Chapitre 7

Avant que Draël ne se couvre le visage, Dorgon eut la merveilleuse idée de lui tendre un miroir.

— Tu t'es vu ? Et après tu te permets de critiquer mon apparence !

— J'aurais préféré ignorer ce reflet...

— Allez, arrête de te morfondre. Tu auras tout le temps de te lamenter quand Polcamitraï aura abusé de toi.

Draël vit rouge. Comment ce maudit esclave se permettait de se moquer de sa condition ! D'un revers bien placé, il lui décrocha la mâchoire et l'envoya valser.

— Tu es aussi écœurant, Dorgon. Tu méprises mon sort, prend du plaisir avec notre agresseur et refuse même de trouver une solution à notre esclavage. Parce qu'en réalité, tu es content d'être là.

Le Caprice grogna et replaça sa mâchoire d'un craquement sec.

— Arrête de m'accuser, Draël. Ce n'est pas moi que tu devras affronter ce soir.

— Tu es un elfe comme moi. Fuyons d'ici avec les autres qui sont retenus dans ces murs.

Dorgon soupira :

— Allez, suis-moi, je ne t'en veux pas pour le coup. Mais ne recommence pas. Je vais t'expliquer quelques détails en chemin.

Intrigué, son homologue lui emboita le pas. Il se vêtit également d'une tunique et d'un pantalon ample avant d'enrouler l'écharpe autour de sa tête à l'instar de l'autre esclave.

— Ici, c'est la tour Soleil, mon logis.

— Tu es bien loti.

— N'est-ce pas ?

— Ça ne m'aide pas à t'apprécier, sale profiteur.

— Eh ! Je suis le Caprice de Nilcalar. Je peux exiger ce que je veux de lui dont des bijoux, un palais, la tête d'un courtisan...

— ... une pipe.

— Bon ! Je te sens taquin. Je te rappelle que tu es le Caprice de Polcamitraï. Tu pourras faire des demandes similaires. Enfin pas pour le dernier point... mais tu vois ce que je veux dire : c'est un atout que les autres elfes n'ont pas. Nous devons nous en servir.

— Navré mais je ne suis pas une salope comme toi.

— Eh bien si !

— Non.

— Il faut que tu apprennes à calculer et sortir ton épingle du jeu, Draël. Sans ça tu vas finir enchaîné dans le fond d'une cave pour les siècles à venir. Et crois-en mon expérience, la compagnie du Grand-Prêtre sera difficilement supportable.

— Tu as... Déjà couché avec lui ?

Dorgon hocha simplement la tête :

— Oui, un vrai cauchemar. C'est un miracle d'en survivre. Le point positif est qu'il est aussi impuissant qu'un bœuf, il trouve des combines mais son handicap limitera les rapports.

— J'ai la chair de poule tellement je suis rebuté par ce personnage.

— Il y a de quoi ! Mon avantage est que le roi est un bon amant et sa compagnie est parfois supportable. Le revers de la médaille étant la jalousie de son favori officiel qui cherche à me liquider. Enfin... Les prêtres aussi veulent me supprimer. En revanche, tout l'état-major m'adore !

— Je vois...

Ils marchèrent un temps dans le vaste parc privé du palais avant de se mêler à la cour sous les arcades. L'architecture titanesque du Palais des Sables impressionnait Draël. Ces coupoles et ses stucs en surcharge le plongeaient dans une autre dimension. Même les accoutrements bigarrés des courtisans le surprenaient.

— Il n'y a pas de femmes ?

— Non, elles ont été bannies par le Culte de Démonia, il y a plusieurs siècles. Tu n'en croiseras aucune.

Dorgon sortit une pomme de sa poche et l'entama sous son bâillon.

— Dorgon... J'ai une question.

— Je t'écoute.

— Quelle est ta réelle identité ?

L'elfe blond s'appliqua à terminer son fruit et répondit avec légèreté :

— Je suis Dorgon d'Aldëon, deuxième fils du duc Lanclif et Ganise d'Aldëon. Pour te la faire courte, à dix-huit ans seulement, j'ai été contraint de remplacer mon frère ainé au front et je me suis fait capturer lors d'une mission par les Berserks. Ozanor m'a vendu au roi, comme toi, j'imagine.

Draël fronça les sourcils. Ça ne l'étonnait guère que le trublion appartienne à la haute aristocratie fëalocen... Par ailleurs, ces propos lui ravivèrent la mémoire :

— En effet... C'est étrange mais je crois que je connaissais déjà ton histoire.

— Ah oui ?

— Sauf que dans la version officielle, tu avais déserté...

— Quoi ! Je suis certain que c'est ce stupide général Gonladon qui n'a pas assumé ma disparition et celle de mon ami ! Il a raconté ces mensonges pour se dédouaner ! Qu'il soit maudit, maintenant, tout ma famille croit que je suis un pleutre alors que le lâche c'est mon frère ! Ilnov je vais te crever les yeux à mon retour et...

— Du calme.

Draël n'aurait pas soupçonné déclencher tant de colère chez son compagnon. La coïncidence était amusante. Il avait justement parlé de lui avec Tchyl lorsqu'ils traversaient tous deux la Sylvestrë. Si ses souvenirs étaient exacts, Dorgon avait été fiancé à une princesse, Oryana de Lunélac. Il n'osa pas aborder le sujet.

— Tu as parlé d'un ami... Il est aussi ici ?

— Erwon ? Non, il s'est fait écraser lors d'un éboulement causé par les Berserks.

— Ces hommes sont la lie de la dimension. J'attends le jour béni où je les retrouverai pour les massacrer.

— Dans ce cas-là, je me joindrais à toi. Mais avant que tu ne les tues, je les torturerai, j'adore ça.

— Ha.

Draël ne savait vraiment pas comment positionner son camarade. Il ne l'aimait pas mais sa proximité était nécessaire et, il faut le dire, plutôt divertissante à défaut d'être fatigante.

— Dorgon, tu dois m'aider à m'échapper avant ce soir.

Le concerné lui donna une claque dans la nuque :

— Imbécile, si je pouvais te libérer si facilement, je l'aurais déjà fait pour tous nos frères. Comprends enfin une chose : on est coincé pour l'instant !

— As-tu seulement envie de fuir ?

— Mais que crois-tu ? Regarde un peu plus loin que le bout de ton gros nez. Tant que ces astres porteront cette arabesque sur leur front et nous sur le poignet, nous ne pourrions rien faire.

Draël prit une longue inspiration et lâcha :

— Donc je ne vais pas pouvoir y échapper ?

Dorgon se pinça les lèvres sous son voile et secoua la tête :

— Je suis désolé, ton sort est déjà scellé. À moins que tu veuilles que je te tue.

— Hein ?

— Tu n'as pas encore été déshonoré. Ce n'est pas une proposition insensée. Surtout que tu as le temps de te poser la question. C'est un luxe auquel je n'ai pas eu le droit.

L'elfe brun déglutit et se mordit les joues : Dorgon avait donc été souillé dès son arrivée. Il avait dix-huit ans, encore qu'un enfant...

— Je ne peux me permettre de mourir. Il me faut libérer Tchyl.

Dorgon ricana :

— Moi aussi je ne me suis pas suicidé à cause d'une femme. Mais c'est une autre histoire.

Alors qu'il passait dans les immenses escaliers, les astres s'écartaient, surpris et attentifs.

— Ceux avec une arabesque argentée sur le front ne peuvent rien exiger de nous et en retour nous ne pouvons pas les blesser, expliqua tout bas le Caprice du roi, en revanche, l'arabesque noire permet un contrôle total sur les esclaves.

— Je vois... Pourquoi nous fixent-ils ainsi ?

— Nos phéromones elfiques les enivrent.

— Où est le Harem ?

— Je t'y mènerai à la fin. C'est là que les prêtres t'attendront pour te conduire à Polcamitraï.

— Joie ! Les nôtres sont-ils soudés ?

— Mmh... Oui et non. Mais je parle pour moi. Certains me détestent et d'autres espèrent en moi. Je suis le seul à pouvoir faire évoluer leur destin. Et maintenant, tu es là pour m'aider !

— Ah ! Je sens que je vais devoir te supporter un temps.

— Oui, et je préfère te le dire maintenant : toi et moi... On va peut-être être amené à faire certaines choses ensemble.

Draël toussa.

Cela s'annonçait bien ! Dorgon avait raison. Les dés avaient été lancés et Draël se devait se rebattre ses cartes.

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