PARTIE II
« J'espère que vous appréciez votre séjour ici. J'ai demandé que vous soyez logée comme une amie, et non pas comme un simple visiteur. Quant à moi, j'ai eu le temps de reprendre mes esprits, et quelques prières après, me revoici à vos côtés. J'ai longtemps réfléchi à comment aborder la chose, mais je me suis dis qu'il me fallait dire la vérité, rien que la vérité. Après tout, je suis à présent le seul à pouvoir l'exprimer, et me voilà trop vieux et trop malade pour être inculpé. Je commencerais par dire que j'étais jeune, et bien trop irresponsable pour voir la cruauté de mon acte ; ensuite, que je me déteste pour ce que j'ai accomplis il y a maintenant un demi-siècle ; finalement, que les regrets que j'exprime ne sont pas ceux d'un vieil homme maudit de la pire des manières, mais bien ceux d'un homme rationnel, qui voit à présent l'horreur de son geste.
Voler un mort constituait, pour moi, un acte naturel, car après tout, je considérais que l'on ne volait personne. Selon moi toujours, les morts n'avaient pas besoin d'or, d'argent, de pierres précieuses pour accomplir leur périple jusqu'aux enfers ; selon moi encore, il n'y avait ni enfer, ni paradis, seulement de la terre et une fosse commune recouverte de chaux, car c'était ici que je me destinais, car je savais pertinemment qu'un vaurien n'était jamais enterré dans les cimetières.
Je ne sais pas si mes amis ressentirent une quelconque appréhension, des regrets, ou même, un profond dégout à l'idée de voler des morts. Par dégout j'entends dégout d'eux-mêmes, de l'espèce humaine, car on ne peut être humain si l'on manque de respect de cette manière à nos ancêtres. Je ne connaissais personne dans ce caveau, mais tant bien même j'aurais connu quelqu'un, il m'aurait fallu vénérer chacun des corps qui m'entouraient.
Quoi qu'il en soit, nous étions donc quatre à nous presser à la porte de la crypte de Palerme, seulement surveillés par l'œil rond de la lune qui éclairait faiblement les dalles de la place. Cesare s'était assuré que la prière des défunts fut achevée, car, en effet, les moines capucins priaient une dernière fois après la prière de minuit avant de rejoindre leur couche pour dormir quelques heures seulement jusqu'au levé. Nous n'avions donc que très peu de temps pour accomplir notre méfait. Il y a, dans ce tombeau, environ deux milles corps, qui reposent, momifiés, mis en scène dans leurs plus beaux habits. Parmi eux, des moines, des prêtres, des hautes personnes du clergé, mais aussi des soldats et des aristocrates ; tant de personnes déposées dans ce caveau par leur famille aimante, souhaitant pouvoir les veiller pour l'éternité.
Nous attendîmes donc tous les quatre, tapis dans la pénombre d'une ruelle nous offrant une vue idéale sur la place, qu'ils veuillent bien rejoindre leur chambre. Quand toutes les ombres quittèrent le lieu, nous nous avançâmes jusqu'à la porte, les visages couverts d'une robe de toile imitant à la perfection les tenues des ecclésiastiques. Cesare ouvrit la porte avec sa clef, et la faible lumière des cierges éclairèrent nos visages. L'église de Palerme est un tout petit endroit pittoresque, mais qui marqua tout de même mon esprit par son ambiance paisible qui jurait avec l'horreur de son caveau. Au sol, il y avait une lourde trappe de bois, qui était scellée à l'aide d'un cadenas. Ce fut à ce moment que je m'accroupis au sol afin de le crocheter. Il ne me fallut que quelques minutes, car j'étais expert en la matière ; j'avais, de nombreuses fois déjà, pénétré dans des églises, afin de voler l'argent de la quête ; mais le péché que j'étais sur le point d'accomplir dépassait ces stupides vols.
Lord Byron souleva la trappe qui dissimulait des étroits escaliers, presque aussi raides qu'une échelle. Pierrot, qui attendait derrière, sortit de son sac des chandeliers et des fines bougies de cire qu'il prit soin d'allumer après d'avoir redressé la mèche. J'observais la moindre de ses actions pendant que Lord Byron et Cesare regardaient avec frisson l'entrée de la crypte. Je n'avais pas encore peur, à ce moment, car j'étais plus enivré par le stress de me faire prendre que par l'horreur du lieu. Pierrot me tendit l'un des chandeliers, je l'empoignai et éclairai les escaliers tandis que les autres s'équipaient à leur tour. Lord Byron nous expliqua une dernière fois ce que nous avions à faire : « volez tous les bijoux que vous voyez ; n'oubliez pas les rosaires, car reposent ici de nombreux abbés et autres membres du clergé qui en portent un d'or et de rubis ; les enfants eux aussi revêtent leur bulla ; tout ce qui brille, ou qui brillera après l'avoir nettoyé est bon à prendre ».
Mes souvenirs concernant ce moment sont très flous. Je ne puis déceler le vrai du faux, mais je ressens encore ce même sentiment d'insécurité maladive partout où je vais. J'étais derrière Cesare, lui-même derrière Lord Byron. Pierrot, encore derrière, tenait d'une ferme main le gros sac de toile, maintenant vide. Nous avions tous nos bourses de cuir à la ceinture, mais nous espérions remplir bien plus que de simples cartouchières. Pas à pas, nous nous enfonçâmes dans les ténèbres, tout en nous tenant d'une main aux murs humides de la crypte. Dès lors que je quittai la surface, je sentis l'air me manquer, et entendis des murmures profanes incendier mes oreilles. Seuls les battements des cœurs de mes amis me maintenaient à la réalité. Lord Byron s'avança presque à l'aveugle dans les premiers dédales de corps, laissant échapper sa terreur en un balbutiements incompréhensibles. Quand ce fut à mon tour d'être mis face aux premiers cadavres, je ne pu m'empêcher de frissonner de tout mon être, du haut du crâne aux orteils, en passant par l'échine et mes doigts recourbés sur l'anse de fer.
Il y avait face à moi des dizaines et dizaines de momies, recroquevillées dans des fosses creusées dans le mur, toutes vêtues de leurs plus beaux habits du dimanche. Moi, qui n'avait jamais porté autre chose que mes culottes trouées et chemises déchirées, j'étais face à milles richesses décennales, qui n'étaient même pas portées par des hommes, mais par des morts ! Leurs visages encore parsemés de peau nous dévisageaient, nous, inconnus, étrangers dans ce caveau, qui ne connaissaient ni Dieu, ni prêtre, ni moine, ni frère enterré dans cet antre, et qui se permettaient malgré tout de déranger le sommeil des défunts. J'eus pendant un instant l'impression qu'ils me regardaient, à travers leurs orbites mal-éclairées par ma flamme, mais ils étaient totalement immobiles. A cet instant précis, je n'avais fait que violer la propriété de moines, mais n'avais pas encore piétiner les morts de la plus terrible des façons. Je restais près de Lord Byron, qui constituait pour moi une figure d'autorité, une barrière contre les mauvais esprits, mais qui n'était malgré tout pas plus rassuré que moi. Même Cesare, qui n'hésitait pas à marcher sur les tombes et à arnaquer des bonnes sœurs, resta bouche bée devant ce mur de cadavres habillés, élégants et majestueux, qui semblaient nous dévisager de la tête aux pieds.
Pierrot m'indiqua le couloir que je devais emprunter. Je restais un instant à tenter de déceler les formes des corps au fond du corridor qui était plongé dans le noir. Ma flamme n'éclairait pas le fond de la salle, et il me semblait que c'était un tunnel infini qui m'attendait. Mon cœur, coincé dans ma poitrine, ne battait quasi plus, comme s'il n'osait déranger les morts dans leur repos éternel. Ma respiration, elle, se faisait de plus en plus rare, tant l'air me manquait. J'étais si oppressé que je cru pendant un instant m'évanouir, mais la voix de Lord Byron s'éloignant derrière moi me poussa à faire un pas dans la direction indiquée.
Je pense, Madame, que vous ne croirez pas ce que je m'apprête à dire. Il y a en effet peu d'éléments vraisemblables dans ce que je m'en vais vous raconter. Mais il vous faut me faire confiance, car je pense que tout est vrai ; bien que je n'en ne fusse pas certains auparavant, me voilà assurer que ma mémoire est toujours intacte. Je pénétrai dans la portion du caveau qu'on m'eut attribué. J'entendais au loin les pas lourds de mes compagnons, qui se confondaient en écho. L'un d'entre eux sortit une scie ; j'entendis du mouvement ; les cliquetis d'une chaine ; puis, finalement, on jeta le bijou dans le sac. Reprenant confiance et mes esprits, je m'approchais à mon tour d'une momie.
Je vous prie de croire qu'il y a en ces lieux des centaines et centaines de momie, partout. Elles sont séparées en plusieurs couloirs. Il y a des couloirs pour les hommes, les femmes, les enfants, les vierges, les moines, les prêtres, et les soldats. Moi, je devais m'occuper des femmes, tandis que Lord Byron pillait les hommes, Pierrot les vierges et les enfants, et Cesare, le reste. J'étais face à un mur de matriarches, qui devaient avoir l'âge de ma mère au moment de leur mort, mais qui étaient là depuis des années, accrochées aux murs par de simples ficelles, dont la peau se craquelait sur leur crâne usé, et dont les robes reposaient sur leurs genoux osseux. A la lueur de ma bougie, elles semblaient malheureuses, mais je savais qu'au fond de moi, elles ne ressentaient plus rien.
Je ne compte pas vous choquer, mais je ne sais comment adoucir le crime perpétué. Je me saisis de ma cisaille, et, m'approchant d'un corps, je défis faiblement, à la lueur de ma bougie, remuant la pointe du fer dans la chair, le décolleté d'une ancienne demoiselle desséchée, jusqu'à voir, brillant face à la flamme, une petite gourmette d'or. C'était l'une de ces gourmettes que l'on donne aux petits enfants lors du baptême, mais moi, je n'en n'ai jamais eu, alors je la regardais, comme dévisageant quelque chose d'extraordinaire, alors que j'en avais déjà volé mille avants. Je réussis à faire tourner la chaine autour de son cou, mais il me fallut l'enlever, alors je m'approchai un peu plus de son corps, posant les doigts sur sa peau raiche et plus sèche que la pierre. Je fus bientôt en face d'elle, elle me dévisageait tant bien même qu'elle n'avait plus d'yeux, et je ne pu m'empêcher de plonger mes yeux dans ses orbites tandis que je détachais la gourmette de son cou. Je la gardai en main si longtemps encore que le médaillon, la Sainte Vierge, me marqua la paume de la main. Puis, regardant ma première victime, je reculai jusqu'à atteindre le centre du couloir, et je plongeai le bijou dans mon ceinturon, et me retournai vers une autre mère, tenant sein découvert, que dis-je, torse découvert, car il n'y avait pas plus de mamelles que de peau sur celle-ci. Etait incrusté contre sa cage thoracique un bijou, des pierres précieuses cette fois-ci. Je m'en saisis une nouvelle fois. Puis, je me retournai, recommençai, à l'infini, jusqu'à ce que ma bourse soit remplie.
Oui, Madame, j'ai volé les colliers de plusieurs autres femmes, sans défense, ne pouvant seulement me regarder de leurs grands yeux vides de vie, sans même pouvoir crier, sans même pouvoir pleurer. Mais croyez-moi, Madame, ces femmes se sont vengées ; vengées à auteur du crime, voire plus. Je ne souhaite ma punition à personne au monde, même à celui que je hais le plus. Ce qu'elles m'ont fais subir, ces femmes, est sans doute plus doux que ce qu'à vécut mes amis, car, voyez-vous, je suis toujours en vie. Mais quelle vie ! Quelle vie, pour un enfant de seulement dix-sept ans, qui ne connait que le vol et le crime, qui s'enrichit tout d'un coup mais ne peut profiter de son argent ! Oui, Madame, j'aurais préféré mourir, à cet instant-là, être enterré avec elles, elles qui m'observent encore dans mes cauchemars ! Voilà que mon coeur s'emballe. Il me faut me calmer un peu. Je ne suis pas innocent, mais fautif de mille crimes. Mais je ne vous ai pas encore conté le plus terrible.
Reprenons un peu notre discours. Quand ma bourse fut remplie, je rejoignis les autres à l'endroit même où je les avais laissés. Le sac de Pierrot, déjà rempli de richesse, attendait paisiblement accrocher à un grillage de fer. Pendant un instant, je pensai à m'enfuir, avec mon butin, car je pensais qu'il ne serait à peine plus conséquent que cela ; et que, si je restais plus longtemps, le quart que je recevrais serait bien moindre que la part qu'il y avait ici. Mais ce long voyage, cette amitié naissante, et la confiance que je portais à Lord Byron me poussa à lui rester fidèle. Je m'enfonçai une dernière fois dans les ténèbres, laissant derrière moi un sac déjà remplis, allant piller le reste des momies de mon corridor effroyable.
J'ai cru comprendre, Madame, que vous étiez la fille du Docteur Lupin. Je me suis renseigné sur lui, avant votre venue, car je ne laisse point rentrer n'importe qui dans mon logis -bien que je ne puisse empêcher les mauvais esprits d'y pénétrer, j'essaye au moins de barrer la route aux mauvaises personnes- et j'ai appris que c'est un homme fort bon, qui vit en gentilhomme et qui ne cherche point la richesse, juste la joie et le bonheur pour son prochain. Je me permets donc d'affirmer qu'il vous a élevé de cette manière, dans le respect, l'humilité et la dignité. Je vois, Madame, que vous êtes fort simplement habillée, ce qui ne vous rend pas moins charmante, ce qui me fait penser que vous vous tenez éloignée de la mondanité, des richesses ostentatoires et des fortunes volées. Comme moi, vous ne devez pas comprendre ce qui pousse des endeuillés à se séparer de leurs plus beaux bijoux pour les exposer sur des cadavres, comme des symboles de leur puissance. Je pense que Palerme est le fruit du narcissisme des Hommes, et non pas de leur douleur, car aucun homme plongé dans la tristesse la plus profonde ne désirerait exposer le corps de son épouse à l'air libre, face à de multiples visiteurs, habillés de ses plus beaux habits. Après ce que j'ai vécu, je peux affirmer que les corps ici n'ont jamais atteins le paradis, ni l'enfer, ni rien du tout ; ils sont toujours dans les catacombes, à errer, à se perdre dans ces affreux couloirs, sans jamais pouvoir en sortir. Mais en volant les réceptacles de leurs âmes, nous leur avons montrer la voie, et les voilà sortis, à nous hanter à jamais.
J'aimerais vous dire que je ressentis, à ce moment précis, des regrets et de la culpabilité. Mais il n'en est rien. Quand ma bougie fut consumée à moitié, je rejoins l'entrée, où m'attendait déjà Cesare. Il était en effet l'heure de partir, car l'heure de la prière du matin sonnait bientôt. Nous étions restés à peine deux heures dans ce caveau, mais j'avais cru y être resté des jours, tant l'ambiance des catacombes était oppressante. Nous restâmes en silence, simplement éclairés par nos bougies, tandis que nous entendîmes la démarche agile de Lord Byron, bientôt suivis par Pierrot. Je soupçonnais Cesare d'avoir mis dans ses poches quelques rosaires, mais je n'osai en parler directement devant lui. Notre route se sépara trop tôt pour que j'ai le temps de faire part à mon ami de mes doutes, mais je reste persuadé qu'il fut plus puni que moi pour nous avoir trahis. Nous sortîmes du lieu en silence, laissant les corps dans le caveau, refermant la page derrière nous. Nous éteignîmes nos cierges pour simplement laisser les pâles rayons de la lune nous guider. Ce ne fut que lorsque nous nous retrouvâmes dans une chambre dans une auberge à la sortie de la ville que je pu finalement respirer, comme si j'avais retenu ma respiration tout ce temps.
Ce fut une effusion de joie qui suivit. Nous commandâmes de la bière que nous emportâmes dans la chambre. Le soleil se levait à peine, mais nous festoyions déjà, sous les regards inquiets des taverniers. Cesare leur affirma que c'était une coutume française : ils nous crûment et nous laissèrent célébrer notre terrible acte. Lord Byron, qui avait toujours les idées claires, décida de partir seulement quelques heures après et de revendre son butin aux antiquaires que nous trouvâmes sur le chemin. Arrivés à la frontière, nous étions censés partager les gains, et les bijoux restants pour plus d'égalité. Moi, qui n'avait aucun sens de la justice, voulut d'abord fuir avec ma part, mais Lord Byron m'assura qu'il était bien plus avantageux pour moi de traverser la France avec des pièces et non des rosaires.
Nous réalisâmes donc le chemin inverse dans la précipitation. Fini, les déjeuners au rebord des ruisseaux, et les danses endiablées aux guinguettes italiennes, bonjour aux capuches, aux déguisements, aux roulottes marchandes et aux ânes. Nous cachions nos trésors dans nos poches, nos semelles, nos chaussettes, car nous transportions en vérité des kilogrammes d'or, des sceaux entiers de rubis et d'émeraude, et que nous avions peur de nous faire voler. J'avoue que je pensais de nombreuses fois à partir avec ce que j'avais, mais je savais que Lord Byron et Pierrot portaient bien plus de bijoux que moi, et que si je venais à m'enfuir, Cesare me retrouverait pour me voler. Ce fut pendant ce voyage que j'expérimentai mes premiers cauchemars. Je revoyais le tombeau et les corps, et je marchais silencieusement dans les couloirs de la crypte. Je me réveillais en sueur, le soir, alors que nous dormions à la lueur d'un feu de camp, mais me rendormait aussitôt, car je croyais que ces rêves n'étaient que le fruit de mes souvenirs et des rouages de mon esprit. Au bout de quelques semaines, à voir cette scène se répéter dans mon esprit, je cru devenir fou, car je ne dormais plus ; je me réveillais sans cesse ; il suffisait que je ferme un œil pour revoir encore et encore les dalles croulantes des Catacombes des Capucins. J'en parlai à Lord Byron en chemin, qui m'assura qu'il vivait la même chose, et que son repos était sans cesse troublé par ces pensées, qui étaient, selon lui, le produit de notre culpabilité, et que les mauvais rêves passeront quand nous nous serions débarrassés des bijoux. Bien que je ne me sentisse absolument pas coupable, je le crus, et gardai espoir en ma rémission. Mais plus nos poches se vidaient et chaine, et plus elles se remplissaient d'or, plus les rêves s'intensifiaient. Mais ayant trop honte d'assumer la peur qui me rongeait chaque nuit, je préférais ne rien dire, et subir chaque nuit ces spectacles horrifiques.
Je ne puis vous dire combien précisément je reçus à l'issu de cette aventure, mais je crois que ma fortune s'élevait presque à un million de francs lors que nous arrivâmes à la frontière. Cesare nous quitta aussi, bien heureux d'avoir lui aussi reçu son million d'or. Ma santé mentale s'était tellement dégradée que je vivais en mort-vivant, suivant Lord Byron partout où il allait, sans chercher à comprendre le moindre de mes gestes. Ce fut donc sans m'en rendre compte que je fus pris dans mes bras par Cesare avant que celui-ci retourne sur ses pas, un sac rempli de pièces sur le dos, à la recherche d'une vie meilleure. Ce fut la dernière fois que je vis cet étrange personnage, qui semblait bien supporter la malédiction qui pesait sur nous. Je fis encore quelques jours de route avec Pierrot et Lord Byron jusqu'à Grenoble. De là, je dus continuer seul. Les adieux avec mes deux amis furent un moment très difficile, car nous avions tissés des liens très forts. Je leur promis de leur envoyer des lettres quand je me serais installé, et Lord Byron promit de rester encore quelques mois dans son vieux logis pour que je puisse lui faire parvenir son adresse. Je ne pus accomplir cette promesse, mais Lord Byron m'envoya tout de même deux lettres que je vous lirais plus tard.
Je revins à Amiens tremblant de douleur. La fièvre m'avait saisi tout le corps, et je ressemblais presque à un mourant lorsque j'achetai un petit appartement à une vieille logeuse à moitié sourde et bien heureuse de pouvoir céder son bien à quelqu'un, même si ce quelqu'un n'avait rien d'un honnête homme et ne ressemblait qu'à un vaurien paradoxalement fortuné. Ce fut dans cet appartement que les premiers ressorts de la malédiction me furent connus. J'y vécus comme en enfer, si bien que je cru être mort en chemin et punis pour mes actes. J'avais à peine dix-huit ans, et je ne savais pas que ce serait quarante ans de souffrance qui m'attendraient dans le futur. Je vous raconterais la suite plus tard. Ne vous attendez pas à autant d'aventure, car une fois la malédiction jetée, je ne fus que victime de mon sort, et non acteur d'autres crimes, si ce n'est celui d'utiliser mon or afin de finir ma vie de la meilleure des manières possibles. Vous avez beaucoup écrit, et je sens votre poignet fatigué. J'aimerais moi-même me reposer avant d'achever mon histoire. »
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