Chapitre 2

Pour voyager dans les meilleures conditions, les elfes utilisaient de larges roulottes sur huit roues, tirées par plusieurs chevaux de trait. À l'intérieur, toutes les dispositions nécessaires pour passer le meilleur trajet étaient réunies. On y trouvait des lits, un mobilier fixé et même une zone de toilette.

Les suspensions étaient particulièrement élaborées, ainsi les cahots de la route ne gênaient guère.

À cet instant, Draël et Tchyl traversaient le royaume boisé de la Sylvestrë.

La jolie elfe était assise sur le lit conjugal, à regarder le paysage par le petit œil de bœuf.

— Quel royaume splendide, s'émerveilla-t-elle, les forêts sont impressionnantes, encore plus sous la neige.

Draël en profita pour déposer un épais manteau de laine sur les épaules de sa femme.

— L'hiver y est coriace, je ne suis pas mécontent de partir vers le sud.

— Nous serons mieux en Elendor, certes. Mais ces bois sont si mystérieux. On raconte que pendant des décennies, on pouvait y entendre le chant plaintif de la princesse Oryana, pleurant la disparition de son amant.

Ce genre de légendes trouvait un succès certain auprès du caractère romantique de Tchyl. Draël sourit et se pencha pour regarder les ramifications impressionnantes qui se découpaient sur le ciel gris.

Il connaissait la véritable histoire et celle-ci était bien plus prosaïque. L'amant en question avait déserté lors d'une mission et s'était enfui hors de Calca. Éplorée, la fiancée avait trouvé une solution bien rationnelle à ses problèmes mais il se garda bien de le dire à sa femme.

Elle devenait bien plus sensible lorsqu'elle était enceinte. Cette fois-ci, elle avait mis au point des médicaments suffisamment puissants pour empêcher la fausse couche. L'espoir était né dans le cœur de Tchyl car elle avait enfin entamé le quatrième mois.

Soucieux de son état, Draël s'assurait qu'elle ne se lève pas trop et qu'elle se repose. Il avait bien deviné que son épouse lui cachait ses innombrables fausses couches. Il en était même venu à espacer les rapports afin de ne plus se sentir responsable de toutes ces pertes sanglantes qu'il causait à sa compagne.

Finalement, Tchyl lui avait annoncé sa dernière grossesse. Elle fit part de son désir de s'installer quelque temps dans une maison qu'ils achèteraient afin de mettre au monde leur fils et l'élever avant de reprendre la route.

Jamais la jeune elfe n'avait paru si heureuse alors que son mari appréhendait la venue d'un enfant dans leurs projets professionnels. Malgré ses doutes, il se réjouissait de devenir père et travaillait sur lui afin de donner à son fils ce que lui-même n'avait pu recevoir.

Au fur et à mesure qu'il descendit vers le Sud, le couple vint à s'approcher des frontières de Fanyarë. Heureusement, les raids de la Reine Vierge avaient cessé mais la proximité avec les royaumes astraux ne rassurait guère.

Il leur fallait encore approvisionner un camp militaire avant de partir en retraite. Tchyl commençait à se montrer impatiente à mesure que son ventre s'arrondissait. Et pour cause, Draël tentait de l'interdire de concocter d'autres potions, craignant les effets secondaires sur le bébé déjà bien fragile.

Tchyl s'ennuyait et souffrait des médicaments. Heureusement, sa santé se stabilisait.

En cette soirée de printemps, Draël et elle arrêtèrent les chevaux pour prévoir la route du lendemain. Les gnomes préparèrent le repas et profitèrent de l'arrêt pour accomplir quelques corvées.

Le couple se déplaçait toujours seul avec quelques esclaves pour faciliter le quotidien. Les gnomes naissaient dans la servitude et se vouaient corps et âmes à leurs maîtres. C'était une aide bien pratique surtout lorsque l'un des deux elfes ne pouvait plus assurer son poste.

Lasse, Tchyl descendit les marches de leur maison ambulante et fit quelques pas sur le chemin afin de se dégourdir un peu les jambes.

Elle s'approcha d'un pont de pierres qui surplombait un bras d'eau gonflé par la chute des neiges.

Son cœur rata alors un battement : un de leur gnome gisait sur la berge, le crâne broyé. Affolée, elle se précipita vers l'esclave mais elle dut se rendre à l'évidence : la petite créature était morte sur le coup et ce n'était pas là l'œuvre d'une bête sauvage.

Sans plus attendre, elle rebroussa chemin pour rejoindre la voiture lorsqu'on lui saisit le bras pour la jeter à terre. Tchyl poussa un cri et se défendit aussitôt par un sortilège qui vint pulvériser la face de son agresseur.

L'homme tomba à la renverse, mort. Son cadavre se décomposa aussitôt, signe de son appartenance à la race astrale.

Tchyl tremblait encore : elle venait de tuer pour la première fois de sa vie. Et sans doute pas la dernière car trois autres hommes apparurent, vêtus d'armures rustiques et de capes déchirées par les âges.

— Regardons ce que nous avons là, ricana le premier, une femelle. C'est inédit.

— Elles sont pas moins sauvages que les mâles. Elle vient de buter Falbor.

— On la prend avec nous, elle est mignonne.

Toujours au sol, Tchyl recula sur les fesses, prête à recourir une nouvelle fois à son Vala.

Les astres ricanèrent et matérialisèrent leur bâton catalyseur pour la soumettre. Mais leur initiative fut stoppée par l'arrivée fracassante de Draël qui abattit son énorme marteau de forgeron sur la tête du premier. Le sang gicla en même temps que le crâne s'écrasa.

Les pouvoirs de l'elfe firent immédiatement face à ceux des astres alors que le corps à corps commençait.

La rage de Draël ne trouvait aucun obstacle à sa concrétisation : on avait osé s'en prendre à l'être le plus cher à ses yeux, le seul pour qui il nourrissait une réelle affection. Il entra dans une transe meurtrière et en quelques secondes, il extermina les assassins.

Hélas, une dizaine d'hommes apparut au-delà du pont.

— Cela faisait longtemps que nous n'étions pas tombés sur des oreilles pointues aussi coriaces. Pourtant, ce ne sont pas des soldats.

Les narines de Draël frémirent de colère. Il se positionna devant sa femme alors que cette dernière se relevait.

— Que faisons-nous, chef ? s'enquit celui qui semblait être le sorcier, nous gardons les deux ?

— Oui, le mâle me paraît parfait même si son parfum est déconcertant. Quant à sa compagne, j'ai des contacts à Arminassë qui pourraient être intéressés.

Ces mots étant dits, l'astre s'avança sur le pont et fit claquer ses lourdes bottes sur les dalles de pierre. Il était colossal, avec une encolure de taureau et des épaules aussi large qu'un pilori.

— Je suis Tarcenya, se présenta-t-il avec un sourire narquois sous son épaisse barbe mal taillée, je suis le chef du clan Berserk. Je vous propose de vous rendre immédiatement afin d'éviter des blessures inutiles.

— Allez en enfer, cracha Draël en refermant ses doigts sur son marteau.

— J'ai encore quinze hommes plus loin. Tu ne pourras affronter leur Vala et leurs lames tout en protégeant ta femme.

Tchyl se mordit les joues, prête à faire savoir à ce barbare ce dont elle était capable.

Draël serra la mâchoire et entra en télépathie avec Tchyl :

— « Enfuis-toi, je vais les retenir. Je te rejoindrai au plus vite. »

— « Il n'en est pas question ! Je ne te laisserai pas. Ton Vala est instable. »

— « Nous n'avons aucune chance de nous en sortir face à une vingtaine de guerriers. Si nous nous échappons par la forêt nous aurons l'avantage et ils ne pourront pas nous suivre. C'est notre seul moyen de survivre. »

— « Très bien. Mais ne prends pas de risques inutiles. »

Tchyl tourna les talons et se précipita vers la lisière de la forêt. Les exclamations et les déflagrations derrière elle donnaient un clair aperçu du déroulement du combat.

Mais avant qu'elle ne disparaisse dans les taillis, elle se rappela qu'elle ne pouvait fuir sans ses médicaments. Le bébé ne survivrait pas longtemps sans eux.

Aussi vite qu'elle put, elle se précipita dans la voiture et s'empara des potions. Elle s'assura de ne rien oublier et s'extirpa de la roulotte avant d'être attrapée au vol par deux hommes.

— Reste-là ma jolie, menaça l'un des deux en glissant une lame sous la gorge tendre, il serait dommage que je supprime une créature angélique comme toi.

Tchyl gronda, cherchant un moyen de se débattre. Malheureusement, des fers antivaliques lui furent passés aux poignets.

La panique s'empara alors d'elle. Et si Draël perdait face aux astres ? Qu'allait-il devenir d'eux ? Allaient-ils les tuer pour récupérer leurs os et leurs organes ?

Son état ne s'améliora pas lorsqu'elle distingua son mari chanceler au loin. Une blessure au flanc laissait couler des flots de sang et il s'effondra, incapable de tenir plus longtemps. Les Berserks le ligotèrent et le traînèrent jusqu'à la voiture.

Tarcenya s'approcha de l'elfe blessé et lui assena son poing dans la figure, aussitôt suivi par une avalanche de coups :

— Ça, c'est pour avoir tué trois de mes hommes, saleté de gnome. Y a intérêt à ce que tu me rapportes plusieurs milliers d'écus !

Draël grogna, le visage ensanglanté. Il était sur le point de perdre connaissance. Surtout qu'avec ses chaînes, il ne pouvait recourir à une magie régénératrice.

— Chef, intervint le sorcier, ne l'abîmez pas trop.

— C'est ton rôle de le soigner, Solsar. Vous autres, éliminez les esclaves, ils ne valent rien.

Les cris des gnomes arrachèrent une grimace de pitié et de terreur à Tchyl. Leurs pauvres serviteurs furent massacrés sans hésitation et les hommes s'amusèrent même avec leurs dépouilles avant de les brûler.

Ils étaient tombés aux mains de monstres et ils devraient à tout prix s'échapper pour éviter un sort funeste.

Mais pour l'instant, ils dépendaient tous deux de la volonté de Tarcenya.

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