Chapitre 13

Dès que le roi fut parti, la souffrance imposée par la marque disparut aussitôt. Dorgon reprit sa respiration et se leva en catastrophe de la couche. Il n'avait aucune idée d'où aller mais plus que tout, il désirait quitter cet endroit. Une porte dérobée attira son attention et il s'y engouffra.

Ne pas réfléchir sur ce qu'il venait de se passer. Rien n'avait pu lui arriver. Aucun drame n'entachait le Soleil d'Aldëon.

Sa course dans le passage étroit ne tarda pas à déboucher sur un vaste séjour où chantait une fontaine. Sans y faire attention, il traversa l'espace et pénétra dans un boudoir occupé.

Deux hommes allongés sur des divans fumaient du narguilé. Malgré le maquillage prononcé et les atours excentriques, Dorgon repéra immédiatement les longues oreilles effilées.

Un silence gênant s'abattit.

— Alimar, c'est toi qui t'en occupes, souffla le premier en se désintéressant aussitôt du nouveau venu.

Le dénommé Alimar se pinça les lèvres et après avoir attaché ses longs cheveux rouges en chignon, se leva pour rejoindre le jeune garçon. L'effroi et la fatigue présents sur son visage amaigri donnaient une lecture claire des derniers événements.

— Viens, l'invita-t-il doucement, je vais te montrer ta chambre.

Dorgon le fixa de ses yeux écarquillés sans bouger d'un cil. Qui étaient ces énergumènes affublés comme des bayadères ? Après un long soupir, Alimar le prit avec retenue pour le guider dans les couloirs silencieux.

— Tu as faim ?

Il hocha la tête. L'elfe roux eut un sourire nerveux. Les vêtements blancs du jeune homme étaient à de nombreux endroits tachés de sang.

Il le conduisit donc vers une suite où un bassin d'eau chaude avait été creusé dans le sol. Des rochers et des plantes de toutes sortes l'entouraient dans une esthétique feignant un petit étang naturel.

— Quel est ton nom ?

— Dorgon...

Cette question réveilla le jeune elfe. Il eut un sursaut de lucidité et commença à paniquer en réalisant ce qu'il lui arrivait. La douleur reprit le dessus ; son corps accusait le coup après les événements de la nuit.

— Merci, je vais me laver, murmura-t-il.

— Entendu, je suis dans la pièce d'à côté.

Alimar se retira pour le laisser face à ses tourments.

D'un geste sec, il arracha ses vêtements et se précipita fébrilement dans l'eau avant de trembler de tout son corps. Quelques cris incontrôlés s'échappèrent de sa gorge. Des plaintes de rage et d'impuissance.

Pouvait-il seulement écorcher sa peau et retirer à jamais cette maudite marque ?

En fait, il voulait arracher l'entièreté de son enveloppe corporelle. Juste brûler son corps pour oublier pour de bon les évènements de la veille.

L'eau chaude le ramena au présent en lui tiraillant ses plaies ouvertes.

Dorgon pleura. Ses sanglots jetèrent les dernières pelletées sur sa fierté à jamais enterrée. Il avait tout perdu. Son avenir, sa famille, ses espoirs de bonheur auprès d'Oryana, sa carrière et son honneur.

Il n'était plus qu'un pauvre garçon qui venait de se faire violer.

D'un mouvement soudain, il sortit du bassin et attrapa le premier linge pour s'essuyer. Il se rendit compte alors qu'il n'avait plus de vêtements à se mettre sur le dos. Heureusement, Alimar entra avec une pile d'habits qu'il déposa sur un buffet.

— Choisis ce que tu veux. Je t'ai préparé un repas...

— Je ne veux pas m'habiller comme une folle.

Alimar rit à cette remarque :

— Ce n'est pas nous qui choisissons. Tu devras te maquiller aussi.

— Je ne resterai pas ici.

— Si, tu resteras. La marque t'empêche de partir.

Dorgon grinça des dents et saisit les vêtements, intrigué par leurs formes. Le pantalon taille haute se paraît d'une myriade de médaillons d'or. Un gilet jaune, sans manche, s'ouvrait sur le torse avant de s'arrêter à hauteur du nombril. Des passementeries apportaient des notes colorées sur les extrémités et des broderies de perles finissaient délicatement la pièce de tissu onéreuse. La qualité avait beau être indéniable, le porteur n'appréciait guère l'allure donnée.

— Combien d'elfes sont retenus à Atalantë ?

— Une vingtaine ? Peut-être un peu plus...

— Depuis combien de temps es-tu là ?

Alimar haussa les épaules avec nonchalance :

— Quelle importance ? J'étais le premier à arriver. Cela fait peut-être cent ans... C'est un miracle que je sois encore vivant.

Une grimace déforma le visage du jeune elfe.

— Et quel miracle ! La vie ici doit être tellement parfaite !

— Garde ton sarcasme pour après, tu en auras besoin pour relativiser.

L'elfe roux le mena dans le séjour de la petite suite où quelques féculents avaient été cuisinés avec diverses épices. Si Alimar redoutait la perte d'appétit de son compagnon, il fut rapidement rassuré car son semblable blondinet avala les trois jattes sans discontinuer.

— Comment te sens-tu ? s'enquit le plus vieux.

Dorgon l'assassina du regard. Quelle question stupide.

— À ton avis ? grinça-t-il, j'ai été capturé, enlevé, affamé et empoisonné pendant plusieurs semaines avant d'atterrir dans ce palais. Toutes mes perspectives, qui étaient fort alléchantes, sont réduites à néant.

— Je suis plus au courant de ton avenir que toi, Dorgon. Je demandais pour ton corps.

— J'ai passé une sale nuit...

— La marque nous empêche d'utiliser des sortilèges offensifs mais nous pouvons nous prodiguer des soins.

Dorgon baissa la tête. Un long frisson s'empara de son être avant que des nausées l'assaillent. Le mal était physiologique. Les souvenirs avec le roi ne quittaient pas son esprit, ils le tiraillaient sans pitié pour lui rappeler continuellement sa soumission ignoble. Il avait été souillé de la plus odieuse des manières mais le traumatisme était peut-être encore trop récent pour qu'il réalise pleinement la portée de l'acte.

— Tu étais avec Nilcalar ?

Il hocha du chef.

— Je vois... Il est possible que... Qu'il te redemande ce soir.

Cette fois-ci, l'elfe d'Aldëon secoua catégoriquement la tête :

— Non. Plus jamais.

— Dorgon. Regarde-moi. Je préfère être franc avec toi ; tu as probablement été acheté pour remplacer le précédent esclave du roi qui est mort quelques semaines plus tôt.

Il éclata en pleurs :

— Je ne peux pas. Je ne peux pas endurer cette torture.

Le regard d'Alimar témoigna d'une pitié bienveillante. Dorgon n'était encore qu'un enfant, après tout. À peine commençait-il sa vie qu'il se faisait traîner dans la boue. De quoi détruire un homme.

— Je veux mourir, conclut-il, je n'arriverai jamais à me regarder dans un miroir après ce que j'ai subi.

Alimar soupira et ajouta :

— Tu es entré dans le jeu, Dorgon. Les dés ont été lancés. Si tu décides d'abréger ta partie maintenant, tu auras définitivement perdu.

— Mais je ne souffrirai plus ?

— Oui. Mais tu laisseras tes ennemis triompher. Jamais tu n'obtiendras justice, jamais tu ne les verras payer. La vengeance est notre seule alliée. Elle nous anime, nous permet de tenir. Comprends-le bien.

Y avait-il seulement une autre issue ? Dorgon se retrouvait en terre inconnue, ne sachant des astres d'Atalantë que les rapports présents dans les bibliothèques de Fëalocy. Alimar avait raison. Les cartes avaient été rebattues, il ne lui restait qu'une option : survivre et gagner.

— Tu es ici dans le Harem, expliqua Alimar, c'est une belle prison dorée ; tu ne manqueras de rien et ne croiseras aucun astre, hormis les eunuques.

— Où sont les autres elfes ?

— Avec des membres de la cour. Une fois leur tâche achevée, ils reviendront ici. Ils finiront d'éliminer la drogue et puis repartiront pour la prochaine orgie.

— Quelle drogue ?

— Les pilules bleues d'Atalantë. Une fois avalées, elles retirent toute négativité à notre esprit et nous ne gardons aucun souvenir de ce qu'il s'est passé. Les mages nous en donnent pour limiter les suicides.

— Je vois. J'ignore si j'apprécie ou non de savoir ce qu'il m'est arrivé pendant une orgie.

— Si tu deviens le préféré du roi, tu ne pourras pas en obtenir. Il tient à ce que ses partenaires soient lucides lorsqu'il prend du plaisir.

— Comment peux-tu évoquer ses actes ignobles avec tant d'indifférence...

— Sans doute pour dédramatiser notre existence. On finit par se faire une raison.

La respiration du jeune homme se compliqua. La voix de Nilcalar résonnait encore dans sa tête, lui susurrant des insanités aux oreilles. Le contact répugnant de son corps contre le sien, les frottements et les blessures subies, tout ce mélange infâme retournait le ventre de Dorgon. Il ne pouvait endurer un tel abus une seconde fois.

— Penses-tu réellement que le roi me veuille pour lui ?

Alimar soupira et se frotta les bras avec une forme de désintérêt. C'est à cet instant que Dorgon remarqua les nombreuses cicatrices qui sillonnaient le corps de son semblable. Elles étaient larges et une intention presque artistique avait dû animer le tortionnaire car les sillons formaient des arabesques ou des lignes géométriques.

— Si tu es appelé ce soir dans sa suite, tu seras rapidement fixé...

Le deuxième elfe de tout à l'heure apparut et toqua au cadre de la porte.

— Qui a-t-il, Silfrig ?

— La cloche dorée a sonné.

Silfrig tenait un pli étroit entre son majeur et son index :

— Il mentionne le petit blondinet. Je crois que Nilcalar s'est trouvé un nouveau Caprice. Félicitations !

Alimar, esclave d'Atalantë, elfe.

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