Segment 7 - Lutte pour survivre !

La lumière... Rejoins la lumière.

Le froid le saisit comme un étau. Les remous l'entraînaient vers les profondeurs. Lorsqu'il voulut crier, l'eau salée l'étouffa. Il se débattit à l'aveugle alors que des ombres le frôlaient, alors que sa poitrine brûlait, il donna des coups de pieds contre des rocs, des plaques de métal, des tiges souples, il agita les bras dans des cordages.

La lumière...

La mer écumait. L'effondrement de la plateforme et d'une partie de la falaise soulevait de gros bouillons de bulles et de vase noire mêlées. Les microparticules de sable en suspension accrochaient des milliers d'éclats de soleil.

Rejoins la lumière !

Harlock émergea au milieu des vagues. Les rouleaux se brisaient contre des débris cyclopéens, qui se dressaient vers le ciel tels les doigts décharnés d'un monstre marin à l'agonie. Le courant le drossait sur un pilier brisé en deux, hérissé d'arêtes coupantes. Ballotté par le ressac, Harlock se cramponna in extremis à un amas de tubulures disloquées – juste à temps pour éviter d'être empalé.

À force de reptations, il parvint enfin à se hisser à demi hors de l'eau, à bout de souffle.

— Major ?... Major !

Personne ne répondit à son appel.

Il toussa, recracha (en tout cas c'est l'impression qu'il en eut) au moins la moitié de la mer, et s'affala en avant, épuisé et engourdi. L'eau léchait ses cuisses, le froid le transperçait, son regard papillota. Si je m'évanouis maintenant, je suis mort, pensa-t-il. La carcasse de la plateforme grinçait et crissait, craquait et s'abîmait inexorablement. Le promontoire instable sur lequel il s'était réfugié lui avait permis d'échapper à la noyade, mais ce n'était pas une solution d'avenir.

Harlock se redressa, prenant garde à ne pas faire de mouvements brusques qui aurait pu briser l'équilibre précaire des tubes de métal, et s'efforça de déterminer le meilleur moyen de s'en sortir.

Warrius, tu peux m'envoyer une unité antigrav ? C'est urgent !

Le rivage n'était pas très loin. Au plus proche, la falaise à pic et les débris le rendaient inabordable, mais au-delà, Harlock distinguait une crique qui plongeait en pente douce vers la mer. La distance à parcourir devait s'élever à trois cents, peut-être quatre cents mètres. S'il nageait jusque-là, il serait tiré d'affaire.

Harlock déglutit. S'il nageait jusque-là...

Trois cents mètres.

Peut-être quatre cents.

Il se remémora cette station orbitale, où il avait passé quelques mois durant son enfance, les jeux, les défis, les bousculades. Sur Marigen-3, il n'avait échappé à la noyade que parce qu'on l'avait extrait de l'eau.

Il se remémora ce séjour chez Warrius, dans un coin paumé de la vieille Terre. « Vingt mètres à franchir, trois fois rien ! » avait assuré Warrius. Traverser le petit bras de mer avait semblé durer une éternité.

Trois cents mètres...

Sans parler de la houle, des vagues déferlantes, du courant et des rochers coupants à fleur d'eau.

Harlock se crispa tandis qu'une vague plus forte le submergeait soudain, serra de toutes ses forces le fouillis de tubes qui le préservait de l'engloutissement. L'océan réclamait son dû.

Il manqua de peu d'être emporté par le flot. Ce n'était qu'un répit, comprit-il. Le coup de grâce ne tarderait pas. La prochaine vague peut-être... La suivante sûrement. L'édifice branlant ne tiendrait plus longtemps.

Warrius...

Il inspira profondément. Ses mains tremblaient. Il flottait plus ou moins, mais il ne savait pas nager. Pas sur une telle distance.

Mais il n'avait pas tellement le choix.

                                                  —————

Harlock ouvrit les yeux brusquement lorsque de l'eau pénétra dans son nez. Il s'était assoupi sans s'en apercevoir.

Si je m'évanouis maintenant, je suis mort.

Combien de temps était-il resté inconscient ? Quelques secondes, quelques minutes ? Au-dessus de lui, les frégates ennemies poursuivaient leur assaut. Les déflagrations lui parvenaient comme assourdies. Mes tympans ont morflé, réalisa-t-il. Il espéra que ce n'était que temporaire.

Il sursauta quand un poids tomba sur ses épaules, aussitôt suivi d'un pincement à l'oreille.

— Hé ! protesta-t-il. Du balai, je ne suis pas comestible !

Le nouvel arrivant s'écarta dans un froufroutement de plumes blanches, puis se posa à nouveau près d'Harlock et pencha la tête sur le côté. Peu farouche, il semblait curieux plus qu'affamé, mais ses claquements de bec donnaient à supposer qu'il s'attendait à ce qu'on lui jette de la nourriture. Peut-être était-il habitué à quémander chez les scientifiques de Mabrus, se dit Harlock en se demandant à quel genre d'oiseau il avait affaire.

La bestiole répondit « ieeek » et battit des ailes. Hmm, trois mètres d'envergure au bas mot, évalua Harlock. Et un bec long comme son bras.

Ça ressemblait à un pélican. En plus gros. Pour autant qu'Harlock le sache. Il n'était pas vraiment familier de la nature et des bébêtes qui la hantaient, et n'avait en réalité jamais croisé de pélican – ni même de canard d'ailleurs – autrement qu'en holovid.

— J'ai rien à manger pour toi, va-t'en !

L'injonction n'eut aucun effet. Au contraire, l'oiseau s'enhardit jusqu'à fourrager du bec la poche latérale du pantalon d'Harlock. Visiblement peu satisfait de son examen (« j'ai rien, j'te dis ! »), il battit à nouveau des ailes.

La structure métallique couina. Puis pencha, avec une série de saccades brutales. Faut que j'y aille, se décida Harlock. Trois cents mètres à la nage. Une broutille.

Lorsqu'il se lança dans l'eau, il songea qu'il aurait peut-être dû ôter ses chaussures et son gilet pare-éclats au préalable. Après avoir bu la tasse deux fois, il maudit ce foutu clapot qui s'obstinait à lui entrer dans les narines (la vague suivante lui déferla dans l'oreille, ce qui n'était pas beaucoup mieux). Au bout d'une éternité à agiter les bras et les jambes de manière plus ou moins coordonnée, il constata 1) qu'il n'avançait pas très vite, et 2) que le pélican le suivait.

L'oiseau flottait tranquillement derrière lui. De temps en temps, il lançait un « ieeek » moqueur. Harlock choisit de l'ignorer et se concentra plutôt pour ne pas couler. Il lui restait... Allez, soyons optimistes, deux cent cinquante mètres. Point positif, il avait l'air de dériver dans le bon sens. Point négatif, il suffoquait. Et il ne tiendrait jamais en apnée sur deux cent cinquante mètres, surtout vu l'allure à laquelle il avançait.

Il hoqueta lorsqu'il avala une énième gorgée d'eau de mer, perdit le fil de sa concentration, s'enfonça sous la surface, paniqua, moulina frénétiquement des bras, réussit enfin à se stabiliser.

Le pélican l'observait avec intérêt. Cette saleté de bestiole flottait sans effort. Harlock lui lança un regard mauvais.

Il lutta pendant... des éons, au minimum. Les muscles tendus, les poumons en feu, il se battit contre chaque vague, il gagna chèrement chaque respiration, il grappilla chaque mètre contre le courant qui menaçait de le rabattre sur les rochers. S'il contournait cet éperon, il n'aurait plus qu'à se laisser porter vers la crique, se répétait-il. S'il tenait bon encore quelques brasses... Et encore quelques autres...

L'océan le submergea une fois de plus. Chaque remontée devenait plus difficile, plus lente aussi... Les profondeurs étaient si tentantes...

« Ne renonce pas ! »

Était-ce sa voix ? Celle de Warrius ? Appartenait-elle à des souvenirs plus lointains ? Harlock cilla, tenta d'apercevoir le rivage. Encore quelques brasses... Sa vision était floue, brouillée par le sel et la fatigue.

Il tressaillit lorsqu'on le frôla. « Ieeek ? » Le pélican était toujours là, cerclant autour de lui, palmant avec aisance. Peut-être attendait-il qu'il se noie pour se repaître de son cadavre, songea Harlock. L'oiseau s'approcha encore.

— Ieeek.

Pris d'une inspiration subite, Harlock tendit les doigts, effleura une patte, referma le poing. « Ieeek ! » protesta l'oiseau. Il chercha à se dégager, déploya ses ailes, voulut d'enfuir. Harlock ne lâcha pas prise. Perdu pour perdu... Il eut à peine conscience des secondes suivantes, excepté le fait qu'il avala (encore) beaucoup d'eau. À un moment ou à un autre, ses pieds touchèrent le fond. Ses doigts rencontrèrent le sable.

Sans trop comprendre comment, Harlock se retrouva à genoux sur la plage.

Et s'effondra.

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