Chapitre 8

- Vas-y. Cette fois, tu es obligée de le faire. Je peux attendre des heures.

"Et je peux tenir des jours" riposta Talya en pensée. Elle ne laisserait pas Lilith lui dire ce qu'elle devait faire.

Après leur courte bataille - causée en majeur partie par Talya, qui avait alors essayé de cacher sa peur et sa surprise derrière un courage téméraire - et la "révélation" de la scientifique, l'adolescente avait accepté de la suivre à contrecœur. Lilith l'avait conduit à la même salle que la fois précédente - elle le savait car les feuilles étaient toujours aussi désordonnées et le poignard que la femme avait utilisé auparavant se trouvait non loin. C'en était presque apeurant : les choses n'avaient pas bougé d'un millimètre. Outre le fait que cela lui faisait peur, Talya en déduisait que ça allait se passer comme avant.

- Un souvenir, avait-elle murmuré

Elle ne s'était pas attendue à ce que Lilith l'entende. Et à ce qu'elle lui demande ce qu'elle voulait dire par là.

- J'ai l'impression d'être dans un souvenir, expliqua Talya avant de se reprendre

Elle avait l'étrange sentiment que Lilith la connaissait déjà, et ce depuis longtemps. Qu'elle était au courant de toutes ses peurs, de tous ses points faibles. Ce qui était, au passage, très problématique.

- Je peux t'assurer que c'est la réalité. Maintenant, défends-toi. Tu ne bougeras pas d'ici tant que tu n'auras pas fait quelque chose.

Talya glissa ses doigts dans la poche de son sweat. Pour une raison qu'elle-même ne comprenait pas encore, elle avait gardé la dague que Lilith lui avait donné. Ce qui ne voulait pas dire qu'elle allait s'en servir.

- Vous êtes aussi vague que la dernière fois. "Agir" et "faire quelque chose", c'est assez imprécis.

- Oh, si tu veux, je peux être précise : je veux que tu abandonnes tes principes naïfs de petite fille, que tu te serves d'une arme et que tu me blesses. Compris ?

- Mes principes naïfs de petite fille ? Je ne suis pas une gamine !

- Bien sûr que si. Premièrement, tu es mineure, donc tu es une enfant. Deuxièmement, il n'y a que les gamines pour être aussi stupides et bornées ! Sans oublier, justement, tes principes selon lesquels il faut être gentil, assister tous ceux qui en ont besoin et être juste. Ce monde n'est pas juste, Talya !

L'adolescente serra les dents. Lilith n'avait pas l'air de vouloir l'aider comme elle le prétendait, au contraire. Cependant, elle s'était promis de ne pas céder à ses jeux psychologiques. Elle n'allait pas faire ce qu'on attendait d'elle. Elle n'allait pas blesser qui que ce soit, même si elle avait franchement envie de faire taire la scientifique. Elle n'allait pas se laisser avoir.

- Tu devrais vraiment faire attention. Sauf si tu tiens à ce que tout le monde connaisse tes intentions, sourit Lilith

Talya s'aperçut qu'elle avait encore une fois pensé tout haut et enfonça ses ongles dans les paumes de ses mains, frustrée.

- Et alors ? Maintenant, vous savez que je ne vous ferais pas de mal, al...

- Mais tu penses que je le mérites. Et tu en as envie.

"Satanées réflexions !" se réprimanda Talya en faisant attention à ce qu'aucun mot ne franchisse ses lèvres.

- C'est vrai, finit-elle par admettre, mais je ne comptes pas le faire. C'est mal, et je sait que ça fait partie des principes soi-disant naïfs que vous voulez éliminer, mais c'est mal, que vous le vouliez ou non !

- Je sais que c'est mal. Mais c'est tellement amusant ! Je ne veux pas "éliminer" l'idée que tu as de faire couler le sang. Je veux t'en inculquer une nouvelle. La mienne, celle de la Société, et la tienne, bientôt.

Lilith avait changé de visage en quelques secondes, passant d'amusée à menaçante, les yeux rivés sur Talya, son poignard virevoltant entre ses doigts. Elle s'approcha, lentement, et l'adolescente recula de quelques pas hésitants avant que son dos ne rencontre le mur froid. Elle avait peur. Vraiment peur, plus que le soir de l'enlèvement, plus que lors de sa première rencontre avec Lilith. Le souffle coupé,n'osant plus affronter le regard de Lilith, elle fixa ses chaussures dans l'espoir que la scientifique ne ferait rien. Théorie absolument irréalisable, comme s'empressa de la confirmer Lilith en saisissant le poignet de Talya d'un geste vif avant de la tirer vers elle, encore plus proche que quand elle lui avait annoncé sa défaite. À ce moment-là, Talya n'avait pas été effrayée. Elle avait retrouvé le courage de se battre. Mais maintenant ? Cela en vaudrait-il seulement la peine ? Elle était enfermée, ici, dans le bâtiment et dans son esprit indécis.

- Qu'est-ce que vous voulez ? demanda Talya d'une voix qu'elle avait espéré ferme mais qui n'en était que plus apeurée

Lilith sourit et serra son bras plus fort.

- Arrêtez ! Qu'est-ce que vous faites ? Lâchez-moi !

Elle se débattit en vain pour se dégager de la poigne de Lilith, mais plus elle luttait plus la scientifique semblait proche de lui broyer les os, sans se départir de son sourire doucereux. Quelques minutes plus tôt, cela aurait énervé Talya, mais elle ne ressentait rien d'autre que la peur qui lui empoisonnait les veines.

Elle sentit une larme couler le long de sa joue et la chassa d'un geste rageur avant d'arrêter de se démener, les membres tremblants, le corps secoué de spasmes dus à ses sanglots.

- C'est bien, approuva Lilith sans la lâcher pour autant. Plus tôt tu admettras que tu n'as aucune chance plus tôt tu apprendras à contrôler tes capacités.

- Laissez-moi tranquille ! cria l'adolescente en repoussant la femme violemment

La scientifique tituba un instant avant de se stabiliser, stupéfaite.

- Je n'arrive pas à savoir si je dois être impressionnée ou avoir des envies de meurtre, déclara-t-elle calmement. Sans doute les deux. Tu as beau t'acharner, tu ne parviendras à rien sans moi, Talya. Arrête de lutter. Tu veux être libre, non ? À moins que tu ne préfères rester ici jusqu'à ce que j'obtienne satisfaction. Auquel cas tu mourrais, évidement. Ou alors...

Un éclair de folie traversa ses yeux et elle afficha un rictus méprisant.

- Tu sais quoi ? Laisse tomber l'idée de mourir dans l'immédiat. Au contraire, tu vas survivre. Ne t'attends pas à grand-chose, cependant : tu vivras seulement pour que je puisse te voir lutter contre la douleur. Et ensuite, quand tu seras complètement anéantie, et que tes amis le seront également, je te forcerait à les tuer un par un. Tu verras, toute la naïveté que tu as en toi se changeras immédiatement en un sadisme que tu ne pourras ignorer. Parce que tout tourne autour de ça, ici : la douleur, la mort, et le sadisme. Sans oublier le plus important...

Le sourire de Lilith s'élargit encore, et elle prononça les derniers mots si bas que Talya crut un instant qu'ils n'avaient jamais été énoncés.

- ... la peur.

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