Chapitre 38

Pendant deux jours, les captifs ne reçurent la visite que d'un prêtre, venu pour leur donner un maigre repas. Dorgon déduisit que tout ce temps passé permettait à Javar de déchiffrer les courriers codés que le chambellan échangeait avec les membres des sectes.

Mais force était de constater que la patience de l'astre blond s'épuisait. Il venait à de nombreuses reprises solliciter l'aide du fonctionnaire mais sans succès. Talvy restait de marbre et affirmait lui-même ne rien comprendre à ces signes. Javar serrait alors les poings, retenant ses hommes de torturer le coupable. Il voulait sans doute le rendre en bon état au roi afin qu'il puisse être supplicié publiquement devant la capitale entière comme il était de mise pour les traitres.

Le reste du temps, le camp subissait de lourdes tensions, en partie dues à l'elfe. Les prêtres et les soldats commençaient à exiger le corps du Caprice pour étancher leur envie croissante. Le courtisan restait cependant ferme et interdisait toute intrusion dans la tente.

Dorgon passait donc sa journée auprès de Talvy à supporter la chaleur étouffante ainsi que les rires stridents des hyènes. Ils ne conversaient guère malgré leur entente cordiale car chacun des deux était angoissé pour des raisons propres. Le caprice nota cependant que d'étranges odeurs émanaient de son comparse sans qu'il ne réussisse réellement à identifier ces effluves particuliers.

Un soir, Javar déboula dans la tente, les lettres en main. Des soldats du culte le suivaient d'un pas menaçant et Talvy comprit immédiatement que la situation allait se corser. Le temps s'était écoulé.

— Sale traitre, tu vas nous donner immédiatement la clé pour traduire ces missives.

— Elles ne m'étaient pas adressées... Je n'en comprends pas le sens.

Javar le gifla bruyamment et la tête du chambellan vint cogner celle de l'elfe.

— Je suis las, Talvy. J'ai retenu ma colère mais ma patience a été suffisamment éprouvée.

L'astre se pinça les lèvres et se recroquevilla contre le poteau, apeuré par ce que prévoyait son geôlier.

La crainte qui se lisait dans ses yeux noirs amusa Javar qui se sentit aussitôt en situation de domination absolue.

— Libérez-le, on va s'amuser un peu.

Deux gardes empoignèrent le pauvre chambellan et le jetèrent au centre de la tente avant de lui prendre chacun un bras tout en le forçant à rester à genoux.

— Lâchez-moi, bande de brutes.

— Ils vont bien te tenir, crois-moi. Maintenant, si tu ne veux pas que j'entaille ton joli visage, tu vas me donner des réponses.

Talvy se débattit sans succès et cracha à la figure de Javar qui ne tarda pas sortir son arme pour érafler la joue de sa cible. De son poteau, Dorgon observait silencieusement la scène.

— Tu sais, mon mignon, des bruits courent à la capitale que tu aurais perdu ta virilité à une orgie. Je suis curieux de savoir ce qu'il en est réellement.

Le fonctionnaire secoua la tête et se démena de plus belle pour échapper à ses bourreaux. Javar gloussa et déchira le pantalon ample du pauvre chambellan avant de s'attaquer à son sous-vêtement.

Dégouté, le Caprice ne rata rien de ce spectacle dégradant où les rires gras se mêlaient aux cris de panique. Le caleçon de Talvy était d'ailleurs suffisamment serré pour constater qu'il n'avait pas perdu ses parties génitales mais ses agresseurs ne comptaient pas le laisser s'en sortir à si bon compte.

— Ne t'en fais pas, se moqua sadiquement Javar, si tu es encore entier, je ferais en sorte que la rumeur devienne réalité. La vie d'eunuque n'est pas si terrible, tu seras même assigné au côté de ton cher Caprice.

À force de lutter, Talvy tomba à la renverse, laissant le courtisan en possession de son dernier vêtement. Ainsi que d'une ceinture interne qui simulaient ce qu'il lui manquait physiquement.

Javar tira la tête : sa victime, à même le sol, s'empressa de cacher son intimité, terrorisée. Talvy n'avait pas d'organes masculins, pas plus qu'il était eunuque.

— C'est une saloperie de femme !

Encore choqué par cette découverte, Javar vint frapper le crâne du chambellan de son pommeau ce qui l'assomma sur le champ. Ensuite, pris dans une rage de s'être ainsi fait berner à l'image de toute la cour d'Atalantë, il s'accroupit au-dessus du blessé et lui arracha le haut de sa tunique ainsi que les bandages qui enserrait sa poitrine. Là aussi, le constat fut sans appel. Il s'agissait bien d'un corps féminin.

— Ça me dégoûte ! Emmenons cette trainée aux hyènes.

— Monsieur, nous avons besoin d'elle pour connaitre la réponse à ces lettres.

Javar se ravisa. Il profita du fait que Talvy reprenne conscience pour lui attraper les cheveux et la tirer fermement devant l'elfe :

— Je sais que tu apprécies l'esclave. Si tu me donnes la clé, je l'épargnerai.

La femme se débattait encore, désespérée d'avoir été mise à jour.

Dorgon haussa les sourcils. Cela arrangeait bien ce gigolo prétentieux de le garder en vie : tous ses hommes lui mettaient la pression pour pouvoir enfin s'accoupler avec lui.

— Dis-moi, le gnome, c'est pour ça que tu avais de l'intérêt pour notre chambellan ? Parce qu'il a une chatte ? Tu le savais, n'est-ce pas ?

— Je l'ignorais, répondit-il posément, je n'ai jamais eu à contenter Talvy.

— Bien sûr, elle se serait trahie... Je comprends parfaitement pourquoi elle collabore avec les sectes : ça ne lui a pas plu que le culte de Démonia supprime toutes ses petites amies et relèguent les survivantes aux tâches les plus ingrates du royaume. Tu as bien caché ton jeu, ma belle.

Talvy cessa de lutter, préférant cacher sa nudité. Javar s'amusa de cette pudeur et lui susurra à l'oreille :

— Dis-moi comment traduire ces lettres. Non seulement je sauverai les oreilles pointues de ton ami, mais en plus, je te laisserai du leste cette nuit pour pouvoir t'amuser un peu avec lui. Tu dois en mourir d'envie après avoir supporté un tel aphrodisiaque si longtemps. En revanche, décide-toi rapidement.

Le haut-fonctionnaire hocha la tête en reniflant. Après quelques secondes de silence particulièrement lourd, elle donna la résolution de l'énigme.

— Tu vois quand tu veux... Allez, donnez-lui un vêtement, qu'elle cesse un peu de nous imposer son corps affreux. Attachez-lui un seul poignet, ce sera suffisant.

Talvy s'empressa d'enfiler sa nouvelle tunique et fut rattachée au poteau précédent. Elle se mordait la langue, et griffait le sol, furieuse contre elle-même.

Dorgon se pinça les lèvres pour retenir quelques mots. Il ne savait quoi ajouter, de toute façon. L'astre avait trahi le gouvernement puis ses véritables alliés pour sauver un simple elfe. Bien évidemment, d'autres facteurs l'avaient poussée à faire ce choix, sans doute était-elle trop désespérée et exténuée par sa captivité.

Elle se ramassa en position fœtale et murmura :

— C'est bon, ce n'est pas parce qu'ils m'ont attaché d'une seule main que je vais en profiter pour t'abuser. Je ne suis pas comme eux.

— Tu as tort, rétorqua-t-il, demain, j'endurerai les vices de tout le campement, il n'est pas dit que je survive, en fin de compte. C'est maintenant ou jamais si tu veux me baiser.

— Tu dis ça comme si tu le souhaitais.

— Non, c'était ironique. Je préfère profiter de mes derniers instants calmes.

— Tu te laisseras mourir ?

— Je n'ai pas le droit de décéder.

Talvy se redressa :

— Pourquoi ? Tu as prêté un quelconque serment ?

— Non, c'est plus simple que ça. C'est pour protéger une personne que je dois rester en vie. Elle s'éteindrait avec moi.

L'astre hocha la tête et scruta le visage de son compagnon d'infortune. Machinalement, elle lui caressa la joue et fit descendre ses doigts sur la gorge scarifiée.

— Tu as changé d'avis, finalement ? releva l'elfe avec une pointe de sarcasme.

Elle ne répondit pas mais ses lèvres entrouvertes et ses yeux mi-clos traduisaient très bien ses pensées. Lascivement, elle bascula au-dessus de l'esclave mais ne continua pas les caresses bien que son regard rivé sous la ceinture de l'elfe fût plutôt équivoque.

— Cela fait une éternité que je n'ai pas couché avec un homme. Je serai bientôt exécutée.

Dorgon grimaça et baissa ses longues oreilles nerveusement. Il s'attendait à ce que la femme le touche intimement mais contre toute attente, elle s'écarta brusquement de lui.

— Je ne veux pas te blesser.

Le Caprice resta stupéfait ; c'était la première fois qu'on ne tentait pas de le violer. Talvy se recroquevilla dos à lui et chercha en vain le sommeil pour calmer sa peine et sa honte.

Il éprouvait de la pitié pour elle. Mais toute son histoire ne le regardait pas ; il devait avant tout trouver le moyen d'éviter le pire pour le lendemain.

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