Segment 5 - Descente sur Yblane

La descente en atmosphère fut trop rapide pour qu'Harlock ait le temps d'évaluer la qualité du pilotage, de le critiquer et de réclamer les commandes. À peine dix minutes après avoir quitté l'Hayabusa, la navette se posait sur une plateforme étriquée juchée à l'extrémité d'un bras métallique en surplomb d'une falaise rocheuse.

La station scientifique de Mabrus-B était construite au sommet d'un pic qui émergeait à cinquante-trois mètres au-dessus de l'océan planétaire (un record, la plupart des îlots d'Yblane se contentant d'affleurer la surface). La rocaille, dépourvue de toute végétation, descendait en pente raide jusqu'à l'eau, tandis qu'un seul sentier escarpé, long d'une trentaine de mètres, reliait la zone d'atterrissage au bâtiment principal. Le soleil double écrasait le tout d'une chape de chaleur.

À l'extérieur, rien ne bougeait.

— Erin, toubib, avec moi, ordonna Zero. Major, vous sécurisez la plateforme. Et toi... – Zero pointa le doigt sur Harlock – ... tu es binômé avec le major, donc tu restes là.

Harlock ouvrit la bouche pour protester.

— Mais je...
— Non. Tu. Restes. Là. Pas de discussion.

Zero ponctua chaque mot de son doigt levé et, hélas, ne semblait pas disposé à changer magiquement d'avis dans les cinq secondes. Mâchoires serrées, Harlock se contraignit donc à ravaler sa frustration tandis que Farrell lui adressait en un seul regard méprisant tout le bien qu'elle pensait de lui. Il se retint à temps de l'insulter.

— Contact sur P4 toutes les dix minutes, major, dit-elle sans quitter Harlock des yeux.

Harlock soutint l'affront sans ciller. Puisqu'il était le plus gradé du binôme, n'était-ce pas plutôt à lui que l'on devait donner les consignes ? Il était officier, non ? Le commandant Zero ne releva pas. Bien reçu.

Il avait envie de hurler.

Lorsque l'équipe de Farrell se déploya autour de Zero pour l'escorter jusqu'à la station, Harlock serra le poing, donna un coup rageur sur le flanc de la navette. Le métal rendit un bruit sourd. Bon sang, il avait supporté l'Acastro pour commander des gens, pas l'inverse ! Pourquoi tout était toujours si compliqué ?

Il se demanda ce qu'il adviendrait s'il se raccrochait au groupe malgré tout. Il avait encore le temps de les rejoindre avant qu'ils n'entrent dans les baraquements. Il lui suffisait de courir, de coller au train du dernier équiper, de suivre chacun de ses mouvements... Farrell le renverrait, bien sûr, mais Warrius ?

Il se tendit, prêt à bondir. Le sourire goguenard du major le stoppa net dans son élan.

— Le commandant a dit « s'il tente de s'enfuir, visez les genoux », déclara simplement celui-ci.

Le major leva son arme sans cesser de sourire.

— ... Je suis paré.

Eh, pas de blagues, hein ?

Répondre « vous n'oseriez pas » n'était sûrement pas une bonne idée. Rejoindre Warrius pour se plaindre non plus, a priori.

Refroidi par la perspective de se faire briser les genoux... quoi que le major ne brandisse qu'un neutraliseur non létal (mais bon, la menace tenait toujours)... Enfin bref, refroidi par la perspective de se faire mettre au pas d'un coup de paralyseur, Harlock grogna :

— On sert à rien ici, c'est nul.

Le major haussa les épaules.

— Lieutenant, notre rôle est de sécuriser la plateforme et de garder la naïo. C'est aussi important que d'aller crapahuter dans cette station à la recherche de ses occupants.

Oui ben c'était nul. Il était là pour agir, pas pour faire le planton !

Harlock exprima son insatisfaction à grandes enjambées, sans toutefois risquer de s'éloigner de la navette (les genoux, tout ça...). La plateforme était ceinturée d'une rambarde de protection rudimentaire et d'un filet anti-chute. Loin en dessous, l'océan ondulait mollement. Les vagues léchaient le rebord de la falaise dans des gerbes d'écume, et leur grondement sourd se fondait en un calme ronronnement trompeur.

Harlock cligna des yeux, gêné par la lumière crue, puis se pencha avec précaution par-dessus le bord. Une brise humide lui caressa le visage, accompagnée d'une odeur marine douceâtre. Malgré le soleil qui lui rôtissait le haut du crâne, il frissonna. Le grand air ne lui valait rien, songea-t-il. Il serait mieux à l'intérieur.

— Cette île est plantée au milieu de nulle part ! insista-t-il. On n'a rien détecté en arrivant, pas d'autres installations, pas d'activité électromagnétique, rien du tout ! Qu'est-ce qu'on risque à laisser la navette toute seule ?

Le major renifla et prit un air suffisant tout à fait insupportable.

— C'est un avant-poste militaire à la frontière des Colonies Radioactives, bleu bite ! Tu penses que rien ne peut mal tourner ? Tu te crois où, sur un atoll tropical d'une planète touristique ?

Avec effort, Harlock se persuada que le foutu sobriquet du major était une marque d'affection de la part d'un vétéran et non pas une insulte, se concentra sur le reste de la phrase et fronça le nez, sceptique. Dis donc c'était nouveau, ça...

— Il était pas scientifique, cet avant-poste ? s'étonna-t-il.
— Ouais enfin vu sa position, c'est pas les civils qui l'ont financé, hein...

Pas faux.

Excroissance démesurée du patatoïde vaguement sphérique délimitant la Fédération, la Bordure Intérieure frôlait ici le Consortium Marchand avant de transpercer de part en part le territoire des Colonies Radioactives. Fief des néo-humains, les Colonies s'organisaient en myriades de parcelles discontinues et enserraient la Bordure Intérieure tel un donut géant. Leur système pseudo-féodal rendait toutefois la détermination d'une frontière globale difficile.

Yblane appartenait à cette zone grise. La planète n'avait pas été formellement incluse dans le territoire de la Fédération. Son nom trahissait une exploration néo-humaine antérieure. Et ses ressources en minéraux intéressaient les grandes compagnies minières de tous bords.

Harlock ne s'était pas vraiment intéressé à la politique de la région, mais il savait que, de loin en loin, des « incidents » suivis de « protestations diplomatiques officielles » se jouaient sur l'une ou l'autre de ces planètes perdues.

Il scruta l'horizon, soudain préoccupé. Le coin était tellement tranquille... Certes, il l'avait scanné depuis la passerelle de l'Hayabusa, mais les senseurs du patrouilleur étaient-ils suffisants ? N'importe quel dispositif de brouillage était capable de leurrer un scan standard.

J'aurais dû lancer une analyse détaillée, se tança-t-il. Mais s'il en avait pris le temps, il n'aurait pas pu rejoindre la navette avant son départ... Il pinça les lèvres. L'océan était vide, le ciel était vide, le soleil agressait son œil droit davantage qu'il ne l'aurait souhaité, et l'action intéressante se déroulait à l'intérieur de cette foutue station militaro-scientifique. Et lui, il se montait des films pour rien.

— En tout cas, j'espère qu'on ne va pas traîner dans les parages, lâcha le major. J'ai un mauvais pressentiment.

Comme en écho à ces derniers mots, un obus à fragmentation laser explosa à l'aplomb de la plateforme.

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