Chapitre 4
Assez rapidement, les Berserks quittèrent les terres de Calca pour rejoindre les royaumes de Fanyarë où ils ne risqueraient pas de tomber sur des troupes elfiques.
Solsar soigna les deux détenus mais en profita aussi pour les empoisonner afin de les laisser dans un état de délire et de semi-conscience. Tous les jours, à mesure qu'ils descendaient toujours plus vers le Sud, il leur faisait ingurgiter de la viande pour les affaiblir.
Le sorcier délaissa Draël car le cas de la femme restait plus préoccupant. Tarcenya voulait la vendre à Arminassë, mais à ce rythme-là, elle ne tiendrait pas. Elle se faisait violer chaque jour par une vingtaine d'hommes et tous les soirs, Solsar dépensait ses pouvoirs à la guérir.
Sadique, Tarcenya tint sa promesse et Draël dut assister à chaque abus commis sur sa femme. Les images s'inscrivaient alors dans son esprit embrumé, écrasant son cœur sous la culpabilité.
Lorsqu'ils furent proches du premier point de transaction, Solsar exigea auprès de son chef de ne plus maltraiter leur prisonnière sinon quoi, il deviendrait compliqué de la vendre au prix convenu, même si elle était une elfe. Tarcenya accepta et se réserva seul le corps de Tchyl.
Le reste du temps, les deux elfes étaient enfermés chacun dans une cage étroite et particulièrement basse. Ils n'étaient pas en mesure d'échanger le moindre mot. Seuls les appels plaintifs de Tchyl s'échappaient de ses lèvres fendues, prononçant faiblement le nom de Draël pour le supplier de l'aider. Et seul le silence répondait à son désespoir quand ce n'étaient pas les moqueries des hommes.
Les nuits glaciales impactaient le couple et poursuivaient leur longue agonie.
Un matin, Tchyl fut sortie mais pas pour avoir à subir les abus du chef. À l'inverse, elle fut lavée et habillée avec une chemise propre.
Ses poignets attachés furent fixés au-dessus de sa tête, sur une des charrettes des Berserks.
Tchyl était trop diminuée pour comprendre qu'on s'apprêtait à la vendre. En effet, deux marchands se pointèrent, affublés des tuniques luxueuses d'Atalantë.
— Hardvar, salua Tarcenya, as-tu fait bonne route depuis la capitale ?
Le commerçant sourit nerveusement, probablement craintif vis-à-vis de la force brute du Berserk et de ses hommes.
— Ma foi, je n'aime pas quitter la ville pour venir encrasser mes bottes dans ces bois. Mais je suis certain de trouver mon compte, tu ramènes toujours de splendides spécimens.
— C'est vrai ! Que penses-tu de celle-là ? Elle est ravissante, non ?
— Une elfe ! Comment as-tu fait pour en attraper une ?
— Je me risque en Calca, de temps à autre... Cette beauté m'a coûté l'un de mes hommes.
Hardvar s'approcha de la femme et commença à inspecter ses yeux et sa dentition. Dès qu'il fut satisfait de son analyse, il releva la tunique jusqu'aux épaules et observa le corps :
— Elle est un peu maigre pour convenir aux exigences d'Arminassë. Je doute de pouvoir l'engraisser.
— Je peux t'assurer que personne ne crachera dessus. Sa nature elfique dégage des aphrodisiaques extrêmement puissants : elle suscitera une dépendance rapide. Pour te dire, je commence à vouloir la garder pour moi.
— Elle saigne à l'entrejambe... Elle est malade ou ce sont tes sévices ?
— J'avoue ne pas m'être retenu à la tâche. Mon sorcier te confirmera qu'elle était pleine. Elle ne l'est plus, bien sûr.
— Mmh, tant mieux je ne souhaite pas gérer ce genre de choses. La fertilité est un vrai fléau pour la prostitution.
Il palpa la poitrine de sa marchandise et tata les parties les plus charnues pour en vérifier la fermeté.
— Malheureusement, l'esclavage des elfes est interdit à Arminassë. Je ne souhaite pas m'attirer les foudres de la Reine Vierge.
— Arrête de tortiller. Ce ne sera pas la première fois que tu nages dans l'illégalité. Rappelle-toi de notre passé dans l'armée, tu étais le premier à resquiller.
— Je risque gros, Tarcenya.
— Tu risques surtout de dépouiller tes meilleurs clients qui ne pourront plus se passer d'une telle fille.
— Une offre exclusive aux plus fidèles pourrait être intéressant... Je remarque que tu détiens aussi le mâle...
Tarcenya se pivota vers la cage de Draël et souffla :
— Il n'est plus à vendre.
Hardvar hocha la tête et referma son riche manteau de fourrure sur ses épaules avant de conclure :
— Bien... je te prends la femelle. Elle n'est pas bien grosse mais je suis certain qu'elle sera au goût des plus gourmets.
— Elle est à toi pour trois mille écus.
Le marchand grimaça à l'évocation de la somme mais il accepta ; il avait déjà traversé suffisamment le pays pour revenir à la capitale de Fanyarë bredouille.
Avec son comparse, ils acquirent la charrette ainsi que la cage de Tchyl pour la transporter au mieux.
Après un échange de bons procédés et un bref salut, ils quittèrent les Berserks, emmenant avec eux leur précieux butin.
Draël était trop faible et inconscient pour suivre la scène. Il avait simplement compris que Tchyl partait et qu'elle ne reviendrait pas.
La douleur de son impuissance surpassa ses souffrances physiques. Il était responsable de tout ce drame. Les actes violents sur sa femme se répétaient en boucle dans sa tête, à chaque fois ses appels de détresse ne trouvaient de réponse. Il entretenait le regret de l'avoir abandonnée à un sort funeste.
Ces pensées le torturèrent tout le long du voyage. Un drap avait été rabattu sur la cage afin de le cacher aux yeux de potentiels passants.
Au bout de plusieurs jours, on le sortit de sa prison et on le traina jusqu'à un fleuve où les hommes lui retirèrent son vêtement durci par le sang séché. Avec le poison dans ses veines et les blessures infectées, il était incapable de réagir. Les astres le plongèrent dans l'eau, peu soucieux de l'état de leur prisonnier. Une couleur rougeâtre se dilua autour de lui alors qu'on frottait sa peau encrassée par les croûtes et la poussière de la route.
Une fois sommairement lavé, Draël fut jeté sur la berge où Solsar s'attela à refermer minutieusement les escarts ainsi que les blessures profondes. Il y passa une demi-journée et l'elfe commença petit à petit à reprendre ses esprits.
— Où est ma femme ? murmura-t-il d'une voix à peine audible.
Le sorcier sursauta à ces mots et se contenta d'avouer :
— Elle a été vendue à un proxénète d'Arminassë... Ne t'inquiète pas pour elle, elle survivra.
Draël se tendit et sa respiration commença à accélérer dans sa poitrine. Craignant qu'il devienne violent dans les prochaines secondes, le guérisseur l'endormit.
Solsar était las de répéter éternellement les mêmes gestes. Il n'éprouvait guère de pitié pour les elfes, il les avait combattus du temps où il occupait encore les rangs de la Reine Vierge. En fait, le trafic d'esclaves commençait à lui peser. Ces échanges sordides encrassaient ses ambitions de grandeur. Il était las d'être un vulgaire mercenaire. Et puis, le couple qu'ils avaient attrapé en Calca n'était pas des soldats. L'homme et la femme n'avaient pas de sang astres sur les mains.
Il haussa les épaules et rhabilla le prisonnier. Inutile de se plaindre de la situation, après tout, il n'éprouvait aucun remords à garder le fœtus sanglant avec lui. Il frissonna en se rappelant du regard dévasté de la mère qui tendait sporadiquement ses bras décharnés vers lui. Voilà une image qui le hanterait encore longtemps...
Draël fut transporté jusqu'à sa cage et ce n'est qu'au soir qu'il fut ressorti pour être emmené dans une grange en ruines.
De nouveau, on le déshabilla et ses mains furent attachées à une poutre. Pendant plusieurs heures, il attendit seul, nu et frigorifié.
Enfin, Tarcenya apparut, accompagné d'un inconnu couvert d'atours bigarrés. Un turban de taffetas ceignait son front et un manteau azuré galonné d'or établissait un contraste plutôt marquant avec les vêtements négligés du chef Berserk.
— Voici le dernier que j'ai attrapé. Il n'est pas très loquace mais je me suis dit qu'il conviendrait.
L'étranger s'approcha de l'elfe et l'inspecta sous toutes les coutures :
— Il va vraiment falloir que tu arrêtes de leur faire ingurgiter de la viande, Tarcenya, je les récupère toujours dans un état déplorable.
— Arrête de critiquer mon poulain, Ozanor. Il est résistant.
— Oui, c'est bien ce qui va me convaincre. Mon client recherche un elfe suffisamment solide. Celui-ci me semble même plus musclé que ses semblables.
Tarcenya hocha la tête :
— Il n'est pas soldat mais il devait exercer un métier de forgeron, d'où sa carrure.
— Il est encore blessé... Il vous a attaqué ?
— Il a tué trois de mes hommes... Il n'a pas de technique de combat mais il est violent.
— Je vois...
Ozanor approcha son visage de celui de l'elfe et lui releva le menton pour observer ses traits :
— Il est beau.
En réaction, Draël lui assena un formidable coup de tête dans le crâne et l'astre tomba à la renverse, le front ouvert.
Le Berserk éclata de rire :
— Je t'avais prévenu qu'il était agressif ! Tu as perdu tes réflexes à force de jouer le marchand.
Ozanor passa la main sous son nez pour retirer les reliefs sanglants.
— Tu as de la chance que ta belle gueule coûte cher, le gnome, gronda-t-il, sans cela, je t'aurais fait regretter ton acte.
Draël le perçait de ses prunelles noires, le provoquant du regard malgré sa position de nette infériorité.
— Je baisse le prix à trois mille pour le désagrément, ricana Tarcenya, admets qu'il est parfait.
— Sa peau est un peu trop mate mais il conviendra, conclut Ozanor en refermant sa poigne sur la gorge de l'elfe, il saura endurer la vie au Palais des Sables.
— N'oublie pas de rappeler à ces branquignoles d'Atalantë que les gnomes que tu leur vends sont dangereux. J'ai eu vent de l'inconséquence du roi au sujet d'un de ses esclaves.
— Je n'y manquerai pas. Je connais l'engeance de cette race et je ne les laisserais pas s'en prendre à mon royaume.
Ces mots étant dits, Draël fut conduit dans une remise pour y être vêtu. Après quoi il fut traîné jusqu'à une embarcation, non loin, où Ozanor régla la vente avec le chef Berserk.
Le prisonnier fut attaché dans une cale sans le moindre ménagement. Des charbons étranges brûlaient, dégageant une drogue puissante.
Avant de sombrer une nouvelle fois dans des rêveries cauchemardesques, l'elfe prit conscience qu'il allait être déporté en Narraca, le royaume du roi Nilcalar. Les auspices ne s'annonçaient guère positifs, il pressentait un esclavage bien spécifique. Toute sa vie partait en déliquescence, ses espoirs d'avenir disparaissaient, le foyer qu'il construisait s'était effondré dans le sang. Sa femme violée avait été vendue à des maquereaux pour finir dans un bordel et son enfant à naître n'avait pas survécu à la brutalité subie par sa mère. Le sorcier lui avait trouvé une autre utilité répugnante. Jamais cette pauvre petite âme ne trouverait le repos.
C'est sur ces réflexions mêlées de désespoir et de rage que Draël sombra.
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