31 - Leçon de vie...


Ouf ! Le Brevet terminé ! Et même chose pour Rémi avec le Bac. Nous attendons les résultats. Retour à l'entraînement et là, quelques grosses surprises.

D'abord, Sasha assiste à la séance. Comment a-t-il convaincu « Socquette perverse » mystère ? La fripouille m'a caché sa venue alors que je l'ai quitté en fin d'après-midi, aux anges, après quelques bisous. Pour les détails, même sous la torture, je resterai muette. J'aperçois le large dos d'Enzo, pas pourri quand même Machiavel, aux côtés de Sasha et Marc, son parrain au Black Swan. Il les abandonne pour passer dans les vestiaires. Impossible de ne pas le croiser dommage. J'adopte ma mine de dogue allemand, oui ce chien qui tient plus du veau que du cabot, mais je marque un arrêt. Son oeil droit affiche un joli dégradé de couleurs et sa lèvre inférieure, fendue, achève un tableau pas brillant pour le beau gosse. Joli tableau ! La providence a encore frappé avec un poing bien ajusté ? Difficile de dissimuler mon étonnement.

- Bonjour Agathe.

Il ne cherche pas à m'éviter et stoppe à ma hauteur. Avec Sasha qui nous observe, j'accepte qu'il me fasse la bise. Ma peau clame sa répugnance ! Et alors, canon peut-être, mais très... Je vous laisse deviner la suite de la rime. Pas trop fier, Enzo explique, après un coup d'œil à son jeune frère, sur un ton très discret :

- Le seul moyen que j'ai trouvé pour que Sasha arrête de me faire la gueule... Je pensais bien m'en sortir parce qu'il n'avait pas tout compris, mais il a du caractère le Chat. Il s'est bien douté que je m'étais fait les dents sur toi... et j'ai pris cher.

Sur cette étonnante sortie, il s'engouffre dans les vestiaires. Je rejoins mon petit félin, très satisfait de se retrouver là, il ronronnerait presque. Ses prunelles avides m'examinent de la tête aux pieds, curieuses de cette tenue qu'elles ne connaissent pas.

- Alors tu me fais des cachotteries, jeune homme.

- Enzo avait des choses à se faire pardonner. J'en ai profité.

Allusion discrète à la dernière querelle. Sasha sait ne pas être tendre s'il est contrarié. Curieuse d'en apprendre davantage, surtout les détails croustillants, je ne peux m'empêcher de demander :

- C'est toi qui lui as fait ce coquard ?

La, il s'esclaffe et secoue la tête.

- Enzo s'est vautré en VTT, déjà qu'il a horreur de ça... une randonnée avec des potes du lycée pour fêter la fin des examens.

L'explication me laisse très perplexe. Drôle de célébration... Enfin, finalisée par une belle gamelle, j'apprécie ce petit coup de pouce d'un hasard vicieux. Rémi arrive en tenue. Sasha s'attarde sur la silhouette puissante, envieux malgré tout. Ce regard m'inquiète parce que la suite, l'entraînement, risque d'aggraver sa frustration. Je n'ose même pas imaginer sa réaction devant la version Black Swan. Mais pas trop de risque qu'il assiste avant longtemps à une de ces séances très privées.

Sur les conseils de Marc, mon adorable Chat gagne les bancs des spectateurs. Je retiens Rémi par la manche. Bizarre, il présente sur la pommette droite, une marque d'un bleu léger. Tentative de maquillage ratée ? Douteux passe-temps, trop artistique pour l'intéresser. Peut-être réquisitionné par Adi, future esthéticienne, désireuse de  s'entraîner à la pose d'un fard à joue nouvelle tendance  ? Peu probable, trop timide, elle n'oserait jamais lui demander ce service. Quel goût pour une salade fardée ? Bonne question, d'ailleurs je le questionne mais pas sur le sujet palette de maquillage.

- Toi aussi tu fais du VTT ?

Petit sourire en coin de Bouclettes sauvages qui propose :

- Ça te dit un kebab après...

J'hésite, malgré ma gourmandise, et lorgne du côté de Sasha. Rem précise :

- Enzo est venu en voiture, donc à moins que...

Je me renfrogne, pas question de rentrer avec « œil au beurre noir ». La tentation serait trop grande de décorer son œil indemne à l'identique de son homologue fardé. Pas aisé de conduire ensuite et je tiens à la sécurité des passagers.

- Sans façon. Et puis je passe l'aprèm avec Sasha demain, il vient à la maison. Il va rencontrer Ségo.

- Oh ! Présentation à Ségo, ça devient sérieux.

- Te fous pas de moi sinon tu vas servir de serpillière !

Ma curiosité autant que mon goût prononcé pour la nourriture "rapide" orientale, me perdront alors bien sûr, j'accepte l'invitation.

- D'accord pour un Kebab et double portion de frites, sans compter les confidences ! Je veux tout savoir sur l'origine des jolies bleues de la Socquette !

Sur le tatami, je reste consciente de la présence de Sasha qui ne perd pas une miette du spectacle. Après le cérémonial du salut, Marc démarre l'échauffement. Nous trottinons quelques minutes, puis nous enchaînons sur des mouvements destinés à dénouer les articulations et mobiliser les muscles. Concentrée, je m'applique mais sur ma gauche, Enzo attire mon attention. Il m'apparaît crispé, comme bridé. Sa chute ?

La suite ne l'aide pas. Nous travaillons des enchaînements techniques qui demandent une grande vivacité et de la puissance. Je le sens à la traîne. Je surveille que Sasha ne s'ennuie pas. Peut-être aura-t-il sorti son téléphone pour s'occuper ? Pas du tout, il garde les yeux rivés sur nous. Je retrouve Rémi pour un « affrontement » au ralenti. Il s'agit de travailler à deux et de bien dérouler les mouvements. Marc adore nous infliger ses séquences, qui demandent de décliner une technique étape par étape. Idéal pour remarquer les défauts : manque de souplesse, équilibre précaire, mauvaise posture, choses que la vitesse d'exécution masque parfois. Mais ensuite, pour la séance de combat souple, le coach m'attribue Enzo comme partenaire. Heureuse providence me crie mon côté démon. Mon aspect angélique, comme toujours, prêche l'apaisement. Et ses consignes sont d'une clarté...  Ne pas aplatir une chaussette déjà abimée ! Par contre son copain diablotin opte pour une solution un peu trop radicale.« Mieux vaut finir une Chaussette trop usée que la laisser souffrir ». Une nouvelle consigne du coach rompt ce conflit intérieur.

- Fais travailler ses distances à Enzo et pas d'impact, bien sûr !

La blague, accompagnée d'un clin d'œil, me fait sourire. Rien d'un véritable combat, nous ne portons d'ailleurs aucune des protections préconisées. Je m'exécute. Les distances d'attaque, un point faible chez Enzo qui ne se place pas toujours au bon endroit et s'adapte mal à un adversaire plus affûté.

A nous deux « Chaussette décatie » ! Je note vite qu'elle ne se tortille pas aussi bien que d'habitude. J'adore quand Enzo ressemble à un petit ver planté au bout de mon hameçon. Sadique, moi ? A peine. Dommage, sa méforme ne me permet pas de jouer comme je le voudrais. Ses déplacements manquent de fluidité comme ses enchaînements. Il serre les mâchoires et sa tension, palpable, m'intrigue. Crainte de m'affronter ? Mes menaces, sévères, ont de quoi l'inquiéter, je le reconnais. Et chose étrange, il évite mon regard. Très inhabituel ce comportement. Nous poursuivons pendant plusieurs minutes et il fatigue déjà. Ses gestes manquent d'ampleur. Un recul malvenu, une hésitation, je me décale pour une sanction immédiate. Mon poing effleure à peine ses côtes et il s'effondre avec un cri étouffé, la main au côté. Il me fait quoi là ? Je ne l'ai même pas frappé !

- Agathe, j'ai dit pas d'impact ! hurle Marc de l'autre côté du tatami.

Mais enfin, je n'ai rien fait ! Sasha se redresse et s'inquiète. Enzo ! Cet empaffé, il se la joue footballeur fauché dans la surface pour obtention d'un penalty. Pourtant, il se redresse, lève la main en signe d'apaisement et précise, assez fort pour être entendu de tous.

- Ce n'est pas la faute d'Agathe, elle m'a à peine effleuré. J'ai prix un "jeton" sur les côtes quand je me suis vautré en VTT...

Le coach soucieux, examine le visage pâle.

- Tu as passé des radios au moins ?

- Rien de cassé, un bel hématome... mais je peux continuer.

Sasha se rassoit. Très élégant de la part d'Enzo, je ne nie pas. Mais je reste méfiante, l'orgueilleux animal sait être retors. Nous reprenons et je lui reconnais un courage dont peu font preuve dans ces conditions. Sa fierté lui commande de résister à la souffrance. Je ralentis pour éviter de le toucher à nouveau et lui laisse du champ. L'exercice ne perd pas en efficacité, surtout pour lui qui évalue mieux ses défauts de placement. Nous évoluons en silence puis soudain, curieuse, je l'interroge :

- C'est vraiment une chute en VTT ? Parce que tu n'as aucune égratignure. En plein nature, avec les branches, les ronces et le reste, tu devrais en être couvert. Ton coquard, ça me fait l'effet d'un bon direct en pleine face.

Oui, l'Agathe est maligne, pas question de lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Surpris, il rougit et son regard dévie un court instant sur ... Rémi. Je n'ose croire qu'ils se sont frités à ce point.

Discret, Enzo écarte le pan de sa veste et me laisse plonger sur sa musculature. Tentative de séduction ? Pas intéressée ! Mais pas vilain niveau esthétique, j'ai déjà pu apprécier à la piscine. Sur sa peau mate, au niveau des côtes, j'admire un superbe hématome. Son flanc s'orne d'une belle palette, association de noir, violet, rouge sur une large surface. L'impact allongé d'un coup de pied circulaire, mais pas à pleine puissance. Ses côtes flottantes se présenteraient en mode puzzle. Malgré tout, la chose doit grave le chatouiller, je le plains ! Si je vous jure, un embryon de compassion. Il porte ses doigts à sa lèvre fendue.

- Rémi m'a offert un recadrage maison. Après tout, je l'avais bien cherché. Mon orgueil m'a empêché de demander grâce la première fois qu'il m'a allongé. Je me suis relevé trois fois, j'aurais mieux fait de rester couché...

Je reste sans voix.

- ... je te dois plus que des excuses Agathe. Sasha a bien raison, je ne suis qu'un abruti prétentieux.

Sasha et sa jolie langue de vipère ! Je l'adore. Le Chat pas le reptile ! Je bride avec fermeté l'instinct qui me pousse à courir hors du tatami pour le prendre dans mes bras. Le moment, mal choisi, me vaudrait les foudres du coach.

- ... Et Rémi. Non, il te racontera, comme ça j'aurais l'air encore plus débile.

Stupéfaite. Faible mot pour décrire ma réaction. Alarmée, aussi. A juger l'état d'Enzo,  Bouclettes sauvages s'est défoulé. La belle retenue de Rem, envolée. Il a la colère rare, mais elle explose sans préavis. Le signe de son intérêt pour Enzo. Plutôt que de se détourner sans un mot comme il le fait quand une personne le déçoit, il lui offre une chance de rachat. Et moi ? En serais-je capable ? La patience, la compréhension, pas des signes très présents dans mon caractère. Nous continuons sans un mot. Je ne le malmène pas et attends ses initiatives.

- Désolé d'être aussi pataud...

Volontaire, il s'accroche. L'entraînement s'achève et met fin à sa punition. Son choix. Personne ne l'obligeait à souffrir, ce soir. Cherche-t-il à m'amadouer ? Non, plutôt Sasha, qui a du cracher furie comme un gros matou en colère, même si lui présente une silhouette fine et élégante. Nous procédons au cérémonial du salut final avant de nous disperser. Les bouteilles d'eau se vident. De petits groupes de discussion se forment, comme toujours. La semaine de boulot, les examens, le rhume du petit dernier... les sujets sont variés. J'aborde Rem.

- Dis donc le «Justicier bouclé » tu me dois une explication...

Rem affiche un air innocent mais le sourire goguenard ne trompe pas.

- Va vite dire au revoir à Sasha, Enzo ne prendra pas de douche pour éviter les questions gênantes. Ses jolis bleus parlent trop...

Bon, je ne tirerai rien d'une salade frisée frappée de mutisme. Je préfère foncer me régaler du sourire radieux de Sasha.

- C'était trop génial ! J'aimerais trop...

Méchant rappel à sa condition physique, il s'interrompt et s'assombrit en un instant. Sans me préoccuper des nombreux témoins, je l'attire contre moi et embrasse sa tempe. Il soupire. Je glisse :

- Je te préviens, je sens très mauvais...

- C'est rien de le dire, souffle-t-il, mais t'es super forte. Ça se voit, même si mon frère était bien trop fracassé pour que tu montres tout ce que tu sais faire.

Pas dupe un seul instant, Sasha. Et pas question de lui mentir alors je resserre mon étreinte. Zut, ce que j'ai envie de...

- Agathe...

Je m'écarte et examine ses traits délicats et soudain rieurs. Je devine que je vais faire les frais d'une mauvaise blague !

- T'as raison,... tu as tout du putois !

Je le savais, une répartie bien « sentie »... Il faut dire que, même si Enzo n'affichait pas une grande forme, la température du Dojo, pas climatisé, nous fait dégouliner. Surtout à cette époque de l'année. Un véritable sauna. A regret, je relâche mon trésor ambulant.

- Ne partez pas tout de suite avec Enzo, j'ai quelque chose pour lui.

Je file au vestiaire et fouille mon sac pour ressortir un petit pot. Une recette miracle du cousin Théo, magique pour les coups. Je réalise que ma rancune s'amoindrit contre « Socquette talée ». Le baume devrait soulager sa souffrance, enfin s'il arrive à s'en tartiner. Sasha et lui m'attendent. Je tends la pommade à Enzo.

- Deux fois par jour, direct dessus, et un bandage pas trop serré. Ça te soulagera, tu pourras dormir. L'œil aussi, mais léger.

La reconnaissance gênée d'Enzo me touche plus que je ne le voudrais.

- Merci Agathe, mais pas sûr que j'ose toucher mes côtes, j'ai toutes les chances de tourner de l'œil...

- Tant mieux, comme ça tu ne sentiras rien quand j'étalerai la sauce, se marre Sasha très attentionné.

Son frère grince :

- Super rassurant le Chat, je vais adorer...

Je ne retiens pas mon rire avec une petite grimace d'excuse pour la future victime.

- Bon courage.

Sasha s'approche pour quémander un tendre au revoir mais je me contente d'embrasser sa joue. Malgré le virulent besoin éprouvé, je l'avoue, d'un de ses délicieux bisous. Mais tous mes camarades de tatami, curieux, zieutent à tour de rôle le frêle jeune homme qui me tient par la taille... Tant pis, j'attendrai demain, dès que « Panda-Ségo » ira à la sieste. Je suis accroc aux marques de tendresse de Sasha, voilà la réalité.

Zut ! J'aimerais bien être présente quand il jouera les infirmières, très curieuse de savoir si Enzo finira dans les « vapes » ou pas. D'un autre côté, je n'aimerais pas être à la place du frangin, une telle ecchymose sur les côtes, aïe...

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