Chapitre 41
Avant l'aube, les deux voyageurs reprirent la route. La capitale approchait et les premières habitations humaines se dessinèrent aux détours de la roche rouge du désert.
Ils n'évoquèrent pas leur union de la veille ; une certaine distance venait de se creuser. Talvy le déplorait mais elle ne pouvait guère changer la donne : même s'il ne le disait pas, Dorgon se sentait offensé et il ne ferait aucun pas pour réparer les morceaux de leur relation.
En réalité, le Caprice se sentait misérable d'avoir pensé que le chambellan le respectait. Il s'en voulait d'avoir nourri une simple affection pour elle et la honte de sa naïveté l'accablait. En fin de compte, hommes ou femmes, les astres restaient les mêmes détraqués. Talvy feignait juste le contraire car elle se sentait moralement supérieure.
Dorgon recouvrit sa tête d'un foulard afin de se dissimuler. Pour ne rien améliorer, il avait encore épuisé ses provisions.
L'astre lui tendit son propre repas :
— Je n'ai pas faim, prends-le.
— Ça ira.
Elle poussa un long soupir et insista :
— Dorgon... Je suis désolée pour hier. Je ne pensais pas que tu le prendrais ainsi.
Il ne se donna pas la peine de répondre, le regard toujours perdu dans l'horizon.
— Oui, je voulais coucher avec toi, reconnut-elle, mais je désirais aussi te réconforter.
— Tu n'as pas à te justifier, Talvy. J'avais remarqué ton attirance pour moi. Tu as simplement écouté tes envies.
— Mais je n'ai jamais eu l'intention de te forcer. Je refuse de me montrer si égoïste.
— Peu importe, crois ce qui te chante. Je t'ai ouvert mon cœur, je t'ai parlé de mon passé et tu as piétiné ma douleur.
— Alors c'est comme ça que tu me vois ? Comme les brutes du palais des Sables ?
Il haussa les épaules comme s'il ne se formalisait aucunement de l'incident.
— Ne sois pas triste, Talvy. Si tu veux réitérer nos ébats tu connais le chemin de la tour Soleil. Je ne m'opposerai pas à ta présence, tu le sais bien.
— Tu ne t'opposes jamais au roi et ses proches non plus...
— En effet.
Le cœur de Talvy se déchirait. Elle avait tout gâché. Pire, elle n'arrivait pas à se convaincre d'abandonner cette relation. Elle avait enclenché une dépendance vis-à-vis de l'elfe. Une nuit ou l'autre, elle viendrait frapper au pavillon du Caprice pour revivre cette extase, qu'il le veuille ou non.
Le silence retomba sur eux et ils chevauchèrent ainsi jusqu'à pénétrer dans les quartiers insalubres des humains. Les champs de bettaria s'étendaient au loin, laissant flotter ses effluves peu soutenables.
Les femmes et les enfants présents s'écartaient des deux cavaliers, méfiants. Hormis les vieillards, les hommes s'absentaient aux champs.
Dorgon ne les observa même pas. C'était pourtant la première fois qu'il plongeait parmi cette race si faible.
Mais ses pensées revenaient à son retour chez les astres. Les violences recommenceraient de plus belle. Tout son être lui hurlait de s'enfuir. La voix pernicieuse de la marque lui chuchotait l'ordre à suivre.
Bientôt, les murs titanesques de l'enceinte apparurent. Les échos métalliques des armées traduisaient la présence des troupes d'Arminassë. Les deux voyageurs rencontreraient l'état-major sous peu et ils se camouflèrent chacun, l'un dissimulant son visage, l'autre ses courbes.
En effet, en se rapprochant des colonnes de soldats, ils tombèrent sur les deux généraux.
— Monsieur le Chambellan ! s'exclama Dodam, nous vous attendions ! Je suppose que vous avez des explications quant à votre triste disparition.
— En effet, Général. Le Caprice est témoin du complot infâme dans lequel j'ai été piégé.
— Le roi sera curieux de vous entendre...
Gelavon jeta un œil vers Dorgon et ajouta :
— Tu commences à devenir indispensable. Non seulement tu sauves mes hommes, mais en plus tu secours notre chambellan.
— Je n'accomplis que mon devoir, Général.
— Je voudrais que tous les hommes à la capitale partagent votre courage et votre force.
Ces éloges peu communs surprirent le Caprice qui ne répondit pas. Malheureusement, elles attirèrent Ninkë, suivi de deux eunuques portant un coffre.
— Démonia soit loué, vous revoilà sains et saufs.
— Ninkë, salua Talvy d'une voix plus grave, le roi a-t-il eu vent de notre retour ?
— Tout à fait, il vous attend aux portes du palais. Votre carrosse vous attend.
— Parfait. Dorgon, accompagnez-moi encore jusqu'à sa Majesté : je souhaite que vous soyez là lorsque je lui témoignerai vos actes de bravoure.
L'intendant grinça des dents.
— Une minute, Caprice. Il y a un présent pour vous.
Il s'écarta pour laisser s'avancer les deux eunuques.
— Qui dois-je remercier ?
— Un admirateur.
Le coffre s'ouvrit alors sur un magnifique manteau de fourrure. Les rayures noires tranchaient sur la rousseur du pelage. L'elfe observa la tête empaillée du félin pendant de longues secondes.
— Vous ne le mettez pas ? s'étonna faussement l'intendant.
Dorgon n'esquissa pas le moindre geste. Pour rien au monde, il ne désirait donner à Ninkë le plaisir de le voir craquer.
Voyant qu'il ne réagissait pas, l'astre saisit le vêtement encore imprégné de l'odeur du tanin et le tendit au concerné.
— N'avez-vous jamais adoré les tigres ? Nos soldats vous disent tout aussi redoutable.
Talvy resta bouche bée, choquée de l'initiative sordide de l'intendant. Mais à la surprise de tous, le Caprice garda son calme et saisit le manteau pour le mettre sur ses épaules :
— Vous avez raison, Ninkë. Je suis le tigre d'Atalantë, le Caprice du roi Nilcalar. Sans moi, vous seriez toujours à combattre dans ce défilé maudit ou peut-être seriez-vous déjà morts.
L'amant officiel esquissa un sourire nerveux. La dépouille de Topaze n'était autre qu'une menace à l'encontre du Caprice en plus de vouloir l'humilier. L'acte cruel et intimidant n'avait pas impacté Dorgon.
Il refusa de monter dans le carrosse du chambellan.
À l'inverse, il reprit place sur selle et talonna Fouly vers le palais.
Sur sa route les légions attendaient le signal pour pénétrer dans l'enceinte. Elles s'étaient séparées en deux pour laisser se dessiner une allée assez large vers les portes.
Dorgon s'y engouffra au galop. Aux coups effrénés des sabots contre le pavage, les soldats relevèrent la tête. En coup de vent, le cavalier fila entre les rangs, surprenant alors l'armée entière de sa présence.
Des cris s'élevèrent parmi les hommes. Les glaives et les boucliers furent brandis au passage du Caprice.
Emportés par l'élan de sa monture, Dorgon leva le poing et récolta les clameurs des guerriers qu'il avait sauvés quelques jours plus tôt. Il avait remporté leur soutien. Ils l'admiraient, le respectaient et désiraient le découvrir.
À mesure qu'il remontait l'allée sous les galops cadencés, vêtu de la fourrure flamboyante, il gagnait sa plus grande victoire. Il n'était plus seulement l'esclave du roi. Comme aucun vainqueur avant lui, le triomphe qu'il arborait se gravait dans les esprits. Il était le héros de cette guerre, un ange envoyé de Démonia pour les guider.
— Gloire au Tigre d'Atalantë !
Les ovations couvrirent la capitale.
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