Chapitre 39

Le soleil avait déjà bien entamé sa course lorsque les deux prisonniers furent trainés hors de la tente pour être attachés dos à dos, au centre du campement. La vue de l'elfe provoqua un regroupement immédiat et les voix s'élevaient pour exiger un dû à leur supérieur.

Quant à Talvy, la révélation sur son sexe poussa les prêtres du culte à vouloir la lapider.

Javar se chargea donc de calmer ses hommes, expliquant que le chambellan se révélait coupable de tromperie et de haute trahison et qu'il serait mené à la capitale pour y être jugé et exécuté après torture publique.

Pour ce qui est du Caprice, le courtisan hésita à la marche à suivre. Dans tous les cas, il ne comptait pas le ramener à Atalantë et voulait s'en débarrasser plutôt rapidement.

— Je me demande combien nous pouvons en tirer, spécula-t-il avec un prêtre.

— Sa carcasse a plus de valeur s'il est entier. Mais les plus gros acheteurs risqueraient de nous dénoncer pour le meurtre de l'esclave royal. Il est plus prudent de le découper, de séparer tous les organes et de les vendre. Le mieux serait aussi de le traire le plus possible mais le temps risque de nous manquer...

— C'est bien dommage.

— Oui, surtout que nous aurions pu profiter du chambellan pour effectuer une saillie. Les fœtus d'elfes, même bâtards, valent une fortune.

Cette conversation peu ragoutante n'échappa pas à l'ouïe développée de l'elfe qui grimaça d'écœurement.

Javar s'avança vers la fosse des hyènes et murmura au mage :

— Je crains que nos hommes refusent son exécution.

— Ce n'est pas à eux de décider.

— Ce sera plus fort qu'eux. Le Grand-Prêtre lui-même a changé d'avis après avoir soumis le Caprice à ses envies.

— Certes. Mais il y a un bémol.

— Lequel ?

— Les soldats et la plupart des prêtres ignoraient qu'il y avait des elfes à la capitale ; nous allons devoir acheter leur silence. S'ils développent une forme d'addiction en forniquant avec le gnome, ils se tourneront vers le Harem et exigeront du roi qu'il l'ouvre pour laisser un plus large accès à ce genre de plaisir.

— J'aurais dû buter cet elfe dès le départ...

Mais en attendant, il ne pouvait plus se défiler face aux astres avides. Déjà pendant les derniers jours, Javar avait été contraint de gérer les ébats excessifs qui se répétaient dans le campement, poussé par le parfum aphrodisiaque de l'elfe.

Le courtisan avait finalement plutôt envenimé la situation mais mine de rien, les missives accusatoires étaient traduites et il pourrait enfin obtenir une place de choix auprès de Nilcalar.

Il s'approcha de Dorgon et lui releva le menton pour croiser son regard lumineux :

— Je ne sais pas encore quoi faire de toi, le gnome. J'hésite à t'attacher au cou comme un chien et laisser mes hommes faire le reste.

Ces mots étant dit, il enroula une chaine autour de la gorge du prisonnier, le détacha de sa codétenue et le tira devant les soldats et prêtres :

— Je vous le laisse. Faites-en ce que bon vous semble.

Dorgon se demanda alors s'il n'allait pas littéralement se faire démembrer par cette meute à la concupiscence poussée à son extrême. À ce moment, ses pensées se percutaient dans son esprit, cherchant un moyen de se sortir de cette mauvaise passe ; en réalité, les soldats commencèrent à se battre pour obtenir leur trophée et les mages en firent de même, transformant le campement en champ de bataille.

C'était un chaos sans nom. Dorgon les avait totalement enivrés et la violence avait été trop longtemps contenue avant d'exploser.

Dans tout ce désordre innommable, la terre commença à trembler. Et pour cause, une vingtaine de cavaliers masqués déboulèrent dans l'oasis et commencèrent à pulvériser les adeptes de Démonia.

L'elfe en profita pour se défiler. Il rejoignit Talvy, toujours ligotée, et la souleva dans ses bras avant de courir vers les bosquets les plus proches afin d'échapper à l'attaque. Mais avant qu'il n'atteigne sa retraite, un guerrier d'une tête de plus que lui, l'arrêta en lui glissant son sabre sous la gorge, pile au-dessus des maillons de la chaine.

— Pose-la immédiatement, le gnome, ou je tranche ta ravissante frimousse.

Dorgon s'exécuta et laissa délicatement Talvy reprendre l'usage de ses jambes engourdies.

— Merci Jenny, soupira-t-elle, je croyais que tu m'avais abandonnée.

Le guerrier retira son heaume et dévoila le visage sévère d'une femme à la carrure imposante. Sans baisser son arme sous le menton de l'elfe, elle s'adressa à l'astre :

— Jamais je ne t'aurais laissée aux mains de cette vermine. Qu'est-ce que je fais de ce gnome, je lui décolle la tête ?

— Dorgon n'est pas un ennemi, il voulait m'aider.

Le concerné foudroya l'inconnue de ses yeux dorés. S'il était aussi impulsif il l'aurait sans doute éliminée sans peine.

Derrière, il comprenait que le combat prenait une tournure plutôt avantageuse : les prêtres et les soldats se faisaient massacrer et il ne pleurerait pas leur mort.

— Tu t'es acoquinée avec un elfe ? releva Jenny avec suspicion, tu as tort, ce sont des violeurs sauvages...

Elle n'eut pas la rapidité suffisante pour échapper au poing du Caprice. Froidement, il s'attaqua à elle, actionnant ses griffes métalliques pour lui lacérer le visage. Le chambellan eut juste le temps de les séparer pour éviter les effusions de sang :

— Ça suffit !

Jenny repoussa son adversaire et reprit ses positions. Ses canines dépassaient légèrement de ses lèvres entrouvertes.

— Il est avec moi, Jenny !

— C'est un fou furieux, oui.

Dorgon prit ses distances :

— À qui ai-je l'honneur ? gronda-t-il, une vampire à l'aura incertaine qui ne sait pas de quoi elle parle ?

Jenny s'esclaffa :

— Je suis en effet une vampire. Mais avant tout, je suis Jenny, fille de Loumi, héritière du trône d'Atalantë.

L'elfe croisa les bras. Voilà donc à quoi ressemblait la belle-fille de son maître, la bâtarde au sang de lumbars. Peu étonnant qu'elle soit si grande et qu'elle ressemble à un barbare du grand nord avec sa longue chevelure brune et ses tatouages tribaux.

— Et toi, nabot ? Qui es-tu à accompagner Talvy de la sorte ?

— Je suis Dorgon, le Caprice de Nilcalar.

La guerrière le toisa un instant avant de lâcher :

— L'homme que nous devions supprimer ? Tu es la pute du roi ?

— Son esclave, plus précisément. J'ai le devoir de ramener le chambellan à la capitale.

Ils se percèrent du regard et la demi-astre finit par capituler :

— Bien, on reparlera de tout ça une fois que le ménage sera fait. Mais sache que je te tiens à l'œil, le gnome.

Sur ces mots, elle rejoignit le combat, laissant les deux compagnons derrière elle.

— J'ignorais que la fille de la reine mettait son nez dans les affaires d'Atalantë.

— Elle compte revendiquer son titre de princesse et restaurer la Maison du Créateur ainsi que le statut des femmes. Malheureusement, Démonia lui donne du fil à retordre.

Les oreilles de Dorgon se dressèrent de surprise. Le bracelet antivalique qu'on lui avait imposé venait de s'ouvrir pour tomber sur le sable dans un cliquetis de fer. Sur la peau cisaillée, la marque s'illuminait. Javar l'appelait pour le défendre.

Dorgon n'eut d'autre choix que de le rejoindre en se saisissant d'un bouclier et d'un glaive qui avaient été abandonnés plus tôt.

Le courtisan s'était retranché derrière une clôture avec un groupe de soldats et retenaient les assauts adverses.

— Dorgon ! éructa l'astre, je t'ordonne de liquider tous ces traîtres !

Le sang de Talvy ne fit qu'un tour. Elle savait de quoi était capable l'elfe. Il pourrait bien éliminer toute la troupe rebelle en quelques minutes, surtout s'il avait accès sans limite à son Vala.

Jenny lut dans ses pensées et avant que le Caprice ne s'en prenne à ses nouvelles cibles, la bâtarde trancha les liens anti magiques du chambellan qui usa tout aussitôt du signe de Démonia.

Deux commandements contraires vinrent alors s'imposer dans l'esprit de Dorgon.

De part et d'autre du campement, la volonté de Javar et de Talvy se confrontait. Le gagnant contrôlerait les actes du démon blond qui endurait en lui-même le conflit.

C'était comme si sa tête allait exploser. Ses dents se serraient au point d'élimer le métal doré qui les couvrait. Et puis, d'un coup, ce fut comme le lever d'une herse ou l'emballement d'une roue en pleine chute. Un ordre précis s'imposa et il se précipita vers les membres du culte. La lame se fraya un chemin macabre dans les chairs, un nuage de sang couvrit sa vision. Ses mouvements déliés purent exprimer toute leur virtuosité et le bouclier vibra sous les chocs des corps.

Quelques instants plus tard, il tenait Javar par les poignets et le traînait sur la terre friable.

— Lâche-moi, sale gnome ! Je t'ai ordonné de me protéger !

Dorgon haussa les sourcils sans se détourner :

— Le Vala de Talvy surpasse le tien. La marque m'oblige à te tuer.

Quel dommage. Toujours le tenant, le Caprice fit basculer le courtisan au-dessus de la fosse des hyènes.

— J'ai cru comprendre qu'elles partageaient ma faim insatiable, souligna Dorgon avec un sourire narquois en coin

Il referma sa poigne et fit mine de descendre l'astre plus près des fauves ricanant.

— Ces hyènes m'obéissent, rétorqua Javar en se débattant dans le vide, elles m'épargneront.

— Vérifions cela, alors.

L'elfe baissa son bras et les premières hyènes s'approchèrent de leur maître, intriguées.

Elles restèrent le museau levé vers les pieds de l'astre, montrant les crocs.

Et puis, la première sauta pour refermer sa mâchoire sur la jambe de Javar. Les autres suivirent et broyèrent les os sans se formaliser des hurlements de panique et de douleur.

Dorgon ne cessa pas de sourire, les yeux plongés dans le regard de sa victime. Javar se faisait dévorer vivant. À portée des crocs, le bas de son corps partait en lambeaux. Le liquide vital giclait dans la fosse et même sur les vêtements clairs de l'exécuteur qui ne lâchait toujours pas sa victime.

— C'est ce qu'il t'en coûte de t'en être pris à ma race, Javar. Les miens exigeaient ta fin et je leur ai juré de répondre à leur souhait.

L'agonisant ne put répliquer, ses cordes vocales s'étaient brisées. Le Caprice le fit encore descendre et cette fois-ci, les hyènes purent atteindre son torse. Lorsque l'abdomen lâcha et que les tripes se déversèrent, Dorgon lâcha et observa le spectacle jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun morceau.

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