Chapitre 7

" Étrange : Hors du commun. Effrayant : Qui inspire ou peut inspirer de la frayeur. Peur : Émotion qui accompagne la prise de conscience d'un danger, d'une menace. Ces trois mots sont les seuls que j'aie trouvé pour la décrire."

Layla avait vu le changement à la seconde où elle avait croisé Talya. Dans ses yeux, dans son sourire - le fait de sourire relevait de l'impossible dans cet endroit - et dans sa façon de parler.

Désinvolte, elle lui avait demandé le chemin et malgré qu'elle ne l'ait pas tenue, elle n'était pas partie. Pourquoi ? Elle n'avait visiblement pas compris le danger qui l'attendait. Sinon elle n'aurait pas sourit. Alors quoi ? Lilith n'était pas douée pour remonter le moral. Et de toute façon, elle n'aurait pas aidé Talya à se sentir mieux, si ? Même si, en fait, ça n'aurait pas été si étonnant... quand on savait ce que Layla savait, on comprenait aisément les comportements changeants de Lilith. Mais Talya ne savait pas. Et elle ne devait pas savoir.

***

Adalia s'était réveillée une vingtaine de minutes après le départ de Talya. Et avait aussitôt remarqué sont absence. Mais lorsqu'elle avait demandé où se trouvait la jeune fille, les autres s'étaient jeté des regards inquiets.

- Soit elle est en vie et elle sera dans un état pire que le tient, soit elle est déjà morte. Il se peut qu'on ne sache jamais. Sauf si Eilynn sait ? Elle semble très bien calée sur le sujet... lança Emira, toujours aussi soupçonneuse à l'égard de l'adolescente

Elle n'était pas la seule mais personne n'allait jusqu'à confronter la jeune fille. Même s'ils l'avaient voulu, ils n'auraient pas pu : elle et Emira passaient tout leur temps à se disputer.

Soudain, la porte s'ouvrit... normalement. Et cette normalité était anormale, car Layla, Troy et San - Lilith restait toujours en retrait - ouvraient constamment la porte d'un coup, pour une raison ou une autre.

Mais ce n'étaient pas eux, seulement Talya, qui sauta sur le sol en ignorant les marches. Layla, derrière elle et apparemment troublée, referma la porte lentement sans un regard pour les adolescents.

- Tu lui as lavé le cerveau ? demanda Eckarias

- Non, mais elle n'est pas difficile à étonner, répondit la revenante en se dirigeant automatiquement vers son groupe

Cette fois, Emira vint les rejoindre, laissant Keily de côté.

Son jumeau haussa un sourcil, un peu surpris : si sa sœur écoutait leurs conversations quasiment sans se cacher, elle ne venait jamais de son plein gré.

- Quoi ? dit-elle sèchement. J'ai le droit, non ?

- Oui, répondit Edric lentement. Je n'ai juste pas l'habitude de te voir avec nous.

Elle s'assombrit et haussa les épaules.

- Maintenant, tu vas prendre l'habitude.

Adalia sourit, Edric resta de marbre et Talya leva les yeux au ciel.

- Bon, fit cette dernière en s'adressant à Emira. Tu peux rester, mais seulement si tu restes utile ou silencieuse.

- Ça s'applique aussi à moi ? demanda Eilynn en s'asseyant à côté d'Adalia

- Certainement pas ! refusa Emira au moment où Edric répondait "Bien sûr !"

Les jumeaux se fusillèrent du regard puis l'adolescente croisa les bras en se décalant pour être le plus loin possible d'Eilynn. Talya parut amusée - elle n'aimait pas beaucoup Emira et la voir contrariée lui remontait un peu le moral.

- Eh bien... comme ça, on aura plus de têtes pour penser. D'ailleurs, commençons. On a pas le temps pour ces gamineries, décréta la jeune fille

La porte s'ouvrit de nouveau et San entra, tira Tao par le bras et s'en alla sans un mot. Même si personne n'avait osé parler  pendant les quelques secondes qu'avait duré la visite de San, aucun des adolescents n'avaient paru inquiété.

Selon Sher, c'était un jeune homme bizarrement aimable. Il avait emmené le garçon pendant la "sortie" de Talya et avait été étonné par la gentillesse du scientifique, qui avait simplement rempli une fiche d'informations sur lui avant de lui faire une prise de sang et de le laisser tranquille - rien de bien terrible en somme. Heureusement ou malheureusement pour Talya - selon comment cela tournerait - tous avaient connu un traitement similaire - avec plus ou moins d'agressivité selon qui s'occupait d'eux - sauf elle. Et elle était aussi la seule à "travailler" avec Lilith.

Pourquoi ?

Bonne question, qu'elle ne poserait pas pour ne pas s'attirer d'ennuis - Eilynn en était la preuve : ceux qui sortaient du rang étaient aussitôt remarqués et devenaient les sujets de débats animés.

- Tu disais ? s'impatienta Emira

Talya réprima un sursaut : elle n'avait pas encore enregistré le caractère de la jeune fille.

- Oui, je... on est tous d'accord pour dire que cet endroit est... je ne trouve pas le mot, mais...

- Effroyable, glaçant, horrible, malfaisant, lista Edric

- Maléfique, résuma sa jumelle

Adalia hocha la tête lentement.

- Maléfique, répéta-t-elle dans un souffle

- Très bien, maléfique. J'aurais dit dangereux, mais c'est vrai. Et nous devons fuir. C'est une nécessité.

- Vous comptez partir seuls ou vous songez à nous laisser vous aider ? intervint Keily en leur jetant un regard interrogateur

Talya sourit, satisfaite. Elle avait eu peur que les autres soient trop peureux pour tenter quoi que ce soit mais apparemment, elle s'était trompée.

- Oh, vous pouvez participer. Mais il y a sans doute une bonne centaine de scientifiques ici, vu la taille du bâtiment.

- La taille du bâtiment ? Comment tu peux connaître la taille du bâtiment ? s'étonna Augustus, un garçon pragmatique et remarquablement malin

- Je sais qu'il est grand. Et comme Eilynn n'a pas eu l'air étonné, alors j'ai raison.

L'intéressée rougit et baissa les yeux, mais ne dit rien.

- Si tu veux, concéda Augustus. J'en suis aussi, au fait. Et... à peu près toutes les personnes présentes ici, je pense. À moins que certains veuillent voir jusqu'où sont capable d'aller nos amis les fous ?

"En effet, tu es intelligent." nota Talya. Il aurait pu formuler sa phrase autrement, de manière dissuasive, mais il était doué pour faire que les gens adhèrent à sa cause. Utile.

Et, comme le garçon l'avait prévu, personne ne sembla prêt à défendre la Société et ses tests. Tant mieux.

- Dans ce cas, allons-y. N'importe quelle idée est la bienvenue : on se fiche de savoir si c'est compliqué, dangereux ou irréalisable. Proposez tout ce qui vous vient en tête, dit Talya en se levant pour se placer au centre de la pièce.

Le quart d'heure qui suivit fut mouvementé - Talya ne s'était pas attendue à une telle avalanche de suggestions - puis les idées se tarirent et ils purent faire le tri pour ne retenir que les meilleures. Étonnamment, Eilynn n'avait rien dit alors que c'était sans doute elle qui connaissait le mieux le terrain. À l'inverse, le fait que ce soit Augustus qui soit à l'origine de la moitié des plans n'en surprenait aucun.

Talya réfléchit quelques minutes et les autres discutèrent entre eux à voix basse. Ils n'avaient pas réellement élu de leader, mais il leur avait parut évident que ce soit Talya, aussi avait-elle accédé à la place de cheffe d'un accord tacite.

- Je pense que je sais quelle est la meilleure manière de nous en aller. Je veux dire, celle qui aura le plus de chances de réussir. J'ai par conséquent une bonne et une mauvaise nouvelle.

Edric et Emira échangèrent un regard inquiet et Adalia prit la main de Keily, à qui elle n'avait jamais parlé mais qui ne semblait même pas s'en apercevoir.

- Premièrement, on va devoir rester ici encore deux ou trois semaines.

Comme elle l'avait prévu, les protestations fusèrent de partout, mais Eckarias rappela - il cria, à cause du bruit - qu'il y avait également une bonne nouvelle.

- En effet, confirma Talya. Nous allons retourner le plan de ces crétins de la Société contre eux. en s servant de nos pouvoirs pour fuir. Et causer le plus de bazar qu'on pourra au passage.

Cette fois, les accords des adolescents résonnèrent dans la pièce.

- Surtout, rappelez-vous : nous n'avons pas de plan et nous sommes faibles, d'accord ? fit Emira

- Pas de problème, lui sourit Augustus

Les autres acceptèrent également puis les groupes se reformèrent, tentant de cacher leur joie maladroitement. Quand Tao revint, Sher lui expliqua toute la situation et, bien qu'il fut un peu moins enthousiaste que son ami l'avait escompté, il n'hésita pas une seule seconde.

- Tu vas bien ? demanda Edric à Talya en feignant l'inquiétude

- Je... oui, pourquoi ?

- Parce que tu souris. C'est rare. Et ça te va bien.

Elle ne s'en rendit compte que quand il lui annonça et partit d'un grand rire, qui étonna le reste de son groupe. Qui aurait étonné tout le monde, si elle ne s'était pas retenue. Au final, très peu de gens l'avaient entendue rire. Elaï, bien sûr. Puisqu'elle était à l'origine de ces rires.

Et... non, il n'y avait qu'Elaï. Alors pourquoi... ? Pourquoi riait-elle maintenant ? Elle avait été enlevée. Elaï était morte. Elle avait eu son sang sur les mains. Elle avait subit une entrevue très étrange avec une folle. Et pourtant, elle riait ?

- Est-ce que je suis bizarre ? interrogea-t-elle de but en blanc

Sa question surprit Adalia et elle fronça les sourcils, mais les jumeaux et Eilynn lui répondirent, plus ou moins accordés : Edric dit "Moins que moi", ce qu'Emira appuya d'un "Moins qu'Edric !". Eilynn, plus vague, ce contenta de "Moins que certains d'entre nous".

- Mais je suis bizarre quand même.

- Très franchement, Talya, tu t'es fait enlever au milieu de la nuit par une bande de soi-disant scientifiques, donc être bizarre est la réaction la plus soft, sourit Emira

- Et de toute manière, j'adore tout ce qui est bizarre, renchérit Edric avant écarquiller les yeux et de rougir

Talya mit quelques secondes avant de comprendre et de devenir écarlate à son tour.

- Attendez, vous... commença Adalia

- Si tu termines cette phrase on risque d'avoir une disparition sur les bras, la découragea Talya

Adalia allait répondre, mais Tao l'interrompit en baillant. Il consulta sa montre brièvement avant de déclarer à la cantonade :

- Je sais que les trois quarts d'entre vous ne vont pas prendre ce que je vais dire en compte, mais tâchez de vous le remémorer quand vous aurez des cernes plus longs que vos bras demain : il est minuit passé.

Il s'affala dans un coin de la pièce et s'endormit presque instantanément. Presque tous les captifs faisaient ainsi : dormir assis contre un mur au lieu de s'allonger. Cela leur paraissait moins dangereux, et ils pouvaient se lever plus rapidement si ils en avaient le besoin. Ce qui ne les empêchaient pas de bien dormir : les scientifiques devaient avoir une horloge interne défectueuse, car ils n'étaient absolument par synchronisés. Layla venait toujours le matin, assez tôt, entre huit et dix heures, puis elle ramenait - jetait serait plus exact - sa victime avec les autres avant d'enchaîner rapidement, ne laissant qu'une dizaine de minutes d'intervalle entre chaque adolescent. Troy et San - ils étaient vraiment les mêmes - arrivaient au contraire dans l'après-midi, souvent en même temps, et laissaient une bonne heure entre leurs "rendez-vous". Et Lilith... Lilith n'était venue qu'une fois, ce qui n'était pas suffisant pour cerner ses habitudes.

Comme Tao l'avait prédit, la plupart des adolescents restèrent éveillés jusqu'à une heure du matin puis finirent par s'endormir. Tous, sauf Talya, qui ne parvenait pas à fermer l'œil, habitée par un désagréable sentiment d'insécurité. Ce qui n'était pas si étonnant, en fin de compte, mais elle arrivait généralement à avoir quelques heures de répit avant de reprendre le stress quotidien. Ce qui voulait dire...

Elle la sentit plus qu'elle ne l'entendit, se releva d'un bond et se jeta sur elle. Lilith.

Il n'y avait pas de lumière - Emira avait éteint les néons avant de se coucher - mais Talya avait eu le temps d'habituer ses yeux à l'obscurité, contrairement à Lilith, et elle percevait plus ou moins ses mouvements.

- Calmes-toi, bon sang ! Je ne suis pas venue pour me faire étrangler, je veux te parler !

- Eh bien moi, je n'ai pas envie !

- Ça m'est égal. Tu ne comprends toujours pas ? Je veux t'aider.

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