Chapitre 32
Encore une fois, Nilcalar n'écouta que partiellement les échanges du Conseil des mages. L'accident de la semaine précédente continuait à lui polluer l'esprit. Rien que supporter la présence du Grand-Prêtre en face de lui rongeait les nerfs.
Cet homme odieux avait osé souiller son Caprice et il s'en ventait impunément devant les autres prêtres.
Nilcalar avait déjà autorisé à certains de ses proches une visite prolongée à la tour Soleil mais toujours sous son aval. Polcamitraï avait torturé l'esclave avant de le violer. Et ça, sans sa permission.
Voyant que son compagnon broyait du noir, Ninkë saisit sa main pour le ramener à la réalité :
— Majesté, murmura-t-il, nous allons bientôt rejoindre les conflits à l'Ouest. Vous devez présider la fin du Conseil.
Le souverain soupira et hocha la tête. D'ici quelques jours, il plongerait dans les combats et tous ces soucis d'offenses ne seraient plus que des détails dans sa vie. Quand bien même, il se sentait humilié par son bras-droit.
Il se hâta donc de conclure la séance. Ses pas le menèrent aussitôt à la tour Soleil. Pour la première fois, il nourrissait quelques appréhensions quant à leurs retrouvailles. Ce sentiment nouveau lui prouvait à quel point il tenait à son esclave et qu'il détestait lorsqu'on l'abimait.
Pourtant, malgré les accusations qui incombaient Javar, le roi avait couché la veille avec le courtisan. Ninkë lui en voulait : il y voyait une menace pour sa place d'amant officiel. En effet, Javar était particulièrement compétent lorsqu'il s'agissait de donner du plaisir ; c'était son travail, après tout. Par ailleurs, il était loin d'être stupide mais ce ne serait pas demain qu'il pourrait remplacer l'intendant. Ce dernier œuvrait pour la gloire de Nilcalar depuis des siècles, il faisait presque partie intégrante du roi.
De son côté, l'astre blond semblait clair dans sa manœuvre : depuis ses débuts, il comptait séduire le roi et se débarrasser de la concurrence. Nilcalar le devinait bien mais il n'intervenait pas. Il préférait s'amuser de ces intrigues de cour.
Une fois les portes du Pavillon passées, il accéda à l'île où son Caprice avait élu domicile. Le roi sentit aussitôt le parfum envoûtant de l'elfe, de quoi l'inviter à rester.
Dorgon avait sans aucun doute déjà perçu la présence de son maître, aussi vint-il à ses devants avec un étonnant enthousiasme.
— Majesté, vous avez disparu pendant une semaine !
Le roi passa la main dans la chevelure éclatante de l'elfe, agréablement surpris de le voir si jouasse.
— Tu devais te reposer. Hélas, il te reste encore quelques cicatrices.
Les oreilles de l'elfe papillonnèrent comme pour lui prouver le contraire :
— Je suis parfaitement rétabli, Majesté, sourit-il fièrement, il ne manquait plus que vous.
— Dis-moi, Dorgon. C'est ma présence que tu fêtes ou ton prochain départ à la guerre ?
— Vous, voyons !
— Alors pourquoi es-tu toujours habillé ?
Le Caprice haussa les sourcils et prit la main de Nilcalar pour le mener dans son boudoir.
Là, Dorgon fit oublier au roi sa nuit avec le courtisan. Les nombreux animaux du pavillon furent témoins des ébats bruyants qui secouèrent les murs sans la moindre discrétion ni retenue.
L'addiction sexuelle du roi put être rassasiée mais le plaisir le submergea lorsque son partenaire prit l'initiative d'inverser les rôles. Dorgon avait les reins solides, bien plus qu'on n'aurait pu le deviner, et sa hardiesse impitoyable plut à Nilcalar.
Lorsqu'ils eurent achevé leurs échanges licencieux, l'esclave se glissa dans les bras du monarque, comme pour lui montrer toute son affection.
— Quelle étrange créature es-tu, Dorgon. Tu viens de me faire l'amour et malgré ton sourire, je reste persuadé que tu me hais au plus profond de ton âme.
L'intéressé releva la tête et plongea ses prunelles mordorées dans celles du roi :
— Pourquoi vous attardez-vous sur mes pensées, Majesté ? Je ne suis qu'un simple esclave. Que je vous aime ou pas ne vous importe peu.
— Bien sûr que ça m'importe !
— Pourquoi ? Je suis votre plus grand trésor, certes, mais pas votre amant. Vous souhaitez simplement que j'affiche l'image que vous attendez de moi.
— Tu es un peu dur, je trouve. Ton histoire m'intéresse et je mets un point d'honneur sur ton bien-être.
Dorgon pouffa mais sans faire preuve de négativité :
— C'est plutôt un échec, non ?
— Je suis désolé pour l'accident. Mais pour le reste, tu es mieux logé que quiconque au palais des Sables !
— Mes caméristes me tripotent et vos sujets hauts-placés en profitent souvent pour m'abuser dans votre dos.
— Tu es bien content quand c'est Talvy qui te rend visite, non ?
— Je n'ai jamais couché avec lui... Mais il m'apporte des gâteaux à l'orange et des tourtes aux poires alors je l'aime bien.
— Mmh... Je pense que tu commences à aimer ça, Dorgon.
— Aimer quoi ?
Nilcalar profita de leur enlacement pour venir lui prendre les bourses, faisant comprendre où il voulait en venir.
— Majesté, s'il-vous-plaît...
— Tu m'en redemandes, c'est ça ? Je suis prêt à parier que tu ne penses même plus aux femmes, petit coquin.
Dorgon se mordit les lèvres et se laissa besogner en réfléchissant aux paroles du roi. C'était annoncé qu'il finirait par apprécier le contact de son oppresseur. Mais de là à désirer le rapport avec un autre homme, il en doutait fortement. D'une certaine manière, il s'en fichait. Sa sexualité avait perdu tous ses repaires si bien qu'il laissait les choses se dérouler mécaniquement. Peut-être même qu'il entretiendrait une relation amoureuse avec le chambellan ? Pourquoi imaginait-il une telle chose alors que le roi le masturbait ? Voilà de quoi donner du crédit aux paroles de Silfrig...
Ses réflexions cessèrent lorsque le roi l'embrassa fougueusement et accéléra ses mouvements du poignet pour le faire jouir. Les gémissements du Caprice furent accueillis avec satisfaction. Nilcalar y voyait une victoire. Il aimait aussi forcer son partenaire et le brutaliser mais il réserverait ce genre de rapports pour une autre fois.
Les deux hommes restèrent étendus sur le divan, le visage tourné vers le plafond.
— Tu seras mon garde du corps, déclara l'astre, tu me protégeras dans le désert.
L'elfe piocha dans une boîte à mignardises et répondit laconiquement :
— Il n'y a pas que Wendu que vous devez craindre. Dans votre gouvernement aussi, restez sur vos gardes.
— Tu ne m'apprends rien.
— Oui, Ninkë doit vous rappeler constamment vos négligences...
— Reste à ta place, vilain petit gnome.
— Je ne suis pas petit...
Nilcalar souffla par le nez, amusé par l'entêtement de son esclave. Il le laissa quitter le divan pour rejoindre les marches qui menaient aux points d'eau.
Le roi resta allongé, les sourcils froncés : comment réagirait Dorgon s'il n'était plus marqué ? Voudrait-il toujours le trucider ? Ou commençait-il vraiment à se plaire à Atalantë ?
Il voulait vérifier la chose. Et justement, Javar tomba à pic pour son expérience. Loin de vouloir se manifester au courtisan, il se contenta de rester caché dans le boudoir afin de laisser l'elfe en compagnie du nouveau venu.
— Je ne m'attendais pas à vous voir, dit simplement Dorgon dans son bassin, vous venez pour en finir ?
L'astre jeta un œil aux alentours afin de s'assurer que le gros félin ne se tapissait pas derrière un taillis.
— J'aimerais... Même si j'avoue que le sujet de ma venue est le chambellan.
L'elfe se glissa entièrement dans l'eau et nagea jusqu'au bord d'où se tenait son interlocuteur. Il cala ses coudes sur la margelle et l'écouta, les oreilles dressées.
— Vous souhaitez vous débarrasser de Talvy ?
— Ce maudit fonctionnaire est un véritable obstacle pour l'influence cléricale. Je tiens à me servir de toi pour m'en débarrasser.
— Et comment ? Je ne peux rien faire, je ne suis qu'un esclave.
— Talvy te veut dans son lit. Contente-le puis raconte au roi qu'il collabore avec la secte des Vers d'Ombre.
— Je n'aurais aucune preuve.
— J'en fabriquerai. Mais je doute qu'il me soit compliqué d'en trouver, cela fait un moment qu'il est suspecté. Ses opinions politiques le trahissent.
— J'aime beaucoup le chambellan, donc je ne tiens pas à participer à vos projets.
— Si tu refuses, je trancherai la gorge de ton ami albinos.
— Je vois...
Dans son bassin, l'elfe se contenta de scruter l'astre de son regard étincelant. Ainsi, il ressemblait à une sirène. Pernicieusement, il abaissa la barrière valique qui retenait son parfum et Javar fut aussitôt ensorcelé par les émanations de cette créature sublime.
Avec tout le maquillage et les bijoux claquants qui le couvraient, il ressemblait à la divinité d'un culte érotique.
Malgré lui, Javar tomba sur les genoux et se pencha pour approcher son visage de celui de l'elfe. D'un mouvement lent, le Caprice lui saisit les joues et l'invita implicitement à le rejoindre sous l'onde si paisible du bassin. Il était tout bonnement impossible de lutter, l'aura elfique enivrait complètement le pauvre astre déboussolé, sa beauté unique l'abrutissait.
Dorgon continuait de le tirer à lui jusqu'à ce que la voix ferme du roi tonne :
— Javar ! Recule immédiatement !
Il était trop tard. La mâchoire aiguisée du premier poisson se referma sur le cou de l'inconscient. Entraîné par cet élan sanglant, Javar perdit l'équilibre et tomba dans le lac. Le Caprice avait disparu, ne restait plus qu'un afflux de poissons carnivores, prêts à déchiqueter le corps qu'on leur offrait. Les premières gouttes de sang avaient suffi pour appeler tous les prédateurs à la curée.
— Dorgon ! ordonna Nilcalar, arrête !
Debout sur le perron, encore dégoulinant, l'elfe leva la main. Ce fut suffisant pour retenir tous les poissons, pourtant bien décidés à ne faire qu'une bouchée de leur proie. Ils tournoyèrent autour de l'astre comme s'il n'était plus qu'un bout de bois inintéressant.
— Je crois que je vais défaillir, murmura Javar en se tenant la gorge.
Dorgon gloussa, le narguant depuis sa position.
— Remerciez le roi, lança-t-il, sans lui, je n'aurais pas empêché mes poissons de festoyer.
— Sale elfe, attends-toi à ce que je bute un de tes congénères à la prochaine orgie.
Malheureusement pour Javar, Nilcalar se manifesta, vêtu de sa sublime tunique violette :
— Tu ne feras rien Javar. Pas plus que je ne condamnerai mon chambellan, il m'est très utile.
Le courtisan grinça des dents. Comment avait-il oublié de s'assurer que le roi n'était pas là ?
Sur le bord du bassin, Dorgon jubilait silencieusement. Il venait de plonger son rival dans un pétrin terrible.
Ramassant ce qu'il lui restait de fierté, Javar s'extirpa de l'eau tout en soignant sa vilaine plaie.
Nilcalar traversa la passerelle et rejoignit les deux hommes. Mieux valait déjouer une énième tentative d'assassinat.
— Majesté, salua Javar, que mes intentions ne vous trompent pas. Si je cherche à condamner votre chambellan c'est dans une démarche purement dévouée au royaume.
— Talvy m'est fidèle. Il n'y a rien à ajouter. Que le clergé n'empiète pas sur mon domaine.
Javar se mordit la langue et hocha la tête pour ne pas envenimer sa situation. Après une brève courbette, il prit congé.
— Tu allais le tuer, Dorgon.
— C'était le but... Mes poissons n'en auraient fait qu'une bouchée.
Cette simplicité glaça le sang du roi. L'expérience n'était pas parfaite mais elle répondait à ses interrogations. Son Caprice n'appartiendrait jamais à ce royaume. Il restait un elfe et considérait les astres comme une race décadente.
— N'élimine pas mes sujets, Dorgon.
— Et vous, protégez ceux qui le méritent.
Ces mots étant dits, le Caprice se sépara de son maître.
Il devait bien préparer son départ pour la guerre.
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