Chapitre 20
Lorsque Dorgon rouvrit les yeux, Alimar occupait son chevet, un livre entre les mains. Il ne fallut pas longtemps pour qu'il s'aperçoive de l'éveil du blessé.
— Tu as bien failli y passer, sourit-il, les Entités du Passé ne font pas de cadeaux, n'est-ce pas ?
Le Caprice du roi ne parvint à articuler le moindre mot. Sa gorge strangulée avait brûlé et ses cordes vocales se réparaient lentement.
— N'essaie pas de parler, le calma son ainé, laisse ton Vala régénérer tes blessures.
Bien que son corps entier souffrît de brûlures atroces, Dorgon parvint à distinguer qu'il ne portait aucun vêtement sous le léger drap de lin. Avec une lenteur forcée, il souleva le tissu et découvrit l'abomination : sa chair avait été labourée comme un champ. Des sillons profonds entamaient sa peau pour marquer d'étranges cicatrices sur tout son corps.
— Malheureusement, informa Alimar, ces marques ne disparaitront jamais. Elles s'atténueront un peu... Mais les blessures de l'Ancien Monde ne peuvent guérir par la magie de notre Âge.
La honte accablait le garçon. Il avait été jeté en pâture à un incube pour divertir le roi et sa cour. Sous leurs yeux, il avait été torturé et violé. Somme toute, un spectacle à l'image de toute cette décadence.
Même s'il survivait à tout cet enfer, il garderait pour le restant de sa vie les vestiges de son esclavage. Toujours ils lui rappelleront les abus subis.
— Tu auras remarqué que nous avons les mêmes blessures, murmura Alimar, nous sommes tous passés par là. Après tout, nous sommes un met de choix pour un démon du sexe comme un incube. Lui aussi est retenu au palais des Sables... Comment Nilcalar a-t-il pu domestiquer un tel monstre, je l'ignore...
Un regard insistant de la part du blessé fit comprendre à Alimar de lui laisser un peu de répit. Jusqu'à quand vivrait-il ce cauchemar ? Finirait-il par s'y habituer ? Mais paradoxalement, Dorgon commençait à découvrir une nouvelle joie assez particulière : celle de planifier la fin sanglante de ses ennemis. Maintenant qu'il était alité pour plusieurs jours, il laissait son esprit s'évader par des détours macabres.
Les visages de ses détracteurs se succédèrent jusqu'à ce que l'image de son frère ainé s'impose à lui. Ilnov n'était-il pas responsable de toute cette situation catastrophique ? Jusqu'ici, Dorgon ne s'était pas penché sur l'implication de son frère dans sa dégringolade en enfer. Le haïssait-il pour sa lâcheté ? Ilnov aussi devrait payer les conséquences de ses actes. Peut-être vivait-il paisiblement en Fëalocy auprès de sa nouvelle femme sans se soucier de son cadet ?
Dans toute cette tragédie, Erwon avait perdu la vie...
Pendant plusieurs jours, Dorgon demeura seul, visité de temps à autre par Alimar qui lui apportait ses repas. Wimal finit aussi par se pointer, curieux de connaitre l'état du Caprice :
— Arrives-tu à marcher, mon cher petit soleil ?
— Quelques pas depuis ce matin...
L'eunuque tapa gaiement des mains :
— Tu seras bientôt remis, c'est excellent.
— J'appréciais mon célibat...
— Ne rechigne pas, tu t'en sors très bien pour un elfe qui vient de passer sous les crocs d'un incube.
— Quelle chance !
— Tu quitteras la capitale demain, je viendrais te préparer à l'aurore.
Sans donner plus d'informations, l'eunuque tourna les talons, laissant l'esclave à ses interrogations. De la fenêtre, il remarquait le ciel se rosir. Un soufflement de lassitude le prit. Comme pour mettre un terme à sa morosité, un canari se posa sur le rebord de l'ouverture pour présenter son dernier chant.
Dorgon sourit et tendit le bras pour l'inciter à se poser sur sa main. Bien sûr, l'oiseau resta sur sa pierre et se contenta de tourner la tête avec interrogation.
L'elfe fronça les sourcils et tenta de se rappeler les leçons d'Oryana. Après plusieurs essais infructueux, le petit nuage de plumes jaunes se posa sur son index pour siffler quelques notes.
— Tu vois quand tu veux...
C'était bien la première créature douce et innocente qu'il croisait à Atalantë. Son nouveau petit compagnon sautait maintenant sur son épaule avant de venir s'installer sur la tête. Grâce à son apprentissage sylvestre, Dorgon put percevoir les émotions de l'oiseau. Elles étaient certes bien plus simples que celle d'un homme mais témoignaient d'une vive joie.
Le cœur soudain lourd de mélancolie, le jeune homme saisit son pendentif et l'ouvrit pour revoir le visage de sa fiancée. Son rythme cardiaque s'accéléra face à la colère qui l'envahissait. Pourquoi l'avait-on séparé d'elle ?
Le canari s'envola et disparut par la fenêtre. L'elfe comprit par l'odeur et la lourdeur des pas qu'un astre entrait dans ses appartements. Immédiatement, il referma le pendentif et se cala dans ses oreillers.
Le roi apparut, une mine joyeuse plaquée sur son visage.
— Dorgon, quel plaisir de te trouver en meilleure santé !
Le concerné ne tiqua pas : pourquoi ce monarque défroqué venait-il dans le sérail ? Ne pouvait-il pas se passer de son contact plus de quelques jours ?
— J'aurais été en excellente santé si vous n'aviez pas décidé de me produire sur scène !
— Garde ton regard incendiaire pour plus tard, nous partons demain dans le désert.
— Je sais.
Nilcalar s'assit sur le lit et cala sa main sous la mâchoire de son Caprice pour la lui relever :
— Tu as manqué de supprimer le Grand-Prêtre, Dorgon. Je devais te punir.
— Il voulait me passer dessus.
— J'imagine bien que ce n'est pas une perspective très engageante.
— Vous êtes le roi, vous auriez pu me gracier.
L'astre pouffa :
— C'est vrai. Mais ça m'excitait de te voir dans la fosse.
Le Caprice piqua un fard, écœuré par tant de perversité.
— Ninkë a dû être ravi, souligna-t-il, il ne vous avait rien que pour lui.
— Oui mais tu me manques. D'où ma présence ici.
C'était amplement prévisible mais Dorgon espérait encore pouvoir vivre une dernière nuit tranquille. Son maître s'allongea à ses côtés et le prit dans ses bras avant de le caler contre son torse. Inutile de se débattre ou de tenter de repousser l'importun. Les brûlures sur le corps de l'elfe lui arrachèrent quelques grimaces d'inconfort.
— Tu souffres encore ?
Il ne se donna pas la peine de lui répondre. Mieux valait laisser le souverain se baigner dans son déni. Malheureusement, il ne se contenta pas de cette simple proximité. Dorgon se mordit les joues, trop exaspéré par l'impuissance de sa volonté et la domination aussi implacable qu'obscène du roi. Nilcalar ôta le drap et se glissa vers les hanches de son esclave avant de commencer à le sucer. La seule réaction de l'elfe fut un rire nerveux ; s'il avait pensé que sa vie prendrait une telle tournure... Il détestait ce contact intime non désiré, aussi doué pouvait se révéler l'astre dans ses attouchements.
Voyant que son Caprice se fermait entièrement, Nilcalar arrêta et se redressa pour dire :
— Je m'occupe de toi et tu me rejettes ?
— Non, Majesté. Mais il m'est difficile d'apprécier encore votre générosité.
Le roi haussa les sourcils :
— Vide ton esprit et laisse-toi prendre du plaisir.
Dorgon grinça des dents mais mieux valait obtempérer. Il bascula la tête dans ses oreillers et observa le ciel de son lit pour mieux faire abstraction. Au bout d'un certain temps, il sut que le roi obtiendrait ce qu'il voudrait ; le jeune homme savait qu'il finirait par jouir. Avec regret, il ferma les yeux et visualisa une scène érotique où Nilcalar n'existait pas. Son imagination le transporta auprès d'une elfe blonde à la peau satinée. Était-ce Oryana ? Il ne tenait pas à la salir de la sorte, même par la pensée, à l'utiliser pour décrocher un orgasme. Cependant, le corps renversant de sa fiancée l'avait marqué à l'encre noire ; il ne put repousser son instinct et ces représentations licencieuses portèrent du fruit.
L'astre se réinstalla à ses côtés, satisfait.
— Tu vois, ce n'est pas si terrible, se moqua-t-il.
Dorgon le foudroya du regard. Ne pouvait-il pas simplement se taire et partir ?
L'elfe se haïssait déjà lui-même, était démoralisé et fatigué. Il se détestait d'avoir pu ainsi profiter de la relation. Même si c'était prévu dans ses calculs, son estime de lui ne le pardonnait pas.
— Et moi qui pensais que tu serais moins sauvage après t'être vidé les bourses, soupira Nilcalar.
L'esclave sourit maladroitement et considéra que cette phrase se passait de commentaire. Il reprit son souffle sans vouloir accorder plus d'attention au souverain qui trouvait le bon goût de se lécher les lèvres avant de se masturber. Au moins Dorgon eut l'appétit coupé pour un bon moment et en venait presque à remercier le Créateur de ne pas devoir contenter son affreux compagnon de débauche. À vrai dire, ses gémissements lui suffisaient déjà amplement. Il se retourna sur sa couche et tenta de trouver le sommeil tout en repensant au départ du lendemain.
Peut-être que ce voyage lui ferait-il un peu de bien.
L'espoir d'une fuite s'encrait en lui mais avec la marque, il ne pourrait aller bien loin. Qu'est-ce qui pouvait annuler le pouvoir de ces maudites arabesques ? Le Soleil d'Aldëon, aussi déchu était-il, se promit de trouver la réponse à cette question.
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