Chapitre 1 : Rencontre
Dans la famille Wood, l'amour primait sur tout le reste. Charlotte Wood aimait profondément chacune de ses merveilleuses filles. Une famille aimante et riche. Tout le village souhaitait obtenir les bonnes grâces de lady Charlotte car cette dernière était influente. Elle pouvait avoir un sacré caractère, il valait mieux ne pas l'ennuyer ! Et surtout, ne jamais s'en prendre à ses enfants.
- Gabi, Rose, Sissi, Vic et Mady, descendez s'il vous plait.
Je relevai la tête de mon livre, et entendis les portes voisines s'ouvrirent. Ça devait être l'heure du thé. A mon tour, je quittai ma chambre et rejoignis mes sœurs dans le salon, descendant l'escalier une à une. Nous étions considérées comme une famille nombreuse. Nous étions cinq filles aux âges rapprochés. Très proches. Tout le monde voulait notre approbation, notre amitié et faire un bon mariage avec nous, notre dot étant très élevée.
Dans le salon, ma mère était debout au centre, des biscuits pleins les mains. De nature très mince, elle ne prenait pas un tour de taille même avec l'âge. Tout le monde enviait sa taille de guêpe. Elle avait un sourire jusqu'aux oreilles. Qu'est-ce qui avait bien pu la mettre dans un tel état ? Je rejoignis Rose et Sissi dans un canapé. Elles me firent immédiatement de la place en se poussant. Je m'assis à l'extrémité, un livre à la main. Vic et Mady étaient juste en face, des biscuits dans les mains.
- Nous voilà au complet, rajouta maman. Il y a deux jours, un charmant homme est venu s'installer ici. Dans le château de Bourg.
Il n'y avait presque jamais de nouvelles personnes à Charleston. C'était une petite ville charmante, ou tout le monde se connaissait depuis tout petit. Ma plus jeune sœur de 14 ans, Victoire, sauta du fauteuil pour foncer vers notre mère. Elle était toujours surexcitée par les nouvelles.
- Vraiment ? Merveilleux !
Je n'étais pas aussi enthousiaste qu'elle. Je ne cherchais pas à tout prix à me marier et je savais bien que mes sœurs le voulaient elles. Elles ne souhaitaient pas être vieilles filles et être les risées du monde. Ça pouvait se comprendre. Finir seule était mal vu, surtout pour une femme.
- Je ne plaisante pas sur un sujet aussi important. Il s'appellerait Basile Dash et il est très riche. Et c'est un comte. Sa famille est renommée dans le monde, mes filles. Vous pouvez bien penser que Faustina Millor va essayer de se l'approprier au bal de vendredi soir, nous informa maman en grimaçant au nom de Faustina. Nous y sommes conviées.
Cette fille était une de la pire espèce. Un rapace. Elle était belle certes mais beaucoup trop vicieuse. Elle nous jalousait énormément. Elle avait raison. Ma sœur ainée 20 ans, Cécile ou aussi appelée Sissi, était magnifique. Elle avait déjà reçu près de dix demandes en mariage l'année dernière ! Toutes refusées. J'en étais contente. Qu'elle soit mariée à des nigauds m'insupportait. Je voulais le meilleur pour elle.
Ensuite, il y avait moi. La deuxième. Gabrielle. On me disait souvent que je ressemblais à ma sœur ainée au niveau des traits, même si j'avais quelques différences. A commencer par mes cheveux. Les siens étaient lisses et moi bouclés. Elle avait de beaux yeux bleus et moi verts. Jusqu'à présent, j'avais eu cinq demandes en mariage. Refusées également. J'avais une liberté que beaucoup envierait s'ils le savaient.
La troisième, Rose. C'était une fille qui ne jurait que par la mode. Elle aimait les belles robes, les accessoires. Elle avait le meilleur caractère, doux et apaisé. Elle ressemblait à mère en tout point.
Madeleine appelée Mady avait 15 ans. Elle chantait dès qu'elle le pouvait. Elle avait une magnifique voix claire et douce. J'aimais l'écouter et l'accompagnais généralement au piano. Je savais également qu'elle voulait se produire dans les salles et voyager. Seulement, dans ce monde, les femmes n'avaient pas beaucoup de places. Nous étions sous-estimées et traitées différemment. Traitées comme des personnes faibles, capable tout juste de coudre et parler.
La petite dernière, Victoire. Un vrai feux d'artifices. Nous l'aimions tous. C'était un amour, un peu excentrique et excitée. Mais elle pouvait être tendre comme un agneau. C'était un bébé surprise que nous avions accueilli avec plaisir.
- Pour combien de temps est-il là ? demanda Cécile qui s'empara de son fil à coudre.
Je me le demandais aussi. Car toutes les dames allaient sauter sur l'occasion. L'occasion de marier une de leurs filles à quelqu'un de puissant. C'était le rêve pour toutes les mères, dont la mienne.
- Pour toute l'année normalement. Sa mère était très contente de raconter sa venue à Lady Sunry qui a tout répété à ses voisines.
Je regardai ma mère sourire et taper du pied. Pour elle, c'était exceptionnel. Enfin un homme convenable et riche venait ici s'établir. Bien sur, il y avait d'autres hommes très bien. Je trouvais qu'aucun n'était égal à mes sœurs.
- Je vais demander à la costumière de venir dès cet après-midi pour vous confectionner des robes. Ce sera serré mais nous y arriverons toutes ensemble, mes filles. Je vais en parler à votre père sur le champ.
Pauvre homme, me dis-je. Il était constamment occupé à sa paperasse et ne se souciait guère des bals, des robes, des chaussures et surtout des hommes. Il nous laissait gérer notre vie, comme peu de père de famille le ferait. Ma liberté venait de lui comme beaucoup de mon caractère.
Dès que maman quitta le salon, mes sœurs se mirent à parler toutes en même temps. Mes tympans faillirent exploser.
- Oh ! criai-je exaspérée.
Elles s'arrêtèrent sur le champ et me fixèrent d'un drôle d'air. Victoire, la plus jeune, me regarda avec ses petits yeux de merlans frits
- Qu'y a-t-il Gabrielle ?
Je croisai les bras sur ma poitrine et me mis en face d'elles, debout.
- Inutile de parler de lui, les filles. Ce n'est pas exceptionnel. Il y a d'autres hommes plus intéressants.
Bon, pas tant que ça, mais il y en avait malgré tout. Il fallait seulement les débusquer. Certains venaient de se marier. Elles me fusillèrent du regard.
- Gabrielle, tu es décevante.
Victoire appuya les paroles de Rose. Je haussai les épaules. Je préférais être décevante que courir après les hommes. C'était ma nature. J'aimais être libre et faire ce que je voulais. Beaucoup ne comprenait pas. Je ne leur demandais donc pas de comprendre.
- Je vais aller me promener. Je rentrerai pour le souper.
Elles hochèrent la tête et me laissèrent m'en aller sans me poser de questions sur l'endroit ou je me rendais. Je pris un tout petit panier, demandai à ce qu'on me donne des framboises et de l'eau. Je m'embarrassai d'un chapeau ridicule et sortis dehors. Le soleil me réchauffa la peau et je me mis en route vers la forêt derrière notre domaine.
Il y avait un avantage à habiter en périphérie de la ville. Nous avions la végétation à perte de vue. C'était un temps idéal pour aller marcher. J'aimais me promener seule, m'étendre dans les herbes hautes. Je m'étais toujours mieux sentie à l'extérieur qu'à l'intérieur. Des fois, j'avais l'impression d'étouffer. La maison était pourtant gigantesque, nous avions la deuxième propriétés la plus grande de Charleston.
Mais la sensation était à l'intérieur de moi. Cette oppression.
Et également cette pression sociale de devoir absolument se marier et fonder une famille, de devoir appartenir à un homme, être sous sa coupe. Peut-être ne jamais être amoureuse de lui, ne jamais rien ressentir et devoir faire semblant toute sa vie en étant malheureuse. J'avais peur de ne jamais rencontrer quelqu'un qui m'aime comme je suis et m'accepte.
J'empruntai le petit sentier qui me mena à l'immense clairière ou je venais toujours m'installer. Sur les hauteurs, il y avait le château de Bourg. Il était grand et dominait Charleston. Il était tout aussi splendide, inhabité depuis quelques années.
Je m'assis dans l'herbe et ouvris mon panier. Je mangeai quelques framboises, tournant les pages de mon livre. J'entendais nettement le chant des oiseaux. C'était apaisant.
Un instant, je fermai les yeux, savourant la chaleur du soleil sur mon visage. J'envoyai valser mon chapeau pour mieux sentir les rayons caresser ma peau blanche. C'était très agréable. Un sentiment de plénitude m'envahit. Je soupirai et m'allongeai sur le dos, les bras écartés. Je restai longtemps dans cette position.
Un instant plus tard, j'entendis des bruits de sabots. Une petite silhouette sur un immense cheval arriva dans ma direction, à toute vitesse.
- Lancelot ! hurlait la voix. Ralentis !
Ils fonçaient sur moi. J'étais dans la trajectoire. L'équidé ne changea pas de direction. Je me relevai précipitamment pour tenter d'arrêter le cheval.
- Attention !
- Stop, criai-je.
Je savais que j'avais une voix suffisamment forte pour surprendre les personnes. Une femme ne devrait jamais hurler, crier dans cette société. L'animal ne s'arrêta pas comme je le pensais. Quand il passa à coté de moi, j'attrapai l'enfant par la taille et on tomba à la renverse. Je protégeai le petit corps dans mes bras et sentis l'air s'expulser de mes poumons quand je tombai.
Je n'arrivais plus à respirer. Le choc surement.
- Maman, pleurait la petite fille dans mes bras.
Elle se retourna et me regarda de ses grands yeux verts effrayés et larmoyants. Je restai allongée, essayant d'avaler de l'air. J'étouffai littéralement. Je ne compris pas ce qui se passe. Je fermai les yeux et l'instant d'après, l'air put rentrer de nouveau dans mes poumons. Quelque chose de chaud et humide touchait mes lèvres entrouvertes. L'air s'insinua dans ma trachée. J'inspirai l'oxygène et rouvris mes yeux. Un regard gris me fixait intensément.
Il m'avait embrassée.
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