Chapitre 18
Comme convenu, une femme de chambre fut attribuée à Tchyl. Bien sûr, un contrat confidentiel empêchait toute divulgation compromettante hors de la maison close.
Hardvar avait recruté Nastik pour sa discrétion et son manque évident d'attrait féminin ; l'astre affichait un visage peu symétrique, doté d'une bouche tombante et d'un nez légèrement aplati. Lorsqu'elle souriait, ses gencives rouges tranchaient sur la blancheur de ses dents désordonnées.
Maintenant plusieurs jours qu'elle s'affairait à l'apprêtement de l'esclave. La timidité qu'elle éprouvait envers la mystérieuse créature ne tarda pas à se transformer en curiosité.
Mais elle n'osait parler à l'elfe. Cette dernière ne lui adressait aucune attention et ne cachait guère son mépris.
Tchyl ne détestait pas Nastik pour autant : cette dernière effectuait correctement son travail dans les appartements reculés au sommet de la Félicité.
Un ennemi bien plus contraignant entra dans le quotidien de l'ancienne apothicaire : il prenait le nom de Likouy.
Likouy était la camériste engagée par Hardvar, bien célèbre auprès des prostituées de la capitale. Son amitié auprès du maquereau l'avait menée à accompagner l'elfe dans son nouveau rôle, non sans toucher une coquette commission à chaque passe.
En réalité, elle avait été mère maquerelle pendant de longues décennies et après l'établissement de sa fortune, elle conseillait les courtisanes dans leurs carrières licencieuses.
La grande astre à l'abondante chevelure frisée n'éprouvait pas la moindre pitié pour l'esclave. En plus de lui fournir des toilettes et des bijoux sophistiqués et de s'assurer de sa santé, elle devait lui apprendre la vie de fille de joie.
Tchyl ne s'appliquait aucunement à la tâche et se permettait même de l'invectiver.
— Tu es ma pire élève, siffla Likouy, si tes phéromones n'enivraient pas autant les clients, ils se seraient tous enfuis !
— Vous n'avez qu'à trouver une autre femme pour satisfaire les habitués de la maison.
Likouy secoua la tête en brossant les cheveux noirs de l'elfe. Ils étaient bien plus faciles que son abondante tignasse blonde.
Dans la cuve d'eau parfumée, Tchyl endurait les sermons de sa maîtresse intransigeante :
— Des gnomes comme toi sont trop rares sur le marché. Hardvar ne se débarrassera jamais de toi, surtout avec les sommes sur tu engranges.
— Si j'ai déjà tant de valeur, je ne verrais pas pourquoi je changerais...
— Parce que tu es une esclave. Si tu ne souhaites pas endurer de nouveaux coups de fouets, tu as intérêt à m'écouter et changer d'attitude avec les clients
Un voile d'amertume couvrit le visage de Tchyl. Son dos lacéré la lançait mais elle refusait de laisser transparaître sa douleur.
— Ces hommes me révulsent, je ne m'habitue pas à leur présence.
— J'ai observé tes derniers rapports, tu ne suis pas mes conseils. Tu restes toujours aussi passive au lieu de témoigner de l'affection et de l'entrain avec les clients.
Les épaules de l'elfe se relevèrent dans un frisson de dégoût. Likouy lui saisit la main pour commencer une manucure soignée :
— Hardvar m'a assuré que tu avais un compagnon avant d'arriver ici. Il t'avait même infestée, j'en déduis donc que tu couchais avec lui. Y mettais-tu plus du tien ?
— Cela ne vous regarde pas. Et puis, ce n'est pas comparable ; j'étais consentante.
— Ah oui ? Moi qui pensais que les femelles de ta race étaient violemment soumises. Dans ce cas, tu n'as qu'à reproduire cette intimité avec tes nouveaux partenaires.
Tchyl détourna la tête. Draël n'avait jamais été vraiment son amant. Ils avaient été des associés avant tout pour le bon fonctionnement de leur commerce. Par la suite, à force de voyager tous les deux et de partager leur quotidien, ils avaient fini par fléchir à leur penchant naturel et une liaison charnelle s'était ajoutée à leur vie.
À cause de son instabilité émotionnelle, son mari n'avait jamais su lui apporter la chaleur qu'elle méritait. Elle s'était contentée du respect mêlé à une tendresse maladroite et sans doute, cela suffisait-il à leur couple. Ils allaient même former un véritable foyer avec l'arrivée de l'enfant.
Infestée ? Voilà le terme utilisé par les astres en évoquant les grossesses. Après tout, c'était un concept qui leur était étranger.
— Peu importe, conclut Likouy, tu accueilleras un nouveau client demain. Il est capable de dépenser de véritables fortunes dans les bordels ; tu as intérêt à le rendre dépendant de toi.
— J'ai encore trop mal...
— Cesse de geindre, tu n'avais qu'à mieux recevoir les clients. Si je juge ta prochaine prestation convenable, je t'épargnerai le fouet.
Tchyl se tut et attendit que sa maîtresse finisse de lui peindre les ongles.
Comment pourrait-elle jouer un pareil rôle alors que le dégoût la dominait à chaque rapport ?
Peut-être pourrait-elle trouver des potions pour duper ses partenaires ? Hélas, elle n'avait accès à aucun produit pharmaceutique...
Mais le docteur ? Rehtan pourrait l'aider. Après tout, il semblait la prendre en pitié et l'affectionner. Par son biais, elle obtiendrait les ingrédients nécessaires.
Perdue dans ses pensées, elle quitta la cuve et partit se sécher dans le boudoir. Likouy la suivit avec un bol de boulettes vertes :
— N'oublie pas d'avaler ça. Tu es encore trop maigre.
Sous les yeux attentifs de l'astre, Tchyl ingéra ces ignobles mixtures, peu convaincue par leur efficacité.
Nastik apparut alors avec une toilette soignée sur les bras, bien différente des tenues de Calca. Ici, le tissu ne tenait que par l'enlacement de chaînes et de bijoux autour du corps fluet de l'elfe.
Dans le miroir, elle observait davantage ses blessures que l'éclat de ses parures et de son maquillage. Les lacérations du fouet s'ajoutaient aux bleus et aux brûlures des précédents rapports.
Comme appelé par sa détresse, Rehtan apparut dans le reflet, chargé de sa mallette de médecin.
— Likouy ! s'étonna-t-il, j'ignorais que tu proposais votre expertise à la Félicité.
— Hardvar m'a appelé pour former ce laideron squelettique à satisfaire les habitués de la maison. Tu tombes bien, elle est blessée.
Le mage se mordit les joues, mécontent que sa petite fée soit si amochée. Il avait pourtant mis en garde Hardvar.
— Tu peux te retirer, Likouy. Je vais m'occuper d'elle.
— Mouais... Ne t'attarde pas trop avec elle. Tu ne t'appelles pas Bourses Vides pour rien.
— J'ai des difficultés à gérer mes dépenses, la gestion de ma fortune ne te regarde pas.
La camériste leva les yeux et quitta la suite. Les rencontres avec le fameux mage avaient été nombreuses par le passé, déjà lorsqu'elle était maquerelle. C'est vrai qu'il n'avait jamais su fructifier ses écus. Rehtan avait toujours préféré vivre au jour le jour, de bordel en bordel, d'une catin à une autre.
Mais toujours avait-il apporté du baume aux corps et aux cœurs des filles.
— Bonjour Tchyl, navré pour ma longue absence...
Il sortit un sachet en velours de sa poche et lui tendit :
— J'ai trouvé un artefact qui pourra neutraliser ton parfum.
L'elfe délassa la bourse et fit tomber une bague dans sa paume.
— Merci.
Elle la glissa à son annulaire droit et se tourna vers le médecin :
— Tu vois une différence ?
Rehtan ébouriffa ses mèches blanches comme pour se concentrer. L'odeur pernicieuse qui troublait les sens avait certes disparu mais ce n'était que pour laisser place à une évidence plus frappante : il avait toujours autant envie de goûter l'étreinte de la femme.
— Eh bien... Je note un certain changement.
Tchyl haussa un sourcil et s'approcha du médecin avant de caler sa main entre ses jambes
— Non, rien ne change.
— Tchyl ! Qu'est-ce qu'il te prend ?
— Désolée, j'oublie que tu n'es pas un client.
Rehtan ne s'attendait clairement pas à des gestes aussi déplacés de sa part. Il ne tenait pas à ce qu'elle découvre en plus dans quel état elle le mettait.
— Bien, lâcha-t-il pour ne pas laisser planer le malaise, montre-moi les dégâts.
Tchyl hocha la tête et s'empressa de s'asseoir sur un tabouret rembourré pour lui montrer son dos.
— Likouy a toujours maltraité les prostituées mais j'avoue qu'elle me surprend encore.
— C'est parce que je suis une elfe. Elle me déteste. Elle ose même m'injurier sur mon physique alors qu'elle est elle-même affreuse.
Rehtan sourit et posa sa mallette pour en sortir les onguents nécessaires :
— Tu n'as pas tort. Elle n'aurait jamais pu concourir au rôle de courtisane royale. Toi en revanche, si tu n'avais pas les oreilles pointues...
— Apparemment, je suis aussi trop mince. Dans mon pays, la plupart des femmes sont comme moi. Je vais commencer par croire que votre reine, soi-disant magnifique, est obèse.
— Haha, non, Luinil mérite sa réputation. N'écoute pas les remontrances de Likouy, tu es parfaite.
— Je vais rougir.
Les flux valiques se répandirent sur la peau de la blessée pour refermer les plaies. Le guérisseur peinait à cerner l'elfe mais quel plaisir de la voir s'ouvrir doucement aux dialogues.
Elle se leva avec grâce et s'allongea sur le lit afin que Rehtan puisse inspecter les autres lésions. D'un mouvement faussement pudique, elle cacha ses yeux derrière son bras, comme si elle craignait voir la Honte surgir face à elle.
Ce geste amusa Rehtan qui se contenta d'appliquer les soins sur les zones sensibles.
— Rehtan ?
Il leva la tête. C'était la première fois qu'elle prononçait son prénom.
— Oui ?
Elle se releva et tira sur sa robe pour couvrir son intimité :
— Pourrais-je te demander de me fournir en plantes et métaux ?
— Pourquoi ?
— J'étais apothicaire dans ma vie précédente. Je créais des potions pour les armées elfiques. Je voudrais pouvoir me soigner.
Rehtan rétorqua :
— Hardvar ne voudra pas. Il m'emploie à te soigner. S'il apprend en plus qu'il peut t'exploiter en vendant ta production au gouvernement, crois-moi qu'il ne se gênera pas.
— Mais je ne peux pas compter toujours sur toi ! Tu passes tes journées dans tous les lupanars de la capitale.
— Tu n'écoutes pas ce que je te dis.
— Hardvar pourrait être content que je trouve des remèdes contre les maladies vénériennes qui touchent la maison close. Je me limiterai à cette tâche.
— Ah maintenant, tu veux me voler mon travail.
Tchyl claqua des mains :
— Je sais ! Tu me fournis, je concocte, et tu en profite pour guérir les prostituées.
Rehtan se mordit la lèvre : si sa protégée se révélait capable de trouver un remède au virangue et à la lèpre noire, il pourrait capitaliser dessus et enfin amasser une certaine fortune. Tchyl deviendrait sa poule aux œufs d'or... Plus que le maquereau, ce serait bien lui qui userait des talents de sa petite fée. Et s'il la séduisait en prime, il pourrait coucher avec une créature sublime.
Mais pourquoi proposait-elle un tel échange de procédés ? Cherchait-elle à le piéger ? Probablement...
— Tu me compliques la tâche si tu veux qu'on collabore...
Elle haussa candidement les sourcils :
— N'as-tu pas envie de me côtoyer davantage ?
— Tchyl, essaierais-tu de me séduire ?
— Le terme « essayer » ne convient plus...
Elle bascula la tête sur son épaule droite et sourit de toutes ses dents. Sa longue chevelure d'ébène cascadait de part et d'autre de sa poitrine, captant les reflets rosés de la chambre.
Rehtan demeura subjugué par l'étincelle de provocation qui luisait dans les prunelles cendrées de sa protégée. Le mettait-elle au défi ?
Il devait saisir sa chance. Délicatement, il lui prit la main et déposa ses lèvres sur la peau. Comme elle ne témoigna aucune opposition, il se pencha vers elle et l'embrassa avec douceur. Il n'était pas question que Tchyl le considère comme les autres hommes qui la maltraitaient.
Emporté par son élan, il bascula sur le lit avant que sa forte corpulence ne surplombe le corps gracile de sa partenaire. Ses mains glissèrent sous la robe et se posèrent sur la peau satinée de Tchyl. Le frisson qui parcourut ses hanches était de bon augure aussi décida-t-il de saisir ses cuisses pour les relever de part et d'autre de ses flancs.
Il savait qu'elle pouvait changer d'avis, se rétracter à tout moment avant de passer à l'acte. Aussi s'empressa-t-il de se défaire de ses vêtements et de venir tâter l'intimité de sa conquête.
Heureusement pour lui, Tchyl s'ouvrit à ses caresses et par sa langueur lascive, l'invita à se montrer plus attentif à son envie. Pourquoi se gêner plus longtemps alors qu'elle en demandait ?
Pour la première fois de sa vie, Rehtan se fondit dans la chair d'une elfe.
C'était un voyage vers la luxure dont on ne revenait pas indemne.
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