Segment 8 - Seul ?
— Ieeek ?
Harlock revint à lui avec une sensation d'oppression sur la poitrine, une odeur d'algues en décomposition dans les narines, un goût de sel sur la langue et un pélican assis sur le thorax.
— Raah, casse-toi... grogna-t-il d'une voix rauque.
Ses lèvres étaient desséchées, la peau de son visage le tiraillait, une pierre pointue appuyait douloureusement sur sa hanche et le zénith était strié de traînées de fumée. L'assaut contre Mabrus se poursuivait, déduisit-il. Il laissa son regard dériver dans le ciel bleu-gris, l'esprit gourd. L'assaut... Warrius.
Il resta allongé sur le dos un temps indéfini, incapable de réagir. Warrius s'en sortait-il ? songea-t-il. Avait-il appelé des renforts ? Viendrait-on les secourir ? Et quelqu'un penserait-il à lui ?
— Ieeek.
Quelqu'un d'autre qu'un pélican ? corrigea-t-il. Il fit la moue.
« Personne n'a jamais pensé à toi », souffla la voix dans sa tête. Il s'était toujours débrouillé seul jusqu'à présent. Pourquoi les choses changeraient-elles dans ce trou paumé ?
Peut-être devrait-il se contenter du pélican.
Les vagues léchaient ses mollets. Le grondement des rouleaux couvrait presque la rumeur des combats, plus haut. Il ferma les yeux. Il avait l'impression d'être seul au monde, naufragé sur une île déserte, Robinson abandonné sur une planète inconnue. Sporadiquement, le fracas d'une explosion lui rappelait toutefois que l'ennemi n'avait pas délaissé la partie... et que ses canons restaient trop proches de lui pour qu'il puisse se considérer en sécurité.
Le pélican s'agita soudain, ébouriffa ses plumes, puis se percha sur un rocher voisin – non sans avoir auparavant piétiné le visage d'Harlock de ses pattes palmées. « Ieeek ! » avertit-il. Harlock se figea. Le sifflement ténu d'un moteur prenait peu à peu le pas sur le bruit de l'océan. Ce n'était pas un moteur de vaisseau.
Harlock se redressa sur les coudes. Amis ou ennemis ? s'interrogea-t-il. Il plissa les yeux. Il ne distingua tout d'abord rien de plus que les mêmes vagues écumantes qu'il venait d'affronter, les mêmes rochers arides, les mêmes fragments de l'épave à laquelle il avait échappé. De loin en loin, des débris tombaient toujours de la falaise. Au-dessus, le bombardement s'était tu. Encadrée par les deux frégates, la barge d'assaut manœuvrait pour se rapprocher du promontoire. Des troupes s'apprêtaient à débarquer.
Au niveau de la plage, le sifflement s'intensifia et se matérialisa soudain en un véhicule de transport léger. Un vétel sans immatriculation, à la coque peinte de rayures ocre et kaki. Ennemi. L'appareil à anti-gravité se maintenait quelques mètres au-dessus des vagues. Il semblait en attente. À coup sûr, il coordonnait son assaut avec la barge, là-haut, se dit Harlock tandis qu'il s'aplatissait à nouveau au sol. L'avait-on remarqué ?
Avec lenteur, il rampa prudemment vers un endroit moins exposé, s'accroupit derrière un rocher imposant, risqua un œil en direction du transport antigrav. Son mouvement avait-il fait réagir des senseurs quelconques ? L'amas de pierraille le mettait hors de vue, bien sûr, mais ne le camouflerait pas en cas de scan bio. Il retint son souffle. Le vétel ne bougea pas.
— Ieeek.
Harlock tressaillit. Bordel, il n'allait quand même pas se faire trahir par une volaille !
— Non, chut ! Va-t'en ! siffla-t-il entre ses dents.
Le vétel resta stationnaire pendant d'interminables minutes, puis s'approcha finalement de la plage dans un chuintement. Quand la porte frontale s'ouvrit, Harlock se tapit autant qu'il put dans une anfractuosité du rocher. L'abri était dérisoire. Si « on » venait pour lui, il n'avait aucune chance... d'autant qu'il n'avait pas d'arme. Il referma machinalement le poing sur sa cuisse, à l'endroit où il aurait dû trouver la crosse de son neutraliseur. Hélas, les lanières du holster pendouillaient dans le vide. Tout avait été arraché pendant sa chute, ou peut-être lorsqu'il se débattait dans l'eau.
Il se consola en se répétant que, tactiquement, il avait peu de risques de représenter une cible d'intérêt. Non, ce à quoi il assistait devait plutôt relever d'une manœuvre en tenaille visant Mabrus.
Le vétel vomit sur le sable un commando de huit soldats équipés en armure intégrale. Deux d'entre eux possédaient davantage de bras qu'un humain de base. Et tous arboraient sur leur plastron le trisecteur cerclé de vert des Colonies Radioactives.
Des néo-humains.
Les soldats ne perdirent pas de temps sur la plage. Après s'être brièvement concertés, ils s'éloignèrent le long du rivage, à l'opposé de la plateforme effondrée. Harlock réfléchit aux différentes options qui s'offraient à lui : 1) rester planqué et attendre que des vaisseaux de la Fédération se pointent pour botter les fesses de ces enfoirés, ou 2) suivre ces enfoirés et attendre l'occasion de leur botter les fesses. Hmm... Il n'y avait pas trop à tergiverser, sourit-il in petto. Il n'avait jamais été un planqué.
Tout en prenant garde à rester à bonne distance des néo-humains, il se glissa entre les rochers. Le commando envisageait-il d'escalader la falaise ? se demanda-t-il. Ou bien existait-il un accès vers la station au niveau de la mer ?
— Ieeek !
Harlock ne put retenir un juron.
— Casse-toi, putain !
Comment voulait-on qu'il réussisse une filature efficace si ce foutu volatile s'obstinait à piailler au-dessus de sa tête !
Il stoppa, chercha des yeux une pierre à balancer sur cette sale bête, s'immobilisa. Au-delà de la barre où se brisaient les rouleaux, à vingt ou trente mètres du rivage, se détachait... une tête. Harlock se plaqua précipitamment au sol. Merde, c'était quoi, cette... chose ? D'un brun foncé luisant, presque noir, il aurait presque pu la confondre avec un rocher émergeant de l'eau, si ce n'était le fait qu'elle avançait à contre courant.
... et qu'elle possédait des yeux, constata-t-il après un examen plus attentif. Deux grands yeux ronds et entièrement noirs.
La tête approchait (son propriétaire se dirigeait clairement vers la plage), et davantage de détails étaient à présent discernables. Un visage dépourvu de nez, surmonté d'une touffe ridicule de poils. Une mince bouche sans lèvres, pincée en un pli réprobateur. Pas de cou. Une série de bourrelets de graisse qui devaient faire jonction avec le corps. Harlock fouilla dans sa mémoire à la recherche d'une espèce galactique qui correspondrait à cette description. Sans succès.
Peut-être s'agissait-il d'une population autochtone encore non répertoriée par la Fédération, en conclut-il, ou d'une énième « variation » néo-humaine. Ces gens-là produisaient des mutations plus vite que les lois bio-éthiques fédérales ne les réprimaient. Non pas que les Colonies Radioactives aient jamais tenu compte des lois bio-éthiques fédérales, d'ailleurs – c'était même pour cette raison qu'elles avaient fait sécession, trois siècles auparavant.
Harlock s'aplatit contre les rochers tandis que la créature sortait de l'eau, se força à respirer le plus lentement possible, tenta – vainement – de calmer les battements de son cœur qui devait s'entendre à des kilomètres. Allait-il à nouveau passer inaperçu, ou n'échapperait-il pas au scan bio cette fois-ci ? Le nouveau venu serait-il plus consciencieux que le commando néo-humain qui l'avait précédé ?
Quelque part derrière lui, le pélican lâcha un « ieeek ». Ne bouge pas !
Les vagues se brisaient sur la plage.
Ne bouge pas, ne bouge pas, ne bouge pas !
Les secondes s'égrenaient dans une lenteur infinie.
Bon alors, il me trouve ou il prend racine ?
La curiosité prenant le pas sur la prudence, Harlock risqua un coup d'œil. Sur la plage, la créature, juchée dans un exosquelette sophistiqué, parlait à grand renfort d'éructations gutturales dans ce qui devait être un communicateur. Du néo-humain, vu les intonations. Le débit était toutefois trop rapide et haché pour qu'Harlock parvienne à en saisir le moindre mot.
Il inspira, se glissa vers un autre rocher, musela une bouffée de panique lorsque du gravier roula sous ses pieds... L'autre ne broncha pas. Quelques respirations angoissantes plus tard, Harlock se détendit. Un peu. Il avait gagné un répit, estima-t-il, mais allait-il faire le poids s'il tentait de surprendre son adversaire ? À mains nues ?
Il souffla. Fallait être réaliste, quelle que soit la race de ce truc, c'était du gros morceau. Sa taille, exosquelette compris, devait atteindre les deux mètres cinquante. Ses mains palmées serraient, pour l'une un fusil imposant, pour l'autre le joystick de commande de l'exosquelette. Ses deux bras hypertrophiés émergeaient d'un corps en cylindre sans épaules, qui se prolongeait sous la ceinture en une nageoire recouverte de fourrure.
Ça ressemblait à une otarie sous stéroïdes.
Elle était seule.
Et elle lui tournait toujours le dos.
Harlock banda ses muscles.
C'était peut-être sa chance.
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