Segment 19 - Contact... Démarrage

Facile. Le mot lui avait comme sauté à la gorge. Ce devrait être facile.

Il se le répéta tandis qu'il était conduit vers les ponts supérieurs, tandis qu'il remontait une coursive interminable, tandis qu'il se tassait dans un ascenseur avec Tochiro, deux scientifiques de Mabrus et le quartier-maître de l'équipe de visite... Osman, se rappela Harlock. Les autres avaient suivi Maji dans les entrailles du vaisseau.

— Est-ce qu'on peut m'expliquer pourquoi il y a un palmipède dans cet ascenseur ? se plaignit quelqu'un.
— Ieeek.

Harlock fit mine de ne rien remarquer.

— Ieeek, insista le pélican.

Oh, Monsieur l'Oiseau n'aimait pas être ignoré, hmm ? Harlock lui donna une pichenette sur le bec.

— Il est avec moi, dit-il.

« Avec moi » et non pas « à moi », décréta-t-il. La bestiole se montrait trop indépendante pour appartenir à quiconque.
Personne n'y trouva à redire, même si Harlock sentit nombre de regards dubitatifs peser sur sa nuque. Oui ben c'est pas de ma faute si ce foutu piaf a décidé de me coller aux basques, hein !

Il eut un demi-sourire, se demanda comment Warrius accueillerait l'encombrant volatile à bord de l'Hayabusa. S'assombrit. Warrius...

Le pélican tendit le cou, posa la tête au creux de sa hanche, exerça une pression infime, étonnamment douce, curieusement réconfortante.

— Ieeek.

Cette bête le comprenait davantage que tous les bipèdes sentients qu'Harlock avait jamais croisés.
Il résista à l'envie de lui gratter l'arrière du crâne. Ce n'était pas le moment de se montrer sentimental. Peut-être plus tard, se promit-il. Ses doigts effleurèrent des plumes.

Une fraction de seconde avant que les portes de l'ascenseur ne s'ouvrent, le pélican se dégagea d'un mouvement brusque, déploya ses ailes et bouscula tout le monde pour sortir le premier. Son décollage chaotique provoqua quelques grognements étouffés – et réprobateurs, Harlock en était certain. Il serra le poing. Tant pis pour eux, songea-t-il. Si l'oiseau voulait être du voyage, alors ils devraient s'y plier. Qu'ils médisent s'ils veulent. Les reproches ne l'atteignaient pas.

L'ascenseur débouchait sur l'arrière de la passerelle. Impossible de s'y tromper : les parois s'incurvaient de manière caractéristique, se paraient de renforts de coque plus visibles et plus resserrés, épousaient l'intérieur d'un bloc trapézoïdal. L'épaisseur des plaques de métal trahissait l'importance vitale de l'endroit.
La coursive contournait la structure centrale par la gauche. Elle aboutissait à une porte étanche verrouillée. Le pélican piaffait sur le seuil. Ieeek, s'impatientait-il.

Tochiro apposa sa main sur une dalle de reconnaissance palmaire, qui s'illumina brièvement de vert. La double porte blindée s'ouvrit sur une pénombre bleutée. Le groupe de scientifique s'y engouffra sans hésitation et s'activa aussitôt autour des consoles éparses.

— Vous voulez que je fasse quoi, lieutenant ? demanda Osman.

Harlock fixa le quartier-maître sans parvenir à trouver quoi lui répondre. Devant eux, Tochiro donnait des consignes à ses... collègues ? subordonnés ? Le petit ingénieur courait d'un poste à l'autre, ici allumait un écran, là poussait une série d'interrupteurs, plus loin tapait des lignes de texte sur un clavier. La passerelle s'animait peu à peu tandis que l'électronique prenait vie.

Sa configuration était très classique, nota Harlock. Sobre, fonctionnelle, aérée, et aménagée par îlots sur le modèle des bâtiments militaires de la Fédération – Harlock reconnut un module radar, le pôle navigation et les consoles tactiques à droite, les commandes de contrôle des armes de l'autre côté... La timonerie et le pupitre machine devaient être installés dans la fosse qu'il devinait sur l'avant, estima-t-il.

Partout des graphes s'affichaient, des diodes se mettaient à clignoter, des ordinateurs bourdonnaient... Qu'attendait-on de lui ?

— La radio, dit-il finalement. Essaie de contacter l'Hayabusa.

C'était ce que Warrius aurait décidé... non ?

Osman hésita, scruta les consoles, puis se dirigea vers l'îlot correspondant. Radio et radars étaient positionnés de part et d'autre du poste de commandement. Harlock s'en rapprocha : surélevé par rapport au reste de la passerelle, il se renfonçait un peu vers l'arrière. Le pélican l'attendait sur le fauteuil.

— Ieeek, fanfaronna-t-il.
— Descends de là, répliqua Harlock.

C'est ma place, songea-t-il. Il n'osa pas prononcer la phrase à voix haute.
Ç'aurait pourtant dû être facile.

— Pit', tu me reçois ? s'enquérait Tochiro. Tu en es où pour les moteurs ?

La voix de Maji tomba des haut-parleurs.

— Préchauffage à dix-huit pour cent, tous les paramètres sont normaux !

Harlock tenta d'en déduire le temps qu'il leur restait à attendre. Les plus gros vaisseaux mettaient des heures à préchauffer. Un patrouilleur comme l'Hayabusa était opérationnel en un peu plus d'une heure. Pour une frégate de taille standard, il fallait en prévoir trois à quatre. Certains croiseurs nécessitaient quant à eux presque une demi-journée de préchauffage. Ce vaisseau... Tochiro l'interrompit dans ses réflexions.

— Harlock, on lance à trente-cinq pour cent ! T'es paré ?

Quoi ?

— Paré ! répondit-il.

Il leva le pouce.

Facile.

Était-il encore temps de contacter le toubib, de demander des nouvelles de Warrius, de glaner un conseil peut-être ? Le préchauffage moteur était une étape primordiale, tout le monde savait ça. Un moteur froid était un moteur qui risquait de gripper, et un moteur grippé ne tenait pas le warp : il explosait.

Bien entendu ils n'avaient pas besoin de sauter en hyperespace immédiatement après le décollage, réfléchit Harlock, mais tout de même... Des moteurs froids handicaperaient les capacités manœuvrières du vaisseau – de ce « prototype ». Cet engin saurait-il tenir tête aux deux frégates néo-humaines qui l'attendaient dehors ?

Était-il encore temps de faire marche arrière ?

Harlock ferma les yeux, serra le poing. Non. Jamais.

Avancer.

Il voulait voler. Pas en tant que passager, ni même en tant que subordonné. Non, il voulait manœuvrer lui-même, sentir son vaisseau virer sous ses doigts. Être maître de sa trajectoire. Être libre.

Je rêve de voler.

Il l'avait toujours su, aussi loin qu'il s'en souvienne. Les étoiles l'appelaient, besoin irrépressible, vital. Chant de sirènes. Ça n'avait jamais été un caprice, quoi qu'en aient prétendu les adultes. Et si pour cela il devait se contenter de moteurs à peine tièdes, alors qu'il en soit ainsi.

Il inspira. Ce sera facile, se persuada-t-il. Ça l'avait toujours été à chaque fois qu'il avait piloté.

— Vingt-quatre, vingt-six... égrenait Maji. Vingt-huit pour cent, prêt pour couplage !

Trop tôt, beaucoup trop tôt, songea Harlock. Ils étaient pressés, d'accord, mais ce n'était pas une raison pour céder à la panique... même si Tochiro était loin de sembler paniqué, soit dit en passant. Concentré et sans montrer aucune trace de nervosité, le petit ingénieur s'affairait sur deux claviers en même temps.

— Synchronisation en cours, couplage dans trois... deux... un... C'est parti !
— Okay pour moi ! répondit Maji.

Ces gens étaient-ils inconscients ? Ce vaisseau avait-il été conçu avec des spécifications moteur différentes des standards qu'Harlock connaissait ?

Un ronronnement régulier monta des profondeurs de la coque. D'autres diodes s'allumèrent. Sur les écrans, des courbes oscillaient. Rien ne semblait indiquer que la procédure en cours soit anormale.
Ce vaisseau démarrait sur des moteurs froids sans que cela ne paraisse le perturber outre mesure.

Le vaisseau... Harlock se remémora le monologue de Tochiro sur les particularités du minerai d'Yblane, le cœur énergétique boosté et les « réacteurs améliorés ». Quelles étaient les capacités réelles de ce prototype ?

— Couplage réussi, je monte en puissance ! continuait Tochiro.

Ce n'était plus qu'une question de minutes, déduisit Harlock. Et sa propre entrée en scène approchait.

Qu'attend-on de moi ?

Il étudia son environnement immédiat : le poste de commandement était agencé de manière un peu plus atypique que le reste de la passerelle. En particulier, il concentrait toutes les commandes de vol, les machines et les armes.

Harlock leva un sourcil perplexe. La complexité de la navigation stellaire rendait l'automatisation des systèmes nécessaire et omniprésente, mais jamais à ce point. Cela signifiait-il qu'il n'aurait besoin de personne pour voler ? Personne pour le juger, personne pour discuter ses choix ? Un frisson d'excitation lui descendit le long de l'échine. Facile.

— Tu prends la manœuvre ? lui lança Tochiro.

Le souhaitait-il ? Bien sûr. En était-il capable ? Tu es trop jeune pour ça. Il secoua la tête, chassa les doutes. Ce sera facile.

Devant lui, la console de navigation dédiée au commandant le narguait. Elle possédait une barre tridi plus grande que la normale. Ce type de dispositif était d'ordinaire réservé aux chaloupes et autres navettes, aucunement aux bâtiments de fort tonnage. Harlock le fixa tout en s'humectant les lèvres. Il n'avait jamais piloté ainsi.

En était-il capable ?

Bien sûr.

Dans son dos, le pélican battit des ailes.

— Ieeek, l'encouragea-t-il.

Harlock empoigna la barre.

Facile.

— À tous les postes, décollage !

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