Eschscholzia

Un grand merci à nos auteurs : Dragoness_Blue, BeatriceLuminetdupuy, Em_esse, _hypnose, Mayarahnee, MysterioShaanmed, ypertext, TomRenan et lAbyssel.


En gras, la phrase de lancement :

Décidé à mener son entreprise jusqu'au bout, il avançait d'un pas vif à travers le champ de coquelicots.

Le champ de fleurs s'étendait à perte de vue, il se dit brièvement que la beauté de la nature contrastait avec sa mission. Après tout, sa présence en ce lieu était en lien avec sa mission...

Il cessa de s'y intéresser et hâta le pas, il courait presque. Il convenait qu'il soit au rendez-vous à l'heure et d'éviter de faire attendre son contact. Un nuage cacha l'astre du jour. Le ciel commençait à se couvrir.

Arrivé au point de rendez-vous, il la trouva, assise, sur leur banc.

— Annabelle, chérie, comme je suis heureux de te voir, fit-il en prenant place à ses côtés.

— Moi aussi. Je ne pensais pas que tu aurais réussi à me trouver parmi toute cette flore.

— Eh bien, je suis plein de surprise. Mais une question : pourquoi ici ?

Le vent souffla et elle prit un temps de réflexion avant de répondre :

— Prends le temps de t'asseoir, tout d'abord.

Un léger sourire aux lèvres, elle se décala quelque peu pour le laisser faire. Leurs bras se frôlaient, leurs jambes aussi. Mais le ciel continuait de se couvrir et quelques gouttes commençaient à tomber. Leur silence était tel le calme plat avant la tempête.

— Les coquelicots, commença Annabelle, un léger sourire aux lèvres. Tu savais qu'ils renfermaient un pouvoir particulier ?

Il haussa un sourcil, circonspect.

Les coquelicots symbolisent le succès, l'amour et surtout le souvenir. Il est même dit dans certaines légendes que cueillir un coquelicot permettrait de percevoir les souvenirs de ceux qui vivaient autrefois...

Et peut-être que les souvenirs d'autrefois, il avait bien envie de les percevoir à nouveau.

Il était fatigué de cette guerre, fatigué de fuir quelques fois les tranchées pour espérer apercevoir sa douce, le temps de quelques instants volés.

Mais la volonté entre parfois en contradiction avec les choses du cœur.

Aussi, plutôt que les souvenirs, il préféra se concentrer sur l'instant présent, oublier les coquelicots, oublier ses tracas. Juste, être là, avec elle, l'espace d'un instant.

Il essaya de toutes ses forces de rester concentré sur elle, sur son visage délicat parsemé de taches de rousseur, ses yeux émeraude, ses cheveux flamboyants sous les rayons du soleil. Il essaya vraiment, pourtant un horrible souvenir de la guerre s'imposa à son esprit.

Son visage se figea, son regard se noya de terreur.

Effrayée, elle murmura, brisée : "Je t'en prie, reste avec moi, oublie l'horreur, ne pense qu'à nous". Un rayon de soleil s'insinua entre l'épaisseur des nuages et éclaira la face méconnaissable du garçon.

Un mince sourire aux lèvres, il passa son bras autour de son cou et la rapprocha. Humant son parfum, il lui dit :

— Je suis si heureux que tu sois venue ce soir. J'ai quelque chose pour toi.

Il sortit une petite boîte de la poche de son manteau.

Il s'agenouilla, le regard embrumé d'émotions. Elle le regardait, les larmes lui montant aux yeux.

— Eeeet coupé !! C'était parfait, vous êtes incroyables !

Les deux jeunes acteurs se relevèrent, époussetant leurs costumes pleins de terre. Les larmes et les émotions, elles, étaient pourtant toujours là, sur le point d'éclater. Ces scènes avaient été les plus difficiles à tourner. Tournant son regard vers elle, il s'exclama, la voix tremblante :

— C'était parfait. Merci pour ce moment.

Annabelle lui dédia un bref sourire doublé d'un tape à l'épaule avant de rejoindre l'équipe technique tandis que, encore ému, le jeune homme se détourna vers le champ de fleurs.

Ça lui touchait énormément que ces scènes-là, ces souvenirs-là, soient tournés à cet endroit précis, dans ce champ de fleurs germant à l'endroit où ils tombèrent. C'est bien pour cela qu'il avait été choisi pour ce "rôle"...

C'étaient les dernières scènes de tout un projet accompli, et il pouvait dire que la boucle était bouclée.

Quelques décennies plus tard, il se retrouvait là où tout avait commencé pour ses grands-parents, pour incarner le rôle de son grand-père, une fierté.

Mais si incarner ce rôle lui avait semblé aisé lorsqu'on le lui avait proposé, dès les premières heures, se prenant au jeu du scénario et de l'action, l'illusion qu'il vivait véritablement ce qu'il était en train de jouer lui parut plus dure qu'il ne l'aurait cru.

Le scénario était simple. Une histoire d'amour comme il y en avait tant entre un jeune homme parti au front et sa bien-aimée l'attendant, inquiète. La scène la plus importante venait de se terminer, dans ce champ de coquelicots qui lui rappelait de nombreux souvenirs, pas toujours joyeux.

Mais, bien sûr, il gardait tout ceci pour lui. Tant que cela ne l'empêchait pas de jouer, à quoi bon inquiéter la production avec une vieille histoire, certes tragique, mais qui n'appartenait qu'à lui ?

Il regarda Annabelle discuter avec les techniciens et son cœur saigna un peu plus. La plaie béante n'était peut-être pas aussi bien refermée qu'il ne l'aurait cru.

Le cœur lourd, il resta seul face au champs de fleurs jusqu'à ce qu'Annabelle le fit sortir de ses pensées, une main sur son épaule :

— Tout va bien ?

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire quelque peu faux, alors qu'il ravalait le goût d'inachevé qui traînait au fond de lui et se retournait légèrement vers elle.

— Oui, je crois. Je suis juste... Ce que je vis ici me manque déjà.

Son regard captura le sien, tandis qu'elle répondait :

— Le film va être génial. Il rendra hommage à ton grand-père comme il se doit.

Un sourire plus franc se dessina sur le visage de l'homme.

— Oui, c'est certain. Je pense qu'il serait content de voir qu'on ne l'a pas oublié, ni lui, ni les autres...

Son regard passa d'elle au champ avant de revenir sur elle, encore un peu plus nostalgique qu'avant.

— Je ne pensais pas que l'histoire de ton grand-père te toucherait autant, lui signala-t-elle d'un air bienveillant.

Il rejeta la tête en arrière et soupira.

— Il m'a raconté tellement de fois tous ses souvenirs de l'époque que j'ai presque l'impression de l'avoir vécu. Ça me fait bizarre de me dire que j'incarne, d'une certaine façon, celui qu'il a été.

Alors, regardant une dernière fois le lieu où il fit vivre, pour la seconde fois, la mémoire de son aïeul, il se dirigea vers sa loge, le cœur léger, alors que les projecteurs s'éteignaient un à un derrière lui.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top