Chapitre 4

Trois, sept, neuf, une.

Trois, sept, neuf, une.

Trois, sept, neuf, une.

Les nombres tournaient dans la tête d'Adalia. Elle ne savait plus quoi faire d'autre que compter.

Après la déclaration de Layla, les adolescents avaient paniqué et les scientifiques, qui ne s'attendaient pas à un tel débordement, avait quitté la salle en la refermant à clé. Pour ne plus y rentrer.

Trois jours.

Sept.

Neuf adolescents.

Une nouvelle. Bientôt.

Pourquoi sept ? Il y avait quelque chose avec sept. Mais elle avait oublié quoi.

- C'est quoi, sept ? demanda-t-elle d'une voix faible en se redressant

- Le nombre de nuances de rouge du sang étalé par terre, lui répondit Talya, on ne peut plus sérieuse

- Ah oui, c'est vrai.

Trois, sept, neuf, une.

Elle laissa retomber sa tête sur le sol en ignorant la douleur lancinante qui lui parcourut le crâne. Si elle se blessait, ça ferait au moins trois nuances de rouge en plus.

Trois, sept, neuf, une, trois.


Elle avait dormi. Ou, en tout cas, elle était moins fatiguée qu'avant. Elle ressentait toujours ce tiraillement à l'estomac - elle n'avait rien avalé depuis bien trop longtemps au goût de son ventre - et la douleur dans sa gorge à chaque fois qu'elle déglutissait, mais au moins elle n'avait plus envie de dormir.

Parfait. Comme ça, elle pourrait ressentir toutes les nuances de sa douleur au lieu de compter les gouttes du sang de sa meilleure amie. Qui avait disparu, laissant pour dernier souvenir d'elle une nouvelle traînée de sang qui disparaissait derrière la porte.

- On peut pas rester comme ça indéfiniment, déclara-t-elle avec l'intention de se lever. Si ça se trouve c'est exactement ce qu'ils attendent de nous. Ils veulent qu'on soit le plus affaiblis possible, comme ça on passera d'un extrême à l'autre si ils arrivent à nous faire assez peur pour déclencher l'adrénaline.

- Ou assez mal, lui rappela Edric

- En effet, tu es nul pour réconforter les gens.

- Oui, mais ce n'était pas mon but. Je souligne simplement qu'ils ne vont pas se contenter de laisser une araignée se balader sur nous pour nous faire peur... ils vont nous faire mal. Tu comprends, ça, ou tu tiens vraiment à les voir comme les gentils qui veulent juste faire avancer la science ?! Ils veulent nous torturer !

Talya allait répondre quand elle fut prise d'un spasme. Elle s'écroula au sol, les yeux grands ouverts pour observer ce qu'elle était la seule à voir.

- Talya ? Viens, je vais te montrer quelque chose.

- C'est quoi ?

- Tu vas voir. Tu ne voudrais pas te gâcher la surprise, si ?

- Non...

- Bon. Alors, tu viens ?

Talya - la Talya réelle, celle qui sursautait en reprenant conscience, les cheveux trempés de sang - cligna des yeux plusieurs fois pour s'assurer qu'elle n'avait pas rêvé. La bribe de conversation qu'elle venait de surprendre - surprendre ou se remémorer ? - lui tournait en boucle dans la tête. Il y avait un détail, comme avec la plaque, un détail qui lui effleurait la conscience sans y pénétrer tout à fait.

Elle s'était sentie si minuscule, soudain. Si fragile. Comme une gamine, en fait. Ces jeunes enfants qui tiennent à peine sur leurs jambes mais qui courent dans tous les sens quand même.

"Exactement." se félicita-t-elle

C'était ça, son détail. Dans son... souvenir, vision, hallucination, qu'importe, elle avait une voix d'enfant. Sa voix, son passé. Elle le sentait au plus profond de son âme.

- D'accord, mais qu'est-ce que ça veut dire ? se questionna-t-elle à voix haute

Elle pensait souvent ainsi - même si, la plupart du temps, elle ne le faisait que quand elle était seule - car parler l'aidait à mettre ses idées à plat et d'aligner les informations.

- Qu'est-ce qui veut dire quoi ? s'embrouilla Edric

- Tais-toi et laisse-moi me concentrer.

Elle reconnaissait la voix de l'autre femme qui parlait. Elle l'avait déjà entendue plusieurs fois, sauf qu'en fait, non. Enfin, si bien sûr, mais... non.

- C'est ta faute ! Tu m'as déconcentrée et tu as emmêlé mes pensées ! lança Talya, énervée

- Mais je... j'ai juste posé une question ! se défendit Edric

Emira, adossée au mur près d'eux, leva les yeux au ciel et leur signifia son désintérêt par un étrange mélange de soupir et de rire.

- Si tu as un problème, dis-le, la provoqua Adalia, qui s'avérait être plus offensive que prévu

Depuis l'enlèvement, des petits groupes s'étaient formés : Talya, Edric et Adalia, qui se mettaient toujours dans un coin pour discuter de tout et de rien - bien que les conversations furent plutôt entretenus par les aînés, Adalia se contentant souvent d'observer et d'écouter. Emira était constamment avec Keily, mais insistait toujours pour se rapprocher le plus possible du groupe de son frère. Et puis il y avait deux groupes de garçons, qui ne cessaient de se chamailler entre eux pour des broutilles, ce qui énervait les autres, et... ainsi de suite à longueur de journée.

Au départ, il y avait ce garçon, Tao - dont le seul signe distinctif était la longue cicatrice qu'il portait au genou - qui gravait une ligne à peine perceptible dans le mur. Il avait dit quelque chose comme "Si jamais des gens nous retrouvent et qu'on est tous morts, ils sauront combien d'heures on est restés ici.". Ce qui avait fait pleurer Adalia et Eckarias.

Tao avait atteint soixante-dix-neuf barres - soit un peu plus de trois jours - quand il avait abandonné la partie d'un soupir de résignement.

Donc, en conclusion, l'atmosphère était saturée de tension - et de l'odeur du sang.

Alors, quand la porte s'ouvrit à la volée, tous les adolescents sans exception sursautèrent, le cœur battant à toute allure, se rappelant parfaitement du "Jusqu'à la mort." de Layla.

Et, comme le hasard fait bien les choses, ce fut elle qui entra, accompagnée par une jeune fille qui se débattait. Ce qui, en soi, n'était pas plus inquiétant que ça : les autres remarquèrent simplement qu'elle avait encore la force de se battre. Impressionnés, la plupart de relevèrent, mais Adalia vacilla une fois debout et se laissa aussitôt glisser contre le mur. Quant à Eckarias, l'idée de se lever lui paraissait si loin de ses capacités actuelles qu'il l'aurait presque trouvé comique. Presque.

- Lâchez-moi ! hurla la fille

- Tu vas... te calmer ! haleta Layla en la poussa brusquement dans la pièce

Elle rata les marches et s'étala de tout son long avec un cri de stupeur. À peine une demi-seconde plus tard, elle revenait à la charge, énergique.

- Ça sert à rien, la découragea Emira

- Je sais, répondit simplement la nouvelle en lui jetant un regard

Elle sourit et se reconcentra sur la scientifique. Si Troy ne l'avait pas rejointe à l'instant, elle aurait eu une chance de s'enfuir. Elle semblait l'avoir déjà rencontré - et avoir constaté qu'il était beaucoup plus fort physiquement que Layla - car elle lui adressa un geste grossier de la main en lui souriant d'un air faussement aimable.

- Content de te revoir aussi, ironisa l'homme

- Je n'arrive pas à savoir si tu joues les imbéciles juste pour pouvoir mieux nous surprendre ou si tu l'es vraiment, lui lança-t-elle

Elle laissa passer un silence au cours duquel elle affronta le regard clair de Troy, puis haussa les épaules et se désintéressa de lui.

- Bien... maintenant que tu as terminé tes caprices, Eilynn, nous allons pouvoir être sérieux, dit Layla

Elle marcha droit sur Adalia, ses talons claquant sur le sol gris. Elle tendit la main à la jeune fille, qui la considéra quelques secondes, les yeux dans le vague, avant de comprendre qu'elle devait la prendre. Ce qu'elle ne fit pas, préférant lever les yeux vers le visage de la femme, qui insista en lui saisissant le poignet.

- Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda Adalia, si soudainement qu'elle fit sursauter Edric

- Oh... je ne vous avait pas prévenus ? La semaine passée était destinée à vous briser. Maintenant, on va pouvoir débuter les tests.

Elle saisit le poignet d'Adalia, sous le choc, et la tira hors de la pièce. Quand elle vit la porte se refermer, elle cria.

Hurlement qui allait être suivi de beaucoup d'autres.

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