Segment 21 - Poste de combat !
Son ordre fut suivi d'un silence, intense et suspendu, qui supplanta l'espace d'une respiration la cacophonie ambiante. Harlock s'apprêta à une tempête de protestation, une fronde ou pire : à être ignoré. Aurait-il besoin de se répéter ? De s'emporter ? De cajoler ? Quelle était la meilleure approche pour se faire obéir de subordonnés récalcitrants ? s'interrogea-t-il en même temps qu'il ressentait une vague de compassion pour tous les officiers, Warrius y compris, qui avaient jamais eu maille avec ses propres velléités de n'en faire qu'à sa tête.
— Tu as l'autodéfense à trente pour cent, tourelle avant verrouillée dans l'axe, arrière OK, ventrale HS, torpilles à cent pour cent, tubes chargés ! lui lança finalement Tochiro.
Le petit ingénieur se tourna brièvement vers lui, lui sourit, puis revint à ses écrans.
— ... Les moteurs conventionnels sont à soixante pour cent, propulseurs de manœuvre à trente-cinq...
Une vue de synthèse s'afficha sur le côté gauche du panneau tactique supérieur. Des chiffres mouvants, des couleurs... Cette silhouette, c'était le vaisseau ? Harlock tenta d'absorber la masse tourbillonnante de données d'un seul coup d'œil. Il n'y parvint pas.
— ... et je t'ai récupéré huit pour cent de boucliers !
Autant dire rien, mais ce n'était pas le moment de se plaindre.
— Détection quatre missiles dans le deux cent trente-six pour quatre deux négatif. Contre-mesures en cours de paramétrage.
La voix désincarnée s'exprimait sans émotion. « Contre-mesures larguées », annonça-t-elle moins d'une seconde plus tard. L'IA du vaisseau avait pris l'initiative de l'autodéfense... et elle se montrait très compétente, constata Harlock lorsque le nuage de leurres s'interposa devant les missiles avec toute la ténacité de sa programmation informatique. Un opérateur de chair n'aurait pas réussi une aussi bonne performance en si peu de temps.
Un opérateur de chair n'aurait en outre probablement pas atteint le missile qui s'extirpa des leurres si la défense rapprochée avait été en mode manuel, songea-t-il ensuite tandis que les petits calibres bâbord entraient en action trop vite pour que l'œil humain puisse les suivre.
Le missile réduit en confettis explosa à une cinquantaine de mètres de la coque. La passerelle oscilla sous l'onde de choc, mais le bouclier à l'agonie tint bon.
Harlock cilla, se reconcentra sur sa trajectoire. La console de nav' lui proposait différentes options de manœuvre, chacune agrémentée de prédictions des dommages infligés et subis. Il les rejeta toutes : trop simplistes, trop éculées, trop prévisibles. L'IA était peut-être en mesure de piloter le vaisseau seule, sans aucun doute elle se défendait remarquablement bien avec les leurres et les armes à courte portée, mais elle ne valait pas tripette en tactique.
— Tochiro, faut qu'on riposte ! Tu as des missiles en soute ?
— Nope, pas de missiles ! rétorqua le petit ingénieur. Torpilles !
Harlock grimaça. Bon okay, va pour des torpilles. Même si la torpille à si courte distance c'était un peu du gâchis, hein...
Mais il était trop loin et mal placé pour utiliser les tourelles laser – dont il ne connaissait d'ailleurs pas la portée efficace. D'autant qu'une seule sur trois était pleinement opérationnelle, s'il se souvenait bien les mots de Tochiro. Trop aléatoire, décida-t-il. Et hautement risqué.
Torpille, donc.
— Attention pour lancer ! Salve de... – Harlock glana in extremis l'information qu'il lui manquait sur un écran latéral – ... trois torpilles par bâbord !
Le vaisseau était équipé de six tubes lance-torpilles répartis de chaque côté de la proue. Alors certes, tirer la totalité des armes de bâbord les désavantagerait le temps de recharger, mais Harlock ignorait aussi bien les performances de ses torpilles que celles des frégates en face. Opter pour la saturation lui paraissait en conséquence un bon compromis.
Bien sûr, en termes de puissance de feu cela revenait à écraser une fourmi avec un bulldozer, mais ils n'étaient pas là pour faire dans la dentelle.
— Portes de bordée ouvertes... Lancement permis !
Harlock inspira. Il n'était plus à l'Acastro. Ce n'était pas une simulation. Sur son écran tactique, les deux frégates néo-humaines étaient matérialisées par deux triangles renversés rouges. Il pointa l'un d'entre eux.
— Feu ! ordonna-t-il.
La saturation. Le tir simultané parviendrait-il à déborder les défenses de la frégate ?
— Torpilles parties !
« Temps de parcours quarante-trois secondes », annonça l'IA.
Trop près, analysa Harlock. Que les torpilles atteignent leur but ou qu'elles soient détruites par la défense adverse, dans les deux cas elles feraient du dégât lorsqu'elles détonneraient... et il était trop près : il serait forcément pris dans la déflagration. Et vu l'état de ses boucliers...
— Ascension, puissance max ! avertit-il.
Il tira sur la barre, prit une assiette à cabrer, atteint la butée, insista. Les compensateurs couinèrent.
« Trente secondes. »
La frégate néo-humaine non ciblée prenait de l'altitude également, abandonnant l'autre à son sort. Sur les écrans tactiques, de longs serpents lumineux se dessinaient, ondulants et hypnotiques, au fur et à mesure que les torpilles désynchronisaient leurs trajectoires pour encercler leur proie.
« Vingt secondes. »
Le radar repéra la barge d'assaut ainsi que plusieurs petits appareils non identifiés autour de l'îlot abritant le complexe de Mabrus-B. Leurs mouvements laissaient présumer une fuite effrénée. Harlock réclama davantage de puissance moteur. Risque de surchauffe soixante-trois pour cent, lui répondit sa console. Il l'ignora.
« Dix secondes. »
La frégate visée ouvrit le feu sur les torpilles.
Puis le monde explosa.
—————
« Gamin, l'histoire spatiale compte beaucoup de jeunes aventuriers qui rêvaient de naviguer. Morts, pour la plupart. »
« J'serai meilleur qu'eux. »
Voler.
Être libre.
La boule de feu enfla jusqu'à emplir l'horizon.
Le souffle les happa quelques secondes avant que les flammes ne les dépassent.
Le temps s'arrêta.
Voler.
Le vaisseau partit en crabe, poussé, puis avalé par la sphère incandescente. Harlock lutta avec la barre, avec les propulseurs, avec les moteurs.
Voler.
Il se battit pour garder le contrôle de sa trajectoire, pour ne pas être balayé telle une poussière évanescente, il surfa sur la vague infernale, se jouant des langues de plasma et des volutes de fumées aveuglantes.
« ... Morts, pour la plupart. »
Il entendit « on va se crasher ! » Foutaises, songea-t-il. Ils étaient trop haut pour s'écraser.
« J'serai meilleur qu'eux. »
En atmosphère, ses options de manœuvre restaient limitées par la gravité. S'il voulait s'en sortir, il devait monter. Gagner l'espace.
Voler.
Les étoiles.
Assiette à cabrer.
La coque chauffée à blanc piaulait et crissait, sifflait et grinçait. Les boucliers crépitaient ; leur aura scintillante formait autour du vaisseau un brouillard violacé parcouru de veinules électriques. Combien de puissance leur restait-il ?
Le halo protecteur faiblissait. Bientôt, l'orage rouge engloutit tout.
— Ieeek.
Hé ben. Il y en avait au moins un parmi eux qui prenait tout ceci avec flegme, sourit Harlock in petto. Un exemple à suivre.
Il redressa le menton, défia les nuées ardentes du regard, se détacha du danger. La barre sous ses paumes irradiait une froide sérénité.
Tenir.
Tenir et voler.
Les moteurs hurlaient.
Le vaisseau s'arracha au nuage bouillonnant avec un râle d'outre-tombe. Les derniers tentacules éthérés enserrant la coque lâchèrent prise tandis que le ciel s'obscurcissait peu à peu. Le rouge s'éteignit, remplacé par la nuit. Au-delà des vitres de la passerelle, les étoiles tremblantes s'allumèrent l'une après l'autre.
L'atmosphère disparut.
Le firmament les accueillit d'un tapis de diamants.
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