Chapitre 17

Le soleil était désormais haut dans le ciel. Le roi s'était éclipsé avec l'arrivée de l'aurore, abandonnant son esclave à son triste sort. Dorgon tira une énième fois sur ses chaînes mais sans succès.

Nilcalar aurait pu le délivrer !

Un goût amer lui restait de cette nuit. Cette fois-ci, la marque ne l'avait pas assommé et les souvenirs demeuraient nets en sa mémoire.

Il avait sciemment accepté de coucher avec son agresseur. Une nouvelle fois, son corps avait été trainé dans la boue et souillé comme s'il ne valait rien. Il ne s'était pas opposé aux désirs du roi.

Au moins, son Vala se chargeait déjà de réparer les lésions de la nuit. Mais qu'en était-il des douleurs psychologiques ? Les souvenirs récents l'accablaient, lui rappelaient sans cesse qu'il n'était même plus digne d'exister. Pire, qu'il méritait les viols qu'il subissait.

Le jeune homme se recroquevilla en position fœtale contre la tête de lit. Encore une fois, les nerfs lâchaient et des pleurs convulsifs le secouèrent. Ses poumons s'écrasaient d'angoisse : comment pouvait-il encore respirer alors qu'il s'infligeait une telle chose ? Tout son corps se liguait contre sa volonté pervertie et cette antinomie interne le dévorait.

Il avait décidé de suivre les conseils de Wimal, de se prostituer pour effleurer les arcanes du pouvoir royal. Il avait choisi de se démarquer, de surprendre et de séduire le roi pour accéder à une place privilégiée au sein du gouvernement astral. Le Conseil des mages accorderait-il sa confiance à un elfe ? Sûrement pas, encore moins aussi vite. Mais tout se construit avec le temps. Petit à petit, Dorgon parviendrait à ronger l'ordre établi, à devenir une personnalité incontournable de la cour. La politique restait le même jeu, quel que soit le royaume, quel que soit le statut ; du duc à l'esclave, les règles demeuraient similaires.

Il suffisait d'enterrer ses valeurs, son honneur et son intégrité. Ne comptait que le résultat. La vengeance.

Jusqu'où irait la perversion ? Dorgon frémit en s'imaginant apprécier le contact de Nilcalar. Il se détesterait pour cela. Mais gardant les mots de l'eunuque en tête, il décida de ne pas refuser l'opportunité quand elle se présenterait ; il n'était pas dupe, la plupart des rapports qu'il entretiendrait prendraient davantage la forme de torture pour répondre aux fantasmes ignobles des astres.

Toute cette introspection le dégoûtait. Il aurait dû découvrir cet aspect de la sexualité avec celle qu'il aimait, pas par la fomentation de calculs. Mais retrouverait-il seulement Calca un jour ? La possibilité qu'Oryana ne veuille plus de lui persistait ; un autre mari ferait bien mieux l'affaire pour son bonheur. En attendant, le jeune elfe s'imagina sa fiancée, inquiète de la disparition de son amoureux. Elle le savait vivant puisque leur lien valique si particulier transmettait toujours les battements du cœur de l'être aimé. Avec la distance, ils étaient cependant plus faibles...

Les oreilles de l'elfe se dressèrent à l'arrivée de l'eunuque. Aussitôt, il s'essuya le visage et tenta d'afficher un air neutre à son contremaître.

Wimal le détacha pour le conduire à un boudoir où l'esclave pouvait se réapprêter. Ce dernier comprit que ce rituel rythmerait ses journées. Après avoir forniqué avec le roi, il devrait se rafraichir, se soigner, s'habiller et se maquiller avant d'entamer une nouvelle course.

— Nilcalar m'a signalé qu'il voulait te présenter le palais des Sables et la capitale.

— Aujourd'hui ? N'est-ce pas un peu tôt ?

Wimal soupira et se chargea de coiffer la chevelure claire de l'elfe :

— Si, mais tu as surpris le roi. Tu l'intrigues et il te croit prêt à être exhibé devant ses sujets.

— Exhibé ? Il ne va tout de même pas...

— Non, rassure-toi. Tu garderas un foulard sur la tête, notre souverain préfère donner l'eau à la bouche à ses courtisans mais pas de les satisfaire. En dehors des orgies privées de la cour, les membres de ton espèce n'apparaissent jamais autrement que voilés.

— Le peuple affamé ne risque pas d'apprécier toute cette débauche. Surtout que si l'information courrait jusqu'aux oreilles de Calca, Atalantë serait bonne pour une guerre.

Wimal s'arrêta dans sa tâche, fixant Dorgon dans le reflet du miroir.

— Tu saisis vite les enjeux... Nilcalar devrait se méfier de toi.

— C'est lui qui insiste pour m'avoir comme Caprice.

— Oui... Il a toujours aimé jouer avec le feu. Mais vous autres, elfes, vous êtes de véritables manipulateurs, des sirènes qui nous ensorcèlent. J'espère être loin de la capitale le jour où elle tombera entre vos mains.

— Tu es très pessimiste.

— Je suis lucide. En attendant, tu subiras et tu te perdras.

Dorgon se pinça les lèvres, le cœur lourd. Le processus était déjà bien avancé.

Une fois prêt, il suivit l'eunuque dans les corridors secrets du palais. Il devinait bien que ces passages se réservaient uniquement au roi et à ses proches.

Enfin, les deux hommes débouchèrent dans un hall gigantesque où les coupoles en mosaïque creusaient les plafonds. Une végétation tropicale croissait autour de fontaines de marbre laissant l'opportunité à d'incroyables oiseaux de se poser.

Intrigué par cette architecture, l'elfe observa attentivement les moindres colonnades et arcs mouvementés. La pierre claire ne souffrait aucune tâche et la fraîcheur se préservait grâce à l'épaisseur des murs.

À son passage, Dorgon devina bien que les astres le scrutaient avec attention. Un mélange de curiosité et de crainte se reflétait dans leurs yeux sombres. Parfois, de l'antipathie se lisait, probablement due à une forme de mépris. Bien sûr, aucune femme n'était présente. Les hommes se drapaient de tissus bigarrés, de bijoux extravagants ainsi que de turbans plus chatoyants les uns que les autres.

— L'arabesque sur leur front est argentée, remarqua tout bas l'elfe.

— Exactement. Les courtisans n'ont pas le même pouvoir que l'intendant ou le roi. En ce qui te concerne, ils ne pourront pas te forcer à forniquer. En revanche, tu ne pourras pas non-plus les blesser ou les tuer.

— Je vois.

— Le roi a masqué ton aura elfique ; ils ignorent ta race. Ceci-dit, ton parfum les enivre et la grande majorité de la cour voudrait bien monter les esclaves sexuels de Nilcalar.

Dorgon ne put s'empêcher de tressaillir d'abjection :

— Donc si l'un d'entre eux a une arabesque noire, je ne pourrais pas me refuser à lui.

— C'est ça. Mais il risquerait d'encourir le courroux de Nilcalar.

Comme pour créditer ces mots, les astres se poussèrent pour laisser le passage à l'eunuque et l'esclave.

— Pourquoi les elfes ont-ils des cicatrices sur tout le corps ? Est-ce une forme de rituel auquel je vais être soumis ?

— Ils ne t'en ont pas parlé ? Tu vas le découvrir rapidement.

— Je vais y passer ?

— Oui, tous les elfes subissent ces morsures. Le spectacle amuse Nilcalar.

Cette précision ne plut guère au jeune homme mais il préféra rester sous silence. Wimal le guida jusqu'à la salle du trône. Pour ce faire, il fallut gravir le donjon central jusqu'à pénétrer dans une sorte de collégiale, au sommet de la tour. Là, l'elfe devina les membres du Conseil des mages avec leurs longues toges rouges et leurs hautes coiffes rectangulaires. Ils se tenaient près du siège royal, surélevé d'une volée de marches. La salle était habillée de splendides tapisseries aux motifs décoratifs alambiqués. D'énormes pots en bronze regorgeaient de plantes de toutes les couleurs alors que des vitraux élancés baignaient la salle dans une cacophonie de couleurs. De part et d'autre, une large rosace s'incrustait dans l'architecture.

À la vue de son Caprice, Nilcalar se leva du trône et rejoignit Dorgon sans un regard pour ses mages agacés.

— Je lève la séance, lança-t-il avec légèreté.

— Majesté, intervint le chambellan de sa voix claire, devons-nous accorder des fonds à l'élaboration des nouvelles balistes de défense ?

— Talvy, apprenez à raccrocher un peu, pourquoi continuez-vous à me parler de budget alors que je vous présente mon nouveau Caprice ?

Les membres du Conseil se forcèrent à y trouver quelque chose de positif mais Dorgon devinait bien qu'ils étaient lassés par l'inconséquence de leur monarque.

Nilcalar profita de sa proximité pour saisir le postérieur de son esclave d'une main. Dorgon écarquilla ses yeux fardés mais ne broncha pas. Il avait du mal à réaliser qu'il se faisait peloter les fesses dans la salle du trône. Wimal laissa échapper un rire discret, amusé par le décalage.

Heureusement, le roi arrêta ses gestes obscènes. L'elfe ne savait plus où se mettre, et comble du mauvais goût, il remarqua la concupiscence dans le regard des astres présents. L'eunuque n'avait pas menti : tous voudraient l'avoir dans leur couche.

Satisfait de l'envie suscité chez ses sujets, Nilcalar congédia Wimal et entraina son Caprice avec lui dans le vaste palais. Aussitôt sorti de la salle du trône, une escorte entoura les deux hommes.

— Vous faites un bien mauvais souverain, critiqua Dorgon, votre Conseil voulait aborder encore maintes propositions.

— Je fais ce qu'il me plait, je suis le roi. Et ce n'est pas un esclave impoli qui me donnera des leçons.

— Il faut bien que quelqu'un le fasse...

Nilcalar sourit.

— Tu sais que je m'attache à toi ?

— Oui, ma fesse gauche peut en témoigner.

Le roi s'esclaffa :

— Tu n'arrêtes jamais, n'est-ce pas ?

— Donnez-moi à manger pour que je me taise, je meurs de faim.

— Tu es insupportable ! Je compte te faire visiter le palais et la capitale, nous trouverons de quoi nous restaurer sur la route. Et avec modération, tu vas devenir aussi gras que mon Grand-Prêtre.

— Je ne peux pas grossir, Majesté. Et avec tout mon respect, la modération ne semble pas vous être coutumière.

Nilcalar roula des yeux et préféra ne pas surenchérir. Il montra les cours principales, la bibliothèque, la salle d'armes ainsi que les différents pavillons.

Une fois cette rapide visite passée, il emmena Dorgon jusqu'à la cour des carrosses où un attelage les attendait.

— Vous me faites trop d'honneur, Majesté. Votre temps est si précieux.

Le roi ne répondit pas à cette remarque et se contenta de sourire en coin tout en lissant son bouc de quelques jours. Le jeune garçon changeait tellement de ses habitués. Son caractère autant que son physique différaient. Une fois assis sur la banquette, Dorgon commença à ôter son foulard.

— Garde-le, ordonna Nilcalar en prenant place à ses côtés, tu ne peux t'en défaire qu'au Harem ou dans mes appartements.

Il hocha la tête. Ainsi couvert, il ne laissait apparaitre que ses yeux cernés d'un épais trait noir. Son ventre était aussi découvert et son gilet court s'ouvrait sur son torse d'où pendait son collier.

Dorgon se sentit soudain gêné d'être dans un espace restreint avec le roi ; il se demanda s'il n'allait pas en profiter.

— Votre intendant ne risque-t-il pas de vous couvrir encore de reproches, Majesté ?

— J'irai le voir ce soir, il oublie vite lorsque je lui accorde du temps.

— S'il peut aussi oublier sa haine envers moi...

— Il te déteste mais il ne refusera pas de passer une nuit dans tes bras.

— J'en frémis d'impatience !

— Arrête un peu ton sarcasme et regarde par la fenêtre.

Au-delà des grilles, Dorgon découvrit les avenues d'Atalantë. Le roi lui expliquait avec un entrain presqu'enfantin les diverses particularités de sa capitale.

Et puis, l'ombre de l'arène les submergea. Le jeune homme leva la tête depuis le carrosse pour découvrir ce monstre bâti sur le sang des condamnés. Il savait que ce lieu verrait l'accomplissement de sa destinée.

Wimal, eunuque d'Atalantë, astre

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