Par-delà le mur de la déraison

Merci à nos écrivains :

Mayarahnee, MysterioShaanmed, BeatriceLuminetdupuy, Em_esse, TomRenan, _hypnose et ypertext.

[En gras, la phrase de lancement]

Les rayons du soleil viennent lui chatouiller le visage. Elle se lève tranquillement et descend dans l'immense salon du manoir, calme à cette heure—ci.

Un sourire étire ses lèvres alors qu'elle contemple les reliquats de la soirée de la veille. Sur la table, des verres renversés, des bouteilles à demi vides, des gribouillages à la va—vite.

Le manoir, un endroit si magnifique, sûrement magique, où le temps semble inexistant. La soirée d'hier est finie, mais celle d'aujourd'hui commencera bien assez tôt, remplissant, à nouveau, de vies et de joies ce manoir qui semble sans fin.

En attendant faut ranger tout ce foutoir, et qui c'est qui s'y colle ? Moi, bien sûr. Puisqu'ils dorment tous les fêtards. Sûr, ils en ont pour le reste de la journée à décuver.

Je secoue la tête et m'attèle à la tâche, jusqu'au moment où je me prends les pieds dans les jambes de Philibert. Un grognement sourd me répond.

— Mais qu'est-ce tu fais ? demande-t-il, l'air bougon.

— Pardon pardon pardon, je suis désolée, je t'avais pas vu...

Mais je sens bien qu'en fin de compte, ma réponse n'a aucune importance, car il semble replonger dans un sommeil profond presque aussi rapidement qu'il en était sorti. J'avance tant bien que mal, quand tout à coup quelque chose attire mon attention dans le fond de la pièce. Oh non...

Le mur blanc semble s'être transformé. Les tableaux, auparavant accrochés, sont à terre alors que, devant mes yeux, se dresse l'œuvre d'art des fêtards de la veille. Était-ce de la peinture ou autre chose, mais le mur se cache à présent derrière des couleurs vives et des traces de mains, de doigts, de pieds et de formes que je n'arrive pas à distinguer. Choquée, mes mains rejoignent ma bouche quand de celle-ci sort un cri de surprise.

On va me tuer. Enfin, il va me tuer. Je vais me faire massacrer. Parce que je sais très bien qui a foutu ses sales mains partout, les copines du lycée. Il est encore en train de se prélasser dans nos draps mais je sais que je ne réussirais jamais à tout retirer avant qu'il ouvre un œil. Je suis foutue. Ou alors je réveille les filles pour m'aider à tenter de dissimuler les dégâts. Oui, je vais carrément faire ça.

Sans perdre de temps, je fonce dans la cuisine, attrape quelques bricoles avant de revenir auprès des loques avachies sans grâce sur les canapés. Martelant la louche contre la casserole, je braille à qui mieux mieux :

— OHÉÉ !! ON SE BOUGE !!

Les paresseuses ne veulent pas se lever, même avec ce bruit résonnant dans leurs oreilles. Quelques fracs de casseroles plus tard, tout le monde est sur le pied de guerre, heureusement qu'elles se sont réveillées à temps, ma patience est connue pour se consumer rapidement, et mon calme avec lui...

— Allez au boulot, détergents, saut, eau chaude, brosse à récurer....... On se bouge ! Mon cri résonne et plusieurs se tiennent la tête en grimaçant. Mais je n'ai aucune pitié, tant pis pour les gueules de bois, je ne les lâchent pas d'une semelle, alors qu'ils s'activent....

En deux temps trois mouvements, les lieux sont purifiés. Quel soulagement... Les choses étaient mal parties, mais nous avons su faire corps pour régler le problème. Soulagée, je passe dans la cuisine pour me servir un verre d'eau et pour souffler un peu. Mais lorsque je retourne dans la pièce, que je croise le regard médusé de tous mes amis, je porte mon attention sur l'objet de leur étonnement. La pièce est de nouveau sale, exactement comme si nous n'avions rien fait...

— Mais c'est quoi ce délire ?!

Le mur est tout aussi coloré qu'avant. Les traces de peinture ne sont pas parties, comme gravées et indélébiles. Je jette un coup d'œil suspicieux à mon verre d'eau, comme espérant voir une substance hallucinogène y faire son apparition. C'est de la folie. Est-ce vraiment de la peinture ? Où se cache la caméra ?

Je me retourne vivement vers les autres, tout aussi perturbés. Il n'est pas possible que nous soyons face à une hallucination collective, pas autant.

— On est d'accord que nous venons de nettoyer tout le bordel ? s'exclame Charles, un des amis de l'énergumène qui dormait encore comme un loir.

— Je te le confirme, répond sa copine à ses côtés.

D'un même mouvement tout le monde hoche la tête pour appuyer ses dires, oui, nous venons de tout nettoyer et pourtant tout est encore là.

Une seule explication possible à ce foutoir. Lui. Il a encore fait des siennes avant de filer se pieuter à l'étage ! Rageusement, je tourne le dos aux filles, encore médusées, et emprunte la direction de l'escalier. Ça ne va pas se passer comme ça !

Je monte l'escalier, me dirigeant vers sa chambre, persuadé qu'il est le responsable du capharnaüm d'en bas. Oui, c'est certain. Je monte, je monte, je monte, pensant à ce que je lui ferai suffire lorsque je l'aurais atteint. Mais une chose étrange se passe, j'ai beau monter depuis déjà quelques instants, l'étage ne semble pas se rapprocher. Je me frotte les yeux, c'est mon imagination, oui, ça ne peut être que ça, c'est certain, quoique...

C'est pas vrai ! C'est quoi ce plan ? Des murs soudain coule une substance liquoreuse rouge sang, une minute, c'est réellement du sang ! Mon cœur bat si vite, de la sueur dégouline dans mon dos. Il n'a pas osé quand même !

Non, je refuse d'y croire, mais alors un doute plane dans mon esprit. Je dois en avoir le cœur net, c'est alors que d'une main fébrile je touche le fameux liquide. C'est chaud, mais qu'est-ce que c'est ? Voulant aller au bout, pour ne pas avoir le moindre doute, je mets mon doigt dans ma bouche et c'est alors qu'en goûtant la substance, je réalise avec horreur...

Que c'est en fait une crème de tomates!!

— Mathias, bord'aile de merle! Qu'est-ce que t'as foutu à mon manoir? crié-je à pleins poumons en tapant sur la porte.

Je ferme les yeux, me concentre assez fort et continue de monter, pour finalement me retrouver à l'étage et devant sa porte.

— Réveille-toi espèce d'andouille!!

— Arrête de gueuler, laisse-moi dormir.

Sa voix étouffée derrière la porte me paraît tellement loin, comme plongée sous une tonne d'oreillers. Ça ne fait qu'ajouter de la fureur au brasier qui me donne déjà envie de casser le bois présent devant moi.

— Ouvre-moi, tout de suite !

Mon bras toque plusieurs fois et assez fort pour faire trembler les murs, mais, comme pour me narguer, ses ronflements de tracteur me parviennent toujours clairement.

Il se fout de ma gueule, c'est pas possible. J'ai soudainement une idée lumineuse et bascule sur la porte à côté, celle de la salle de bain, qui n'est pas fermée. Voilà l'avantage avec les manoirs, de multiples portes qui rejoignent de multiples pièces. Je traverse rapidement la salle de bain pour déboucher sur la chambre en ouvrant grand la porte. Malheureusement je viens m'écraser contre quelque chose de dur. Dur comme de la pierre. Je recule de deux pas, déboussolée et fait face à un mur de parpaings, dressé sur le seuil de la porte. Plus de chambre.

Mais qu'est-ce que...

— Mathias ?!

— Ouais..., résonne la voix du vaurien derrière le mur.

— Tu m'expliques comment un mur de parpaings a poussé en une nuit ?!

Un ricanement me parvient, et l'incompréhension se mêle au soulagement de savoir qu'il est au courant du problème.

— Il est arrivé un truc, pendant que vous dormiez...

—Un truc ? Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer, ici ?

Attendant sa réponse, mon imagination débordante se joue de moi, me soufflant mille hypothèses, toutes plus impossibles les unes que les autres. Fantômes, aliens, monstres, créatures divines ou malfaisantes... Tant de possibilités, mais ça ne semble pas être la bonne. J'avais bien entendu une légende sur ce manoir avant d'y aménager, elle parlait de malédiction, de magie et autres choses étranges, c'est pour cela qu'on s'y est installés d'ailleurs. Mais après autant de temps passé à l'intérieur de celui-ci, ça parait impossible que cela n'arrive que maintenant.

Je prends une profonde inspiration, puis j'exige :

— Je t'écoute.

Je redoute déjà le pire ! Il commence une longue narration dans laquelle il mélange cambrioleurs, policiers, enquêteurs et une mystérieuse organisation gouvernementale spécialiste du surnaturel. Il termine ainsi :

— En fait, nous sommes sur une sorte de point d'énergie... et ... nous sommes prisonniers... à propos comment va Phillibert ?

— Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre de Philibert? J'me suis enfargée dans ses jambes tout à l'heure, il grogne encore d'ailleurs...

Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte, des cambrioleurs, policiers, enquêteurs? Ne répondant plus de moi, je le prends par le collet et me mets à le brasser sans ménagement.

— Mais tu vas m'expliquer ce qui se passe, à la fin, Mathias?

— Contente-toi de poser ta main sur le mur, fais moi confiance.

— Ma main ? Mais...

— Ne pose pas de questions, fais ce que je te dis !

Alors je pose ma main comme il me l'a demandé et c'est comme un flash qui se projette soudain dans mon esprit. Les images défilent vite, je n'ai presque pas le temps de les voir, c'est de la folie, je n'y comprends rien... Mais, je retiens quelque bribes : le manoir, entouré par le vide, la silhouette d'une créature titanesque qui se profile dans une une faible lueur cosmique, la réalité qui s'altère, les pièces du manoir qui bouge comme un rubik's cube...

La première pensée qui me vient à l'esprit est de me demander si tout cela n'était que le fruit d'un rêve un peu trop farfelu. Mais la sensation de ma main sur le mur froid balaye bientôt cette question et me laisse face à plusieurs autres. Dois-je croire à ces images que je viens de voir ? Ma tête se tourne vers Mathias qui me regarde, légèrement tendu, comme s'il attendait ma réaction et que j'allais à tout moment commencer à hurler. Mon naturel logique fait que je me retrouve bientôt à essayer d'élucider tout le surnaturel qui vient de défiler. Mais je ne trouve qu'une seule explication possible.

— Je suis folle.

Je recule de quelques pas en me prenant la tête dans les mains. Peut-être avais-je abusé hier ? J'ai fait des mélanges, j'en fais jamais et j'ai fumé un truc alors que ce n'était pas mon habitude.

— Mais non..., commence Mathias d'un ton un peu trop assuré.

— Non ! T'as raison ! C'est toi le grand malade ici !

Je le pointe du doigt, un peu effrayée. Je savais que je n'aurais jamais dû le récupérer en boite de nuit, il y a quatre ans. On ne sait jamais de quoi les ordures sont faites. Sauf que pourquoi tout vient de disparaître une seconde fois devant mes yeux ? Pourquoi suis-je à nouveau seule au milieu du vide ?

— Mathias ? appelé-je d'une toute petite voix.

Pas de réponse. Ce couillon m'a abandonnée alors que tout s'embrouille dans ma tête. C'est pas possible... Je suis vraiment folle.

— Hey, relax.

Stupéfaite, je redresse la tête. Toujours pas de Mathias.

— J'suis toujours là.

— Mais tu, t'es... Bordel, mais t'es où ?!

—Où, mais juste là, au-dessus de toi, tu ne me vois pas ?

Je lève les yeux vers le ciel, enfin, vers ce que je crois être le ciel, difficile de se repérer dans ce vide. Et là, que vois-je, ou plutôt, qui vois-je, ou plutôt...

— Mais punaise, qu'est-ce que c'est que ça ?

— Je te montre pourtant ma plus belle et ma véritable apparence.

Un étrange être descend vers moi, ailé, entièrement couvert de blanc, magnifique... Attends, ailé !!! Ça ne peut pas être Mathias, c'est certain, enfin, je veux dire, je le saurais depuis longtemps, non ?

Toutes mes échelles de valeurs s'effondrent. Comment ce n'est pas un idiot congénital qui passe ses week-ends à boire ? Je veux dire, il n'est pas que ça ? Mathias reprend :

— Mon vrai nom est Nataël, je suis envoyé par le Créateur pour évaluer l'espèce humaine, savoir si oui ou non le moment de l'Apocalypse est venu.

Je n'ose demander : "Et alors ?" Il se remet à parler, d'autres révélations m'attendent ou plutôt je m'attends à tout !

Sa voix me semble lointaine quand, lassée de ses paroles sans sens aucun, pour moi, je détaille son apparence, cherchant le moindre petit défaut qui pourrait indiquer et crier à la mascarade. Mais rien ne dépasse. À croire qu'il est vraiment ange, en passant de son blanc immaculé à sa voix tranquille et doucereuse. Mais toutes les informations qu'il me donne ne m'avancent pas à grand chose. Ma curiosité alors au maximum, je ne peux m'empêcher de lancer :

— Donnez-moi des preuves à tout ça.

Pour finalement chuchoter :

— C'est quand la fin du monde ?

— N'as-tu rien remarqué ? Ne sens tu pas ce qui est imminent ?

— Tu veux dire... que...

Je n'ose le dire, les mots refusent de sortir de ma bouche, ce n'est pas possible... ça ne peut pas être possible... serait-ce ?

— Oui, me répond-il, comme s'il avait entendu ma pensée, oui le monde a déjà pris fin... car son terme était décidé depuis fort longtemps. Rien n'aurait pu changer cela... mais, contrairement au reste de l'humanité, j'ai décidé de t'offrir, à toi, ces quelques instants à mes côtés pour contempler la fin de tout, la déconstruction du monde tel que tu l'a toujours connu. N'ai pas peur, laisse-toi aller...

Je le regarde, effarée ou effrayée, les deux. De quoi me parle-t-il ? À quoi songe-t-il en me disant ça ?

— Tu t'entends ? m'exclamé-je en hurlant, la fin du monde, les anges, tout ça n'existe pas ! Qu'est-ce que t'as foutu dans mon verre hier soir ?

Je m'agite, je me perds mais je ne comprends rien, comment croire à un traître mot de ce qu'il dit ?

— Regarde tout autour de toi.

Au loin, j'entends des cris, des plaintes, une destruction minutieuse, entamée et préparée depuis des lustres. Ici nous donnons l'impression d'être dans une bulle ou rien ne peut nous attendre, embaumés par tout ce blanc qui nous brûle les rétines.

— Qu'est-ce que t'as fait ? finis-je par murmurer, en totale contradiction avec mes exclamations précédentes.

— Je n'ai fait que ce pourquoi j'ai été payé.

Je déglutis.

— Et malheureusement, ton sursis est fini.

Un sourire en coin, une main levée et quelque chose cède sous moi. Dans une ultime plainte je me laisse porter vers le fond, engloutie de toutes mes forces vers ce que je suppose être l'enfer.

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