaine des montagnes de Cristal. J'ai feint que c'était les secousses pour éviter toutes altercations avec le vieux gnome acariâtre : je ne suis pas du genre à me battre et je préfère les coups bas : ce n'est pas très héroïque mais bon...

Clark a pleuré : il aimait bien les poulets.

Malheureusement, je n'ai pas pu jeter les enfants dans le précipice : tuer des gens, c'est mal... Mais ils l'auraient mérité, ces petits salopards !

Bref, nous voilà en Elendor, les terres du roi Vilnius. C'est dans la ville de Linwë que je recevrai ma mutation après mon recensement. C'est une bourgade elfique et l'architecture diffère largement de Mubalou. Les demeures aériennes d'un blanc éclatant font ressortir l'orgueil de cette race. Et dire que je vais devoir travailler pour eux ! En tant que paysan ? Cuisinier ? Pot de fleur qui décore le couloir ? Je ne sais pas mais ça m'irrite. À mes côtés, Clark ne partage pas ma nervosité : lui comme les autres trouvent cette soumission normale.

Alors que la calèche pénètre dans l'enceinte, je regarde pour la première fois cette race si supérieure : c'est vrai que nous, les gnomes, ne sommes pas plus grands que les nains : cela accentue fortement notre infériorité, sans parler des grands manques préexistant dans notre société un peu trop primaire.

Une chose à reconnaitre de bien chez les elfes : leurs femmes sont vraiment belles. Mais tous autant qu'ils sont, sont totalement fêlés, pervertis par le pouvoir et l'argent.

Nous arrivons au centre de la place où des tentes rouges ont été dressées au pied du beffroi. Clark et moi nous y rendons en évitant de nous faire écraser par les cavaliers et les carrosses. Enfin, nous parvenons sous le chapiteau principal et faisons la queue avec d'autres gnomes de notre âge. Au bout de la file, un mage habillé de mauve et coiffé d'un chapeau de korrigan, signe des registres et donne des enveloppes à chaque concerné. Vient mon tour :

— Nom ? demande mécaniquement le mage.

— Binarvivox, je réponds du même ton.

— Bina... rvi... vox... Mais qu'est-ce que c'est que ce nom ? grommèle-t-il dans un murmure.

Bah oui « Binou » c'est plus simple mais ce n'est qu'un surnom.

Après quelques échanges d'informations rapides, il me tend une enveloppe sans me regarder et passe à mon ami.

Je sors de la tente, légèrement excité, et m'assis sur un banc, ne tardant pas à être rejoint par Clark. Chacun avec notre enveloppe, nous en appréhendons le message. Vu le sceau qui les lie, nous sommes envoyés sur le royaume d'Elaglar ; et ce n'est pas une bonne chose ; la famille des Fëalocen est connue en Calca en tant que la plus puissante des maisons. Le roi Elaglar et ses sept fils sont redoutés dans toute la dimension en raison de leur hégémonie.

Clark inspire profondément et ouvre l'enveloppe : il est envoyé chez le prince Arlin. Heureusement pour lui, ce prince est réputé pour sa bonté, caractéristique rare chez cette race.

À mon tour, j'ouvre l'enveloppe sans trembler. La missive se déplie entre mes mains dans un froissement de papier. Je suis muté au Nord du continent, aux Falaises Sanglantes : rien que le nom me donne un avant-gout de ma future vie ! C'est parti pour se geler les miches et risquer de finir empalé à la moindre seconde.

Ironiquement, je souris : moi qui ai toujours aimé les déboires, les affaires louches, les manipulations, les trahisons et toute sortes de vices, me voilà servi avec le prince Morgal ! On ne compte plus toutes les rumeurs qui courent sur lui : on dit même qu'il aurait étripé son frère jumeau, il y a quelques centaines d'années... Ça promet...

Je range nerveusement la lettre dans mon manteau de laine et grogne dans mon écharpe. Je donne un coup de pied dans le pigeon qui roucoulait à ma droite. Clark ne sait pas comment me réconforter : il me propose sa cinquième ou sixième collation de la journée mais je n'ai pas faim. Nos chemins doivent se séparer ici. Je le salue et m'apprête à parcourir la route qui me mènera à ma vie de servitude.

Voici une carte des terres de Calca pour mieux visualiser...

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