Un jour sans fin

Un grand merci à nos écrivains
VikkiJRomanoff , _hypnoseMayarahneeDragoness_BlueypertextEm_esse , MysterioShaanmed

Ci-dessous, la phrase de départ :

Je m'extirpe du lit en quatrième vitesse, je n'ai pas entendu mon réveil. Très en retard, j'enfile ma tenue, préparée la veille, et sors dans l'urgence, claquant la porte derrière moi.

Stressée, j'essaie d'arriver le plus rapidement possible, sans m'étaler au sol, à mon arrêt de bus. Malheureusement, c'est seulement à vingt mètres de celui-ci que je le vois partir. Fait chier.

Je l'observe s'éloigner, la respiration saccadée, la panique dans le regard et les mains posées sur les genoux.

Penchée, je regarde intensément mes jambes, me demandant si elles sont capables de courir et me porter jusqu'au lieu de rendez-vous. Finalement, je me décide.

N'écoutant que mon courage - et surtout ma petite voix intérieure qui assure qu'arriver en retard le premier jour de classe n'est pas une riche idée - je fuse en direction du lycée. Néanmoins, je n'ai pas fait cent mètres qu'une voiture stoppe à mes côtés.

— Où tu vas comme ça ? clame un vieil homme d'une voix bourrue, une main négligemment posée sur le volant.

Je fais mine de ne pas le voir et recommence ma marche effrénée. Malheureusement, il me suit et je finis par m'arrêter, levant les yeux au ciel.

— Papa c'est bon ! Je n'ai pas besoin de toi ...

— Arrête de dire des bêtises et monte, ce n'est pas vrai que ma fille sera en retard dès le premier jour, maugrée-t-il, bourru.

Je soupire, résignée, et ouvre la porte de la voiture avant d'y prendre place.

— D'accord, d'accord, amène-moi si tu y tiens tant que ça. Par contre, tu pourras, s'il te plaît, me déposer un peu avant l'école, je finirai à pied le reste du chemin.

Il ne doit pas savoir ce qui se passe là-bas, après tout, ça vaut mieux pour tout le monde...

Plus les kilomètres passent, plus mon angoisse se forme. J'en connais chaque signe par cœur. La forte chaleur qui entoure mon corps, le poids sur mes épaules, le nœud à l'estomac m'empêchant presque d'avaler ma salive, c'est lorsque que la voiture se stoppe que je comprends, je suis devant les portes de mon enfer...

J'essaie de garder un visage impassible, mais mes traits grimacent et me trahissent sûrement, car mon père se retourne, m'interrogeant du regard. J'évite de croiser ce dernier en baissant la tête et en essayant de sortir le plus rapidement possible du véhicule, mais j'oublie que les portières sont fermées. La discussion s'impose.

— Bon, tu ne crois pas que tu pourrais un peu lâcher prise, non ? commence-t-il, le visage neutre.

— Gnnnh, c'est la rentrée, tout le monde a la boule au ventre, me défendé-je sommairement.

— Les élèves, ouais, sûrement. Mais toi, ma p'tite, t'es plus de ce côté-là...

— C'est bon, papa, laisse-moi. J'aime pas l'école, c'est pas nouveau, et de toute manière tu n'y comprends jamais rien, et là tu me mets la honte devant tout le monde, et j'ai juste envie d'être seule pour le moment alors laisse-moi, laisse-moi sortir, je te dis ! J'ai besoin d'air !

Mon père se renfrogne en regardant devant lui, vexé, mais ne se cantonne pas au mutisme.

— Je suis désolé, ma chérie, mais pourquoi être devenue professeur si tu n'aimes pas l'école ? Pour suivre les traces de ta mère ?

On y est donc, ce moment où il décide de me prendre en traître à quelques secondes du début de l'enfer que j'ai décidé de m'imposer.

— Fallait vraiment que tu la mêles à tout ça ? m'exclamé-je. Oui, c'est à cause d'elle, je ne pouvais quand même pas lui refuser.

Les larmes me montent aux yeux alors que lui me regarde avec tendresse et affection.

On dit souvent pour plaisanter qu'un professeur est une personne n'ayant pas trouvé la sortie de l'école. Moi, je l'ai trouvée, et j'étais heureuse d'en être sortie. Mais j'y retourne, en hommage à ma mère, et même si mon père a des doutes sur le bien-fondé de cet acte, je compte bien y arriver. La sonnerie de la cloche retentit, interrompant mes pensées, je dois y aller sinon je serais en retard.

– Ça va aller, je gère maintenant. Il faut vraiment que j'y aille, ok ?

Mon père acquiesce, mais je vois à son visage qu'il n'est pas convaincu du bien fondé de cette décision et je suis certainement du même avis que lui... La pire décision de ma vie...

Le sentiment de protection que m'offrait la voiture - bien que j'essayais de faire croire le contraire - s'efface doucement à la vue de la haute grille de l'entrée du lycée, et des nombreuses personnes debout devant, attendant la sonnerie du début des cours. Tétanisée, je n'arrive qu'à avancer de quelques pas et de me frayer un chemin entre les élèves que lorsque j'entends le véhicule s'éloigner de moi, mon père me lançant un petit "bonne chance".

Le poids qui oppresse ma poitrine ne me lâche pas, pourtant je continue d'avancer entre ces adolescents aux regards scrutateurs. Pas facile de camoufler notre faible différence d'âge alors que je n'ai même pas eu le temps de passer par la salle de bain. À tous les coups, ils se demandent de quel côté de la barrière je me trouve.

À la place de me rassurer en me disant que la faible différence d'âge me permettra de me rapprocher d'eux et d'être plus complice, ça me stresse énormément. Est-ce qu'ils vont me prendre au sérieux, m'écouter, me respecter ? C'est en plein doute, la boule au ventre et les mains toutes tremblantes que je m'efforce tant bien que mal d'atteindre une zone qui me semble, au premier abord, plus sûre : la salle des profs.

Enfin, plus sûr ... Mes années d'études n'ont pas été les plus belles et les plus engageantes. La plupart des profs ne m'aimaient pas vraiment, on n'aimait pas les enfants des autres profs. Et pour ce qui était des élèves, on n'aimait pas non plus les enfants des profs.

— Wendy, c'est toi ?

Je me tourne et vois Madame Dutoit, mon professeur de musique, la seule qui a été une sorte d'inspiration pour moi.

— Bonjour, madame, souris-je, timide.

— Je t'en prie, appelle-moi Rose. Après tout, nous sommes collègues maintenant.

— Euh... d'accord. Alors, bonjour, Rose... dis-je doucement, sûrement trop doucement...

Punaise, je suis une véritable professeure maintenant, je dois avoir confiance en moi. Si je n'arrive pas à vaincre cette espèce de timidité devant elle, alors que je la connais, comment pourrais-je m'en sortir face à des élèves dont je ne connais rien ?

– Je suis tellement contente ce n'est pas tous les jours que deux de vos anciens élèves deviennent professeurs dans le lycée où on leur a enseigné, dit-elle avec un immense sourire aux lèvres.

– Deux ?

– Ben alors, salut, bouclette. Retour aux sources ?

Non. Tout sauf lui...

Mon expression se ferme immédiatement à l'entente de sa voix. Je l'ai comme gravée dans la mémoire, et les souvenirs m'envahissent très vite tandis que je me retourne, lentement, pour lui faire face.

— Toi...

— J'aurais jamais cru que tu choisirais cette voie, poursuit-il, un rictus torve au coin des lèvres.

Mon dieu, il n'a pas vraiment changé, l'arrogance lui colle toujours autant au train...

— Je n'aurais jamais cru que tu aurais pu choisir cette voie, maronné-je, plus pour moi-même que pour réellement être entendue.

Me détournant à la recherche du calme, je me dirige vers une chaise, posant mon sac et vérifiant silencieusement que je n'ai rien oublié. Quelques souvenirs me reviennent en mémoire, je me revoie en classe, écoutant relativement attentivement l'enseignant tandis que Chris, à côté de moi, n'arrêtait pas de discuter avec son meilleur ami.

Ce mec était le mec le plus insupportable que je connaisse et m'humilier devant les autres était son activité favorite. Il n'avait, d'ailleurs, à l'époque, aucun respect pour l'équipe enseignante. Qu'est-ce qui avait bien se passer dans son petit crâne pour qu'il soit là aujourd'hui ?

— Pourtant, j'étais destiné pour l'enseignement, Wendy, m'explique-t-il, sourire charmeur aux lèvres. Et si mes souvenirs sont exacts, tu ne me détestais pas autant, avant...

Il a bien raison, le bougre. Chris a longtemps été l'objet de mes désirs, jusqu'à ce qu'il me brise le cœur par un beau soir d'été.

Je n'ai été qu'une conquête pour lui, qu'un trophée de plus à son palmarès de coureur de jupons égocentrique, beau et vicieux connard avec une âme pourrie jusqu'à la moelle. La colère que je ressens à son égard semble avoir brisé, du moins momentanément, ma timidité lorsque je réponds d'une voix empoisonnée :

— Destiné pour l'enseignement ? Ton visage et ton apparente chaleur ne suffisent absolument pas pour ce poste, t'as dû taper dans l'œil de celle qui t'a donné le poste, rien de plus...

Le regard qu'il m'envoie me confirme que, comme au lycée et malgré notre statut actuel, les hostilités semblent une nouvelle fois lancées. Fière de mon coup, je me désintéresse de lui, ou en tout cas d'apparence, et me concentre sur l'amas de feuilles rangées dans mon sac, contenant certains cours préparés la veille.

À mesure que je parcours mes fiches, l'angoisse tente de reprendre le dessus, mais je la chasse dès lors qu'une masse s'affale sur la chaise à côté de moi.

— Bon, je crois qu'on est partis sur de mauvaises bases. C'est la rentrée, non ? Faisons table rase, qu'est-ce qu'en t'en penses ?

— Table rase, tu te fiches de moi ? Après tout ce que tu m'as fait ?

Il me regarde d'un air innocent, comme si toutes les promesses qu'il m'avait faites, les moments passés ensemble, notre difficile rupture (pour moi en tout cas), son harcèlement incessant n'avaient jamais eu lieu.

Peut-être que je suis trop coincée dans le passé, mais je m'attache beaucoup à tous ces petits détails, insignifiants pour les autres.

— T'abuserais pas un peu ? On était des gamins.

Je ris jaune, c'était il y a même pas cinq ans.

— T'en es toujours un Chris, je ne vois aucune évolution.

Il n'a quand même pas tout à fait tort et comme je souhaite que cette rentrée se passe bien, je décide de mettre de l'eau dans mon vin.

— Ok, admettons que tu dises la vérité, on fait quoi ?

Son regard devient tout à coup pétillant.

— C'est simple, tire un trait sur ce qui s'est passé et concentre-toi seulement sur tes élèves, au besoin, nous pourrons nous entraider.

La fin de sa phrase semble presque hypnotisante, il veut seulement qu'on fasse chacun de notre mieux avec nos élèves, alors pourquoi ai-je ce sentiment oppressant que je ne dois absolument pas écouter ses paroles ?

Mon expérience m'a appris, bien malgré moi, à ne surtout pas lui faire confiance. Mais même en sachant cela et en ressassant tous les mauvais souvenirs, je reste extrêmement tentée par ses paroles. Peut-être que c'est le seul moyen de m'éviter un poids en plus de tous ceux que je porte.

Défiante, je hoche vaguement la tête alors que retentit la sonnerie indiquant le début du premier cours. Alertée, je me redresse d'un bond et file sans demander mon reste, Chris sur mes talons. Bordel, il va la jouer sangsue, en plus...

Ah, ça m'énerve ! Il ne pourrait pas me lâcher un peu, plutôt que de me coller aux basques comme une sangsue ? J'en ai marre, marre, marre ! Je n'aime pas ce job, je n'aime pas Chris, je n'aime pas l'école, et pourtant je suis obligée d'être là, dans ce lieu détesté. Enfle en moi une puissante frustration que je réfrène depuis des années, l'envie de me libérer, de tout briser, d'être simplement moi-même sans avoir besoin de toujours me soucier du regard des autres !

Mais est-ce l'endroit pour craquer ? Un jour de rentrée ? Comme ça ? Certainement pas, je vais encore devoir me contenir. Ou retarder mon arrivée dans ma salle de classe pour laisser retomber le volcan qui bouillonne. Oui, je vais faire ça, de toute façon je ne sais même pas où est ma salle de classe.

Je traverse les couloirs, monte des escaliers, les redescends, jusqu'à ce que Chris me stoppe.

— T'as fini ? Avoue au moins que tu ne sais même pas où tu vas.

Non, mais lui... Soupirant, je me dirige finalement vers ma salle de cours, y entre et lui referme la porte au nez. Je regarde mes élèves et leur dis :

— Ok, tout le monde debout, vous allez me faire votre cri le plus primal et après on va commencer.

Je m'exécute en premier, me laissant complètement aller.

Momentanément surpris, les élèves profitent néanmoins de cette demande saugrenue de ma part pour crier à s'en décrocher la mâchoire. Attends... non non non, je me frotte les yeux, stupéfiée. Ça va, rien d'anormal, ils n'ont évidemment pas fait tomber leur mâchoire. C'est juste un mirage causé par le stress, enfin, c'est sûrement ça...

Légèrement désarçonnée, je me dirige vers le bureau pour y poser mes affaires. Et si ce n'était toujours pas assez réel pour moi, ce geste ne fait que concrétiser encore plus l'idée que je suis professeure, me donnant un nouvel élan et une confiance bienvenue.

— Bon. Maintenant qu'on a exorcisé notre trop plein d'émotions, on va pouvoir commencer. Je suis Wendy Bernier, maître en alchimie élémentaire. Vous avez choisi cette spécialité pour votre seconde année, et manque de bol, vous êtes tombés sur moi.

Étrangement, je ressens une certaine fierté, ma mère aurait été fière de moi. Occuper le même poste qu'elle, à un si jeune âge, j'étais bien sa fille. Les élèves en face de moi ne me semblent pas indestructibles et peut-être même que je finirais par y prendre goût.

— Sortez votre grimoire et votre meilleure plume. Je veux un petit texte sur tout ce que vous connaissez du sujet. Savoir si j'ai affaire à des petits plaisantins ou des personnes déterminées.

Je ramasse les feuilles des différents élèves, où ils ont, durant presque une heure, tentés de regrouper ce qu'ils savaient sur ce sujet, et ce n'est pas fameux, mais alors pas du tout.

Heureusement que je suis quand même passionnée par l'alchimie, sinon je n'aurais jamais atteint le grade de professeure, mais quand même, voir leur savoir si bas me fait me demander si tout le monde est vraiment là par choix...

— Ils vous manquent beaucoup d'éléments basiques sur l'alchimie, je veux bien que vous ne soyez pas des génies, mais je m'attendais quand même à beaucoup mieux...

— Il me semble qu'il n'y a que la pratique pour parfaire les connaissances. Mettez vos blouses. On entre dans la bain dès aujourd'hui.

Lire leurs petites fiches ne m'a pas découragées, bien au contraire. J'ai l'envie et l'espoir de leur faire aimer ce que j'enseigne, comme le faisait ma mère.

Les expressions marquées par l'appréhension, les élèves enfilent leur blouse et commencent à tripatouiller les différents contenants devant eux. Maladroits, interrogateurs. Réprimant un soupir, j'affiche un visage neutre et commence par une salve de définitions. Si je n'aime pas être là, je me suis promis de suivre ma décision jusqu'au bout. Ces imbéciles apprendront, de gré ou de force.

— Euh... Madame, pourquoi ça fume, là ?

Je me retourne brusquement vers l'élève, paniqué, qui se recule vivement avant que ça ne lui explose au visage malgré lui. Mon cœur fait un bon, mais je sais d'avance que rien de grave n'est arrivé. Je ne commence pas par les pratiques les plus dangereuses, ça serait mettre des cochons devant un festin.

— Voici une erreur à ne surtout pas faire, grondé-je.

Mais cette explosion anodine est seulement le début de la catastrophe. Ébranlées par celle-ci, les autres préparations explosent, l'une après l'autre, dans un infernal brouhaha. La salle de classe, ou du moins ce qui en reste, est enfumée, enflammée, transformée en une espèce d'enfer vivant. Je sens ma tête tourner et ma conscience vaciller avant de sombrer dans le néant.

Un sursaut, une voix familière, une main tendue vers moi, me forcent à me lever. Je regarde autour de moi et vois que je suis dans ma chambre, mon calendrier indiquant la date du 10 janvier 2020, date où j'ai choisi de devenir professeure en hommage à ma mère. Ce "cauchemar" encore présent dans mon esprit, je décide de ne pas y aller. Peut-être vais-je regretter, peut-être cet avenir que j'ai vu doit être et sera le mien, mais en tout cas, ça ne sera pas pour aujourd'hui...

Car après tout, tout commence par un rêve, n'est-ce pas ?

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