29 - Propositions indécentes...
Je termine la soirée chez Sasha, avec grillades sur barbecue pour le dîner. Enzo recommence à me casser les pieds, mais surpris en pleine manœuvre, la fureur de son Chat préféré l'oblige à remiser l'artillerie. Méfiance... » Insupportable chaussette » a de la ressource. Pour le moment, Sasha et moi allons cueillir de la ciboulette pour la sauce de salade.
Grand moment au jardin, dans le carré des herbes aromatiques, quand je demande aux deux frères d'identifier la ciboulette. Échange de regards perplexes, hésitation sur le persil, arrêt au niveau de la menthe, du cerfeuil... Consultation de la tour de contrôle : Agathe plantée juste derrière eux et morte de rire. Je leur accorde un petit cours express, sans trop compter qu'ils gardent souvenir de cette première leçon. Pour ces deux là, inutile d'envisager une carrière de jardinier-paysagiste. Seules les plantes très résistantes auront une chance de survie avec ces deux artistes.
De retour en cuisine, j'apprends à Sasha comment préparer la fameuse herbe tandis que j'épluche une gousse d'ail. Il s'applique, très concentré. Et une carrière dans un métier de bouche, cuisinier, pâtissier ? Euh ! Non pas de vilaine plaisanterie même si Sasha embrasse vraiment très bien...
Ensemble, nous préparons le couvert et amenons le tout sur la table de la terrasse. Retour au barbecue... à gaz et pierres de lave. Soulagement. La viande sera grillée et, sauf accident, pas carbonisée. Nous dînons dans une ambiance calme. La nuit tombe. Sasha ne parle pas beaucoup mais je le devine très satisfait de sa journée, tout comme moi.
Une brise légère rafraîchit l'atmosphère et diffuse les parfums alentours dans un joyeux mélange fleuri. Cette fois, Enzo se porte volontaire pour jouer les glaciers et prend nos commandes pour préparer les coupes. Sasha profite de son absence, pour passer derrière ma chaise et m'enfermer dans ses bras minces. Le menton appuyé sur mon épaule, sa joue contre la mienne, il chuchote à mon oreille.
- Tu me le redirais... ce que tu as dit tout à l'heure à Enzo.
Quel tacticien ! Il se remémore très bien ma déclaration mais se réjouit de l'entendre une nouvelle fois. D'humeur très joueuse, je murmure :
- Euh... que je pouvais défaire une salade ?
Il s'agace à peine.
- Mais non ! Tu sais bien.
Comment résister ? Sa voix fredonne comme une douce supplication, alors je m'exécute.
- Que j'attendrai trois ans et plus...
Déjà séducteur, il ose :
- S'il y a rallonge de contrat, je vais devoir t'embrasser. Tu comprends, pour valider, comme la première fois. Sinon, c'est caduque.
Si je comprends ? A votre avis. Et comment refuser une si tendre requête ? Le bruit des pas d'Enzo nous ramènent d'office sur terre. Dommage d'abréger un voyage dans les étoiles avec Sasha. « Fouine service » nous retrouve assis et sages comme des images. Mais avec le reflet de la porte vitrée, je soupçonne qu'il n'a rien perdu du spectacle. Quel vilain voyeur !
Nos glaces dégustées, Sasha trahit des signes de fatigue. Enzo intervient, en douceur :
- Si tu allais prendre ta douche comme ça Agathe pourrait...
- Non elle ne peut pas prendre sa douche avec moi !
Enzo explose de rire. Je scrute le chat, étonnée d'une telle plaisanterie, mais rouge de confusion, Sasha évite mon regard. Pudique et touchant. Il s'étonne de l'amusement d'Enzo :
- J'ai dit quelque chose de drôle ?
Machiavel lève les mains comme s'il ne comprenait pas la question.
- Rien le Chat. File ! Agathe et moi allons ranger tout ça. Elle ira te border ensuite.
Clin d'oeil d'Enzo qui tombe à plat car Chaton se hérisse et crachote, oreilles couchées et museau plissé, la moustache irritée tel un matou sur la défensive :
- Je ne suis plus un bébé !
Très digne, comme peut l'être tout jeune garçon soucieux d'être pris au sérieux, Sasha rentre et nous l'entendons grimper à l'étage. Là, je m'autorise un grincement de dents.
- Vas-y mollo avec les blagues douteuses. Sur certains sujets, Sasha est encore très innocent.
- C'est vrai, désolé.
Rien de sincère dans ses derniers mots, j'en mettrai ma tête à couper. Enzo me jauge. Désagréable sensation. Ma méfiance ressurgit. Que prépare-t-il encore ?
- Comment tu penses faire pour attendre aussi longtemps sans aller voir ailleurs ? Sasha, comme tu dis, est encore très innocent sur certains sujets, mais toi ?
Très sournoise cette attaque, et limite malveillante. elle me cueille tel un uppercut en plein estomac. Tout à l'heure, il me jetait à la figure la puberté de Sasha et maintenant... Se pourrait-il qu'il utilise contre moi les odieux racontars de Mathias, mon ex ? Saleté de rumeur, impossible à arrêter une fois lancée. Si les gens apprenaient à se taire plutôt que se complaire à colporter des ragots !
- Et je refuse que tu l'entraînes dans des jeux qui ne sont pas de son âge.
Je n'en crois pas mes oreilles Quel savoir-faire ! L'insinuation révoltante habille une insulte bien réelle. Je frémis de rage. Deux envies s'affrontent en moi : partir en claquant la porte ou exploser cette face de rat ? Tout doux, Agathe. La jeunesse de Sasha, je ne l'oublie jamais. Elle motive notre fameux contrat et pas questions de brûler les étapes...malgré les quelques accrocs genre « french kiss ». De petites libertés prises par Sasha et aux quelles je ne résiste guère, je l'admets. Rien de scandaleux. Et rien à justifier à Enzo. Jusqu'où pense-t-elle pouvoir aller, cette langue fourchue ? Très bien ! A mon tour, je le provoque, glaciale.
- Pourquoi ? Ça t'intéresserait de servir de substitut, en attendant qu'il soit assez vieux ?
Enzo sursaute. Il ne l'attendait pas celle-là ! Qu'osera-t-il répondre. Ce jeu du chat et de la souris ne me déplaît pas d'ordinaire, mais là, le duel devient féroce. Pour Sasha, en vraie tigresse, je défends notre territoire. Que cherche à prouver Enzo? Que je suis juste capable de blesser son petit frère ? Je ressens son hésitation. Il passe outre, s'humecte les lèvres et rétorque avec un sourire charmeur :
- Pourquoi pas. T'es plutôt pas mal d'après ce que j'ai pu voir à la piscine.
Mon poing frappe le plateau de table avec brutalité et un bruit sourd. Les verres tremblent, tintent contre les assiettes. Ulcérée, je n'élève pas la voix mais ma fureur déferle :
- Aborde ce sujet à nouveau, tente de nous séparer avec ces manoeuvres dégueulasses, et je t'envoie à l'hosto pour un temps indéterminé même si ça me vaut une suspension à vie par le Black Swan. Ose un mot du même genre contre moi devant Sasha et tu mangeras à la paille de très longues semaines. Et un dernier conseil, à l'entraînement évite moi comme partenaire d'exercice, parce que je ne retiendrai pas mes coups.
Silence de mort. Blême, Enzo regrette peut-être l'indécence de ses provocations. Il cogitera dessus un moment. Moi, je n'oublierai pas. J'entreprends de réunir verres, assiettes et couverts puis rentre remplir le lave-vaisselle. Que faut-il conclure d'une telle attitude ? Perplexe, je m'avoue dépassée. Jalousie ? Possessivité maladive, affection obsessionnelle pour son petit frère ? Une thérapie s'impose à ce degré de toxicité. Qu'il aille se faire soigner et même enfermer. Bon débarras. Et une soudaine attirance pour moi, je ne crois pas un seul instant à cette option. Rien de flatteur avec une mentalité aussi tordue. Bon courage à la pauvre fille qui s'amourachera de lui. Le physique ne fait pas tout, la preuve.
A l'étage, j'entends Sasha, toujours dans la salle de bain. J'achève de débarrasser la table et ignore Enzo qui nettoie le barbecue. Fais moi plaisir « l'Outrage Ambulant », n'oublie pas de te cramer les doigts avec la grille. Une fois le lave-vaisselle en route, je me précipite à l'étage. Sasha couché, recouvert d'un simple drap, bouquine. Une serviette passée autour du cou, les cheveux encore gorgés d'eau, il pose son livre. Un petit climatiseur conserve une température agréable à la chambre. Je m'installe au bord du lit.
- Approche, je vais sécher tes cheveux correctement.
Sans se faire prier, il se redresse et se laisse faire mais en profite pour passer ses bras au tour de ma taille. A travers mon débardeur, je sens la chaleur de ses paumes sur mon dos. Il lâche, tête baissée pendant que je frictionne ses cheveux en douceur :
- Vous vous êtes encore engueulés...
Ô misère ! Rien ne me sera épargné ce soir. Qu'a-t-il entendu ?
-... j'étais dans l'escalier, j'ai fait semblant de monter. Je connais mon frère. Enzo a la sale habitude de dépasser les bornes.
Simple constatation, aucune contrariété dans sa voix. Rassurant. Je réprime le méchant commentaire qui me brûle les lèvres. « Dépasser les bornes », bel euphémisme. Plutôt les écrabouiller ! Je me demande si Sasha a tout compris des insinuations malveillantes de l'autre empaffé.
- ... Enzo veut être certain qu'il peut te faire confiance. Quand je suis concerné, il peut être vraiment horrible. Ça m'énerve, mais il le fait tout le temps avec mes...
Je me crispe malgré moi.
- ... amis.
Ben voyons ! Dis plutôt tes petites amies, râle mon vilain caractère. Intuitif, Sasha saisit mes réticences. J'embrasse son front avec gourmandise et démêle ses cheveux du bout des doigts.
- En cas de problème, Enzo veut être certain que tu réagisses comme il faut. A mon avis, la prochaine fois, il te fera un cours détaillé sur le massage cardiaque.
Il ironise alors que moi, je parviens tout juste à me raisonner. Non, Agathe, tu ne descendras pas étendre Enzo à grands coups de latte, même si tu en as très envie. Je reste sans voix et j'admire le courage de cet être fragile, ses grosses colères, sa sagesse angélique. Le petit démon s'empare de ma bouche et m'embrasse avec beaucoup de maîtrise. Pas tout à fait candide, ce merveilleux chaton, mais je ne vais pas me plaindre, surtout pas à la « chose ».
- Au fait, tu peux me dire en quoi je suis... innocent ?
Les deux frères possèdent un don certain pour les questions difficiles. Terrain très glissant, mais où se trouve la sortie de secours ? Ne paniquons pas ! Je temporise.
- Nous en rediscuterons, mais là, la journée a été longue...
Sasha baille mais insiste :
- Et toi, tu ne l'es pas alors ?
Naïveté ou piège ? Je prendrais bien une aspirine pour dénouer les nœuds qui brident mes méninges. La curiosité de Sasha me place sur un tapis de verre pilé. Comment lui expliquer que mes activités nocturnes drainent la majeure partie de mon énergie, sans compter les heures de sport officielles et les cours. Donc non, je n'ai jamais... Faut-il vous faire un dessin ?
- Et ce truc, le Black Swan, c'est quoi ?
En plus du verre pilé, bain d'acide bouillant accompagné de quelques serpents à sonnette qui sifflotent en choeur la marche funèbre de Chopin. Épouvantable trio de questions. Si Enzo pouvait avoir ce genre de mélange aux épreuves du Bac, je serais vengée pour les siècles à venir. Une improbable pensée jaillit. Si j'allumais un contre-feu pour éteindre l'incendie ? Par contre, du costaud, pas un feu de paille qui distraira Sasha à peine trente secondes. La question la plus gênante demeure celle du Black Swan. Impossible de révéler ce secret sans dévoiler toutes mes capacités. Je me lance, sans filet, avec gros risques de rétamage.
- Enzo, tu sais, il est pénible et super indiscret aussi. Il y a des choses...
Parvenir à garder le fil avec Sasha qui me dévore de ses grands yeux aux reflets dorés... Suprême épreuve.
-... il y a des choses très intimes que nous découvrirons, ensemble.
Évidente perplexité de Sasha, je devine son interrogation : « Mais de quoi elle cause Agathe ? »
Mon supplice se prolonge.
- Dans trois ans, nous verrons bien si nous souhaitons davantage... que nous embrasser par exemple.
Contre-feu en plein expansion et les joues de Sasha s'enflamment. Honte à moi ! Et ma rancune toute entière à Enzo, responsable de ce véritable fiasco. Chaton détourne la tête pour dissimuler sa gêne. J'attends, pas très fière d'utiliser un stratagème aussi minable pour protéger le Black Swan. Un jour viendra où je révélerai la vérité à Sasha et je ne me limiterai pas à la décrire... Je lui apprendrai des techniques qu'Enzo, trop buté, n'imagine même pas. L'esprit curieux de Sasha lui permettra de découvrir des domaines inaccessibles à la mentalité étriquée de son abruti de frérot. Il me jette un coup d'œil en biais, les joues encore bien roses puis murmure :
- D'accord, je comprends.
Petit sourire timide pour accompagner la déclaration, puis Sasha étouffe un nouveau bâillement. Il ajoute pour finir :
- Promet moi quand même de ne pas l'abîmer mon frangin. C'est une chaussette vraiment très casse-pied, mais je tiens à cet idiot !
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