Segment 17 - Yipee ki-yay
— Ieeek !
Le criaillement aigrelet provoqua un concert d'exclamations surprises, en standard et en néo-humain. « D'où sort cette bête ? », « tirez ! », « attention ! », « ne tirez pas ! ». Tout ce qu'avait escompté Harlock. Une diversion.
Dans sa paume ouverte reposait une micro-charge. Son poids était presque imperceptible. Il la fixa, puis ses yeux se perdirent dans le vague. « Ieeek ! » criait le pélican. Des morts... Harlock ferma le poing. Quelle était la puissance réelle de ce truc ? se demanda-t-il. Fonctionnerait-il ?
Il se rappela les consignes de Tochiro : « un quart de tour pour les amorcer ». Le scientifique n'avait pas précisé si l'objet pouvait être utilisé comme grenade. Enfin, qui ne tentait rien...
Harlock visa avec soin l'autre extrémité de la rotonde, lança de toutes ses forces la charge par-dessus la rambarde, égrena les secondes avec une angoisse croissante. Trois... quatre... Imaginait-il ce « cling » métallique qui rebondissait à l'infini ? Cinq... Quelqu'un l'avait-il remarqué, tapi au-dessus de la mêlée, intrus indésirable ? Six... Tochiro lui avait-il refilé de la camelote ?
— Ieeek !
Le pélican volait toujours. Il ne retiendrait plus l'attention très longtemps. Sept, huit... Comment était réglée la temporisation de ces charges ?
Neuf... La déflagration claqua. La rotonde s'emplit de blanc.
Harlock grimaça lorsqu'un pic de douleur transperça ses tympans, lorsque l'éclair du flash agressa sa rétine. Son instinct lui hurla de s'aplatir au sol, de reculer, de fuir. Il le musela avec une hargne froide. Avancer. Warrius comptait sur lui... sûrement.
Le cosmodragon abattit la première otarie aussi facilement qu'une cible de fête foraine. La deuxième tenta une riposte mais, mal ajusté, le tir du sonique se perdit dans le plafond. Harlock ne lui laissa pas de seconde chance.
Poussières dansantes dans l'air, silhouettes évanescentes, clameurs amorties. Le temps se figea. La scène se détachait avec une netteté irréelle, comme si elle transcendait sa propre essence. Des morts... Harlock cilla.
Un néo-humain se précipita vers l'escalier de la mezzanine. Un autre arrosa de tirs lasers la balustrade et le pilier derrière lequel Harlock s'était réfugié. Une rafale le frôla. Un crépitement électrique l'entoura, accompagné d'une odeur caractéristique d'ozone. « Bouclier individuel », avait dit Tochiro. « Réglé sur la fréquence du cosmodragon ». Les lasers ne l'atteindraient pas.
Il s'avança à découvert, fixa sa cible dans les yeux, visa, tira. Recommença.
La mort rejeta les néo-humains en arrière.
Les armes se turent.
La poussière retomba.
Des morts et du sang.
Son esprit était vide.
Le pélican se posa au sommet de la vasque dissymétrique qui ornait le centre de la rotonde. « Ieeek ! » clama-t-il. La victoire était sienne. Harlock jeta au patio ravagé un regard absent.
— Warrius ?
Aurait-il dû se soucier davantage des éventuels dommages collatéraux ? se demanda-t-il. Il avait toujours prôné la victoire à tout prix. À quel prix ? Personne ne lui avait encore jamais présenté de facture.
Des morts...
— Warrius ? répéta-t-il.
Frottement d'un meuble déplacé. Fracas d'une chaise jetée au sol. « Ieeek », annonça le pélican. Des morts ne seraient pas si bruyants.
— Harlock ?... Harlock nom de Dieu, j'ai cru qu'on t'avait perdu !
Warrius !
L'hologramme à son poignet n'indiquait plus que des points verts, en bas. La voie était libre.
Harlock dévala l'escalier, se rappela à temps qu'il n'était pas censé exprimer son soulagement de manière aussi... enfantine, ravala son sourire.
— Au... rapport, capitaine.
Le coin des lèvres de Warrius se releva brièvement, puis le commandant de l'Hayabusa le gratifia d'une bourrade dans l'épaule.
— T'es vraiment un crétin.
Harlock ne parvint pas à s'en offusquer. Il baissa les yeux.
— Le major...
— Ce n'est pas de ta faute, trancha Zero.
Ses mâchoires serrées trahissaient une émotion contenue, mais son expression était ferme. Autour de lui se rassemblèrent quatre inconnus (une partie des scientifiques de Mabrus, déduisit Harlock), ainsi qu'un quartier-maître de l'équipe de visite. Plus loin, le médecin de l'Hayabusa était penché sur des corps allongés. Était-ce Farrell, là bas ?
Le médecin se débarrassa d'un linge rougi, déroula un bandage. Du sang...
— On pleurera nos morts plus tard, ajoutait Zero. Pour l'instant, il faut qu'on se tire de ce traquenard, et vite !
Warrius paraissait sain et sauf, nota Harlock, et il semblait vouloir reprendre la direction des événements. Un sentiment de frustration trop familier l'envahit. Le poids de la chaîne hiérarchique s'imposait à nouveau : Warrius commanderait, lui devrait obéir. Pff.
Il se renfrogna. D'accord, il admettait que le poids des responsabilités était éprouvant, qu'il avait été plus d'une fois proche de la panique lorsqu'il avait dû prendre seul les meilleures décisions pour « la mission », mais cela ne signifiait pas qu'il acceptait de rendre de gaieté de cœur les bribes d'autorité qu'il avait si chèrement gagnées !
Il se demandait s'il était opportun de réclamer à Warrius la place de Farrell, voire le commandement du groupe lorsque sa radio s'anima.
— Harlock, je détecte des mouvements ennemis en approche ! Couloir Ouest ! Ils sont cinq, dont une unité lourde !
Tochiro veillait toujours sur lui. Même s'il aurait pu préciser où se trouvait le « couloir Ouest », mais bon... On ne pouvait pas tout avoir non plus.
Le ieeek claironné lui donna l'information attendue.
Il tira.
Le couloir s'emplit de flammes et de fumée.
Un seul néo-humain parvint à la rotonde. Le cosmodragon le faucha en pleine course, lui arracha la moitié du torse, le réduisit à l'immobilité. Harlock se persuada avec peine que la détente ne s'était pas pressée toute seule. Son arme, ses doigts, sa volonté, se répéta-t-il. Il tuait parce qu'il le décidait, parce que telle était la mission. Sa mission.
Des morts... la puissance.
— Je vois que vous avez trouvé le professeur Oyama, jeune homme.
Il sursauta. Se morigéna. Se força à l'impassibilité. Il n'atteindrait pas la crédibilité à laquelle il aspirait sans une parfaite maîtrise de lui-même.
L'homme qui l'avait apostrophé réagit avec un léger mouvement de sourcils. De la désapprobation, à n'en pas douter. Merde, encore un qui va vouloir me renvoyer à l'école. Allez tous vous faire foutre.
— Peter ShimoLa Maji, se présenta-t-il.
Il avait la peau sombre, les biceps d'un adepte de musculation et un bandana coloré noué dans ses cheveux tressés.
— ... mais vous pouvez m'appeler Pit'. Je suis chef mécanicien.
Un mécano ? s'étonna Harlock. Employé pour la maintenance des installations de la station ou... Le vaisseau.
Maji croisa les bras et le toisa avec un air de connivence.
— Alors, le prof vous a présenté sa petite merveille ?
Le vaisseau ? Pas vraiment, non... Harlock s'apprêtait à répondre vertement (c'était quoi ce sens des priorités ? Que croyait ce type, qu'il faisait du tourisme ?) quand Zero s'immisça dans la conversation.
— Pas le temps, il faut qu'on se replie ! Le bouclier magnétique va finir par lâcher, et on n'est de toute façon plus en mesure de repousser un assaut au sol !
Sans compter qu'il restait encore des néo-humains dans la station, songea Harlock.
— Ieeek, intervint le pélican. Ieeeeek !
Ieeek ieeeeek ? La situation devenait critique, si l'on en arrivait à ce stade.
— Je vous ouvre l'accès principal ! annonça Tochiro.
Le pélican resta imperturbable lorsque la vasque sur laquelle il était perché pivota de quatre-vingt-dix degrés, révélant un escalier droit.
Le mécanisme se verrouilla avec un « clong » sourd. L'oiseau plongea aussitôt vers les profondeurs.
— Emmenez les blessés ! ordonna Zero. Ne perdez pas de temps, allez !
Maji aida un de ses collègues. Un deuxième, dont la tête était couverte d'un bandage, les suivit en clopinant. Farrell était... Harlock frémit. Farrell était soutenue par le médecin, qui avait passé le bras de la lieutenante par-dessus ses épaules. L'autre bras... n'était plus là où il aurait dû se trouver.
Il songea qu'il n'aurait plus aucun mal à réclamer la place d'officier en troisième à présent, s'horrifia aussitôt de cette pensée. Du sang... Celui de Farrell. Du sang et de la souffrance. Le prix à payer.
Warrius s'engagea en dernier dans l'escalier.
— Tochiro, on est tous passé ! Tu peux refermer ! transmit Harlock.
En réponse, la porte commença sa rotation en sens inverse. Dehors, des cris se firent entendre, des lasers bourdonnèrent.
— Rach air adhart ! En avant !
Le cosmodragon avait soif d'une nouvelle bataille. Harlock ne résista pas à son appel. La puissance... Le chant des explosions résonna le long de sa colonne vertébrale. Il sourit.
Derrière lui, Warrius cria :
— Dépêche-toi, bon sang !
Il se retourna, brandit son arme. « Tout va bien ! », voulut-il se vanter. Il n'en eut pas le temps.
— Attention !
Une rafale l'encadra, son bouclier crépita, Warrius le poussa de côté. Les tirs suivants liquéfièrent la rampe de l'escalier. Du plasma. Les néo-humains avaient abandonné leurs lasers pour du calibre supérieur.
Le passage se referma au-dessus d'eux, se scella, les isola de la surface. Harlock s'adossa au mur, reprit son souffle tandis que l'adrénaline du combat retombait. Quelle que soit l'épaisseur de cette porte et la qualité de son blindage, elle n'arrêterait pas les néo-humains plus de quelques minutes. Des explosifs en quantité suffisante, ou bien un tir direct depuis les frégates en viendraient à bout.
Pour le moment toutefois, ils étaient en sécurité. Harlock s'étira, affecta la désinvolture. Il se sentait proche de se mettre à trembler, mais Warrius ne le verrait pas flancher.
— Pfiouh, leur dernier tir n'est pas passé loin ! Pas vrai, Warrius ?... Warrius ?
Zero s'écroula.
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