Chapitre 10

Au Sud-est de Calca, la chaleur de l'été devenait difficilement supportable pour des créatures au Vala endormi. Heureusement pour les elfes, leur corps pouvait s'adapter contre les pires climats.

C'était bien pratique lorsqu'on n'avait d'autres choix que de porter de lourdes armures de combat.

— Aurons-nous des dragons ? s'enquit Erwon alors qu'il entrait sous la tente de son ami.

— D'ici une semaine, une dizaine de dragonniers nous rejoindra.

— Parfait. Des nouvelles de ton frère ?

Dorgon soupira et roula ses parchemins :

— Aucune, il ne semble pas prêt à réapparaître, ce lâche.

— Au moins, tu ne risques pas ta vie à sa place... Nous n'avons repéré aucun astre à des lieux à la ronde et la flotte de la reine Wendu ne se manifeste pas.

— Ce n'est pas le danger que je redoute mais le temps que je perds ici... Et j'ai l'impression de te retenir. Tu as une fiancée à découvrir.

— J'ai hâte de la voir et vivre une belle idylle à mon tour !

— Je te le souhaite.

Le silence retomba dans la tente. Dehors, les soldats se restauraient non loin de leurs montures. Malgré son très jeune âge, Dorgon avait su prouver à ses hommes qu'il était capable de les diriger sans failles. Une lourde responsabilité pour le garçon qui à l'aube de l'âge adulte, se voyait chargé de telles responsabilités. Heureusement, il ne demeurait pas la tête pensante de l'armée et restait sous les ordres des généraux, qui eux pouvaient commander par leur expérience.

Dorgon ne tarda pas à être appelé à la tente du général Gonladon, un véritable vétéran qui inspirait la crainte à la plupart des chevaliers.

Le jeune homme passa la lourde tenture écarlate, suivi de son fidèle ami.

— Mon général, salua-t-il en s'inclinant.

Son supérieur l'attendait seul, couvert de sa lourde armure. Ses cheveux blancs si familiers au peuple Fëalocen était étroitement serrés dans une longue natte. Un nez busqué et des yeux noirs perçants l'assimilaient facilement à un rapace.

— Dorgon, lâcha-t-il avec irrévérence, comment se déroule ta gouvernance ?

— Au mieux, mon général, je me suis assuré des ravitaillements et de l'entretien de nos équipements. Mes éclaireurs envoyés à l'ouest sont revenus avec des informations importantes, présentes dans le rapport que voici.

Il tendit les documents sans trembler. Gonladon le scruta de ses iris fendues et accepta les plis avant d'ajouter gravement :

— Je craignais me retrouver avec un gosse et son incompétence. J'avais entendu parler de toi et de ta place en politique et je présageais déjà la venue d'un petit morveux arrogant.

— Je suis en effet davantage destiné aux conflits politiques que militaires.

— Eh bien, t'es plutôt débrouillard, t'as une jolie gueule de gonzesse mais je reconnais que tu es efficace.

— C'est mon but, mon général.

— Bien, j'ai une mission un peu particulière pour toi. Et puisque ton ami te renifle le cul en permanence, il va t'accompagner. Nos mages ont détecté une présence anormale dans les montagnes de Dansefeu.

— Des astres ?

— Il semblerait, peu nombreux. Il s'agit peut-être d'éclaireurs mais la charge valique est bien supérieure à la norme. J'ai besoin d'envoyer quelques hommes aguerris pour me renseigner ; il s'agit peut-être d'une menace d'un genre particulier.

— Sommes-nous plus efficaces que nos éclaireurs ?

— Tu es malin, petit, je sais que tu as une bonne connaissance de la race astrale par tes études poussées. Tu es le gars qu'il me faut.

— Mon général.

Les deux jeunes elfes sortirent de la tente et rejoignirent leurs montures.

— Quel personnage imbuvable, se désola Erwon, je ne me le farcirais pas une semaine de plus !

— Il sait ce qu'il fait.

Le campement avait été dressé dans le creux d'une montagne, dissimulé par de longs pins. À l'inverse, les monts de Dansefeu se passaient de la moindre végétation, seulement de pierriers abrupts.

Les elfes profitèrent de la nuit pour escalader les versants dangereux, contrant les bourrasques chaudes. Bientôt, les chevaux ne pourraient plus suivre le dénivelé.

— Tu as repéré l'aura des astres ? interrogea Erwon.

— Ils se déplacent vers l'Est... Ils me paraissent assez lents...

Bientôt, les deux éclaireurs passèrent le premier col. Un encaissement naturel suivit leur ascension et se prolongeait par un long ravin tapissé d'un cours d'eau.

— Jamais je ne m'engage là-dedans, déclara l'elfe de Claironval, c'est le meilleur moyen pour finir sous l'assaut d'une embuscade.

— Je suis d'accord, longeons le dessus du canyon, ce sera plus prudent.

— Mmh... Il faudra faire attention aux éboulements, les glissements de terrain sont fréquents ici.

— Oui.

Ils talonnèrent les flancs de leur monture et s'engagèrent jusqu'à arpenter un des deux côtés de la gorge. Sous eux, le ravin se creusait toujours plus.

— Erwon, je ne sens plus leur aura.

— Moi non-plus, crois-tu qu'ils aient réussi à la dissimuler ?

— Ils auraient senti la nôtre ?

— Cela m'étonnerait, elle a été rendue indiscernable.

— Je n'aime pas ça.

L'avancée se poursuivit dans l'obscurité. Ils continuaient à descendre vers le Sud et plus les heures passaient, moins ils espéraient croiser cette étrange présence. Au loin, les premiers rayons du soleil commencèrent à poindre au-delà des monts enneigés.

— Faisons demi-tour, nous sommes trop loin et ne tarderons pas à être exposés.

Erwon hocha la tête et tira sur les rênes avec amertume.

Le retour pesait sur leur cœur ; Dorgon pressentait la déception de Gonladon. La mission était un échec et ils ne sauraient trouver l'origine et les sombres projets de ces astres. Alors qu'il s'abimait dans ses pensées, un crissement sourd lui fit dresser les oreilles.

— Erwon, prévint-il, décalons-nous, le sol va se dérober.

Mais lorsqu'ils entrainèrent leurs montures vers le flanc de la montagne pour éviter le glissement, les sabots des chevaux se retrouvèrent empêtrés dans un filet.

Le sang de Dorgon ne fit qu'un tour, il retira aussitôt son pied des étriers et sauta à terre. Son ami le suivit dans la foulée sans parvenir à sauver les pauvres équidés qui furent emportés vers le ravin dans des hennissements stridents.

— Ne restons pas là, s'écria Erwon, ils nous attendaient !

Ils s'élancèrent vers l'unique issue : l'extrémité du canyon. Coincés entre le flanc abrupt à droite et le gouffre de l'autre, ils n'avaient qu'un mince espace pour courir.

Une déflagration retentit au-dessus de leur tête. Une explosion souleva plusieurs tonnes de pierres qui déboulèrent dangereusement vers eux. Malgré leur agilité, les deux elfes ne pouvaient esquiver cette pluie mortelle. Un rocher percuta Erwon et l'envoya au fond du ravin.

— Erwon !

Dorgon trouva un abri naturel pour éviter l'avalanche et attendre sa fin. Ce furent les plus longues minutes de sa vie, instants où son esprit ne se détacha pas de son ami. Dans quel état serait Erwon ?

Aussitôt l'averse de terre terminée, il se précipita au bord du précipice, les nerfs noués. Sans hésiter, il s'élança dans la descente raide du canyon. Son armure comme son épée ne l'aidait pas dans sa tâche mais il s'en moquait. C'est sans plus de mal et grâce à sa nature elfique qu'il parvint en bas du précipice, dans l'obscurité la plus totale. Ses iris dorées scintillèrent immédiatement pour lui permettre de discerner les formes dans la pénombre. Avec l'énergie du désespoir, il poussa les gravats, s'acharna contre les blocs de pierre et creusa comme il put, usant parfois de sortilèges pour déblayer plus facilement. De temps à autres, d'autres rochers continuaient de s'écraser, ébranlant l'étroite cavité.

Enfin, il trouva le corps de son ami.

— Erwon !

Par miracle, il respirait encore. Il avait dû chuter suffisamment près de la falaise pour éviter l'écrasement des plus grosses pierres. En revanche, ses jambes étaient encore ensevelies, réduites en bouillie sous une strate de plusieurs tonnes. Son bras droit avait été arraché et le sang se déversait par litres.

Dorgon s'empressa de garrotter l'épaule et de prodiguer les premiers soins valiques à son ami.

— Voyons ce que nous avons là.

L'elfe se retourna aussitôt, les sens en alerte.

Une quinzaine d'homme l'observait, quelques coudées plus bas. Tous de forte corpulence, ils tenaient un bâton valique à la main, traduisant leur nature astrale. En revanche, contrairement à des soldats, ils ne portaient aucun uniforme et leurs armures comme leurs vêtements encrassés laissaient à désirer.

— Le deuxième m'a l'air en sale état, renseigna un astre encapuchonné, mais celui-ci n'a rien.

Dorgon referma les doigts sur la garde de son arme. Il ne doutait pas en la puissance de son Vala ; il avait confiance en sa force et était prêt à les affronter pour venger son ami. D'un geste sec, il dégaina son épée et se tint sur ses appuis, sur le point de leur fondre dessus.

— Il a l'air coriace, remarqua celui qui semblait être le chef, dommage qu'il ne soit pas plus amoché, assurez-vous qu'il ne provoque pas un sortilège d'éboulement et saisissez-vous de lui.

Les astres fondirent sur leur cible. Dorgon les devança et commença à faire siffler sa lame avec une virtuosité redoutable. Il passa au travers de ses attaquants et leur porta des coups fatals ; sans s'arrêter, il en isola un et lui trancha la tête avant de s'en prendre au suivant.

— Par le Créateur, arrêtez-le !

Plus vif que ses opposants, Dorgon ne se laissait pas atteindre, il esquivait les sortilèges et empêchaient ses ennemis de rejoindre Erwon. Bientôt, ce fut son tour d'avoir recours à la magie. Des éclairs fusèrent de ses mains pour venir brûler le visage des hommes qui l'attaquaient. Le sang accompagna la fumée, les cris le sifflement de l'acier et le déchirement de la chair.

Et puis, un carreau d'arbalète se figea dans le défaut de l'armure. Dorgon poussa un râle de douleur mais ne s'arrêta pas. Le combat l'enivrait, l'elfe d'acier dévoilait sa véritable nature pour tuer.

Lassé par le déroulement de son embuscade, le chef des astres brandit son bâton et pulvérisa le haut de la falaise pour provoquer un énième éboulement. Tant pis s'il devait perdre d'autres hommes, si ça continuait, tous ses sbires périraient de la main de ce démon blond.

D'énormes blocs s'abattirent. Dorgon se précipita contre la paroi pour éviter les dégâts mais son épaule fut fracturée par une chute mal évitée. L'effroi le suivit lorsque son regard se porta vers son ami. Il était coincé sous l'éboulement précédent et ne pouvait se protéger de celui-ci ! Les plaintes faibles d'Erwon parvinrent à ses oreilles bourdonnantes, l'appelant une dernière fois. Leurs regards horrifiés parvinrent à se croiser avant qu'un craquement sec finisse l'amitié dans un écrasement impitoyable. Il ne restait plus rien d'Erwon.

La tête de Dorgon commença à tourner. Sa vue se floutait et sa respiration ne parvenait plus à approvisionner ses poumons d'oxygène. Il était plongé dans un cauchemar sans fin.

Et puis, un coup dans la nuque l'envoya alors au sol.

Les survivants s'étaient regroupés autour de lui, leurs bâtons pointés sur lui.

— Putain d'elfe ! Il a éliminé sept d'entre nous !

L'encapuchonné retira le heaume du coupable et le frappa violemment. Dorgon cracha du sang pendant qu'on l'enchainait.

— Tout ça pour un seul gnome ! le deuxième n'est même pas récupérable.

— Arrête de chialer, Solsar, on en tirera un bon prix.

Le chef siffla ses hommes pour annoncer le départ. Comme Dorgon ne se montrait pas vraiment enclin à collaborer, les astres le plongèrent dans un profond coma, là où ses cauchemars ne pouvaient rivaliser avec la réalité.

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