Segment 16 - Zigzags et caméras

La radio ressuscita au moment où Harlock prit pied sur la plateforme supérieure de l'échelle.

— ... crrrchrrrlô ? Harlock ? Harlock, tu es arrivé ?
— Ieeek ! protesta le pélican avec de grands moulinets de bec, ce qui rassura Harlock sur le fait que l'horrible sifflement suraigu qui vrillait soudain ses tympans provenait bien de l'engin.

Il baissa le volume d'un geste fébrile (en plus il y avait sûrement des ennemis dans le coin, s'agissait d'être prudent, flûte), vérifia la bonne marche de son ouïe en secouant le pélican toujours accroché dans son dos (ieeek), et chuchota en réponse :

— Je suis en haut d'un puits. J'ai une double grille devant moi, et une autre juste au-dessus qui donne à l'air libre.

Grésillements. Harlock était en train de se résigner à finir la mission sans soutien (et donc à exploser la grille en face de lui) lorsque Tochiro répondit :

— Ah ça y est, je t'ai localisé. Attends, je désactive l'alarme et le champ répulsif... Voilà !

Il y eut un « clac », puis la grille s'escamota dans le mur avec un chuintement étouffé de vérins. « Ieeek », se réjouit le pélican. Le volatile tressautait dans son harnais, de toute évidence impatient de retrouver sa liberté.

— Va falloir attendre encore avant de te dégourdir les ailes, l'oiseau, répliqua Harlock.

Il n'allait pas non plus laisser cette bestiole s'envoler n'importe où et perdre son effet de surprise, un peu de professionnalisme que diable !

— Ieeek.
— M'en fous.

La situation était déjà assez délicate comme ça.

— Je détecte deux concentrations de personnes dans la station, transmit Tochiro, et trois individus isolés. Je vais me brancher sur les caméras pour obtenir une identification plus précise, mais il y a sûrement des sirènes parmi eux, faudra que tu fasses gaffe.
— Des sirènes ? répéta Harlock.

Le mot renvoyait à l'imagerie diffusée par la culture populaire : créatures mi-femmes mi-poisson, avec une poitrine opulente à peine camouflée par leur longue chevelure... Sur Yblane, tout ce qu'Harlock avait croisé qui correspondait un minimum à la description, c'étaient ces horribles otaries mutantes sur exosquelettes. Tochiro ne pensait tout de même pas à elles en tant que « sirènes », si ? Si.

— Ils se nomment « euko'p », expliquait le scientifique. Mais bon... le haut humanoïde et le bas poisson, c'est une sirène, tu n'es pas de mon avis ?

Bof. Harlock se força à écarter ces questions de sémantique de son esprit et revint à des considérations plus urgentes. La mission. Le sauvetage. Warrius.

Il progressa avec précaution jusqu'à la grille ouverte, jeta un regard prudent à l'extérieur. Le conduit donnait dans une pièce déserte, encombrée de caisses et d'étagères surchargées.

— T'es dans l'espace de stockage Sud, l'informa Tochiro. J'ai localisé les nôtres, ils sont regroupés dans la rotonde... Je t'envoie l'itinéraire par holo.

Le récepteur accroché au poignet d'Harlock fit « blip », puis projeta de son propre chef une carte tridi sphérique d'une trentaine de centimètres de diamètre. Harlock apprécia la résolution de l'hologramme, exceptionnelle pour un appareil portable de cette taille, avant d'étudier le plan avec attention.

Toute la partie supérieure de la station y était affichée. Les installations en surface s'avéraient beaucoup moins complexes que les méandres des sous-sols : le bâtiment était construit de plain-pied et s'articulait en étoile autour d'une coupole sur deux niveaux... La « rotonde » devina Harlock. Des points lumineux de différentes couleurs constellaient la carte. Trois d'entre eux – en rouge – étaient mobiles.

Les environs de « l'espace de stockage Sud » semblaient toutefois déserts.

— Ieeek.

À force de contorsions, le pélican avait réussi à dégager la partie supérieure de son corps du harnais, et récupéré en conséquence toute la mobilité de son cou.

Il lui mordait l'oreille.

— Raah, c'est bon, t'as gagné !

Ieeek ! triompha le pélican lorsqu'il fut libéré des sangles qui entravaient ses ailes. Ouf, songea Harlock en faisant jouer les articulations de ses épaules. C'est qu'il était lourd ce bestiau, mine de rien.

Le pélican ébouriffa ses plumes.

— Et ne va pas voler sur l'ennemi !

Quoi que... Cela permettrait peut-être une diversion efficace. Ieeek. Oui voilà.

Le récepteur émit un deuxième blip tandis que l'itinéraire recommandé par Tochiro s'affichait en surimpression sur la carte holo. Le trajet coupait à travers les locaux pour éviter les couloirs principaux. Et les portes se déverrouillaient à son approche. Tochiro suivait-il son avancée via des caméras, ou la radio disposait-elle d'un traqueur ?

— Les deux, répondit le scientifique lorsqu'Harlock lui posa la question. Plus les capteurs de présence.

Eh bien au moins ne risquait-il plus de s'égarer dans une canalisation, ironisa Harlock in petto (avec une pointe d'amertume quand même). Il franchit une nouvelle porte, bifurqua à gauche, à droite, traversa successivement un local serveur, un hub de distribution d'air climatisé et un placard à balais. Il avait l'impression désagréable d'être une souris de laboratoire dans un labyrinthe.

— Et maintenant l'échelle du fond ! transmit Tochiro.

Et qui plus est, une souris de laboratoire docile, grogna Harlock en s'exécutant. Où donc s'était enfuie sa flamme rebelle ?

La trappe au plafond le mena à l'étage supérieur (c'était également un placard).

— Dehors tu aboutis sur la mezzanine de la rotonde, l'informa Tochiro tandis qu'Harlock faisait les gros yeux au pélican.

L'animal luttait bruyamment pour le suivre par la trappe trop étroite. Silence, bordel ! Il y avait des ennemis de l'autre côté !

— Ieeek.
— Oui ben tu râles quand je te porte, donc maintenant tu te débrouilles ! siffla Harlock. Et en silence !

Il entendit vaguement Tochiro qui poursuivait « la balustrade n'est pas ajourée, tu ne risques pas de te faire repérer », leva les yeux au plafond. Ah oui c'était facile quand on était bien à l'abri plusieurs étages en dessous, hmm ?

Mais bref. Puisque c'était à lui d'agir dans ce binôme, alors agissons.

Harlock poussa le plus doucement possible la porte du placard avec le sentiment que le léger couinement des gonds s'amplifiait plus que de raison. Puis il retint son souffle et rampa jusqu'au bord de la mezzanine.

La galerie circulaire du premier étage soutenait une coupole de plexiverre. Des piliers métalliques en arc-de-cercle renforçaient la structure et se rejoignaient au sommet en une clé de voûte tarabiscotée. Dessous, la rotonde était accablée de lumière.

La rambarde en plastique opaque le protégeait des regards, mais les plaques disjointes qui la constituaient offraient des postes d'observation parfaits pour voir sans être vu. Harlock se plaqua au sol pour se coller à l'un de ces interstices. L'air vibrait au rythme des battements de tambour de son cœur, qui semblèrent l'espace d'un instant se propager autour de lui. Il se crispa, s'obligea à une longue expiration. Du calme. Si tu paniques, tu es mort.

Le pélican observait son manège avec curiosité tout en se dandinant tranquillement à côté de lui (en silence, dieu merci).

— Vous vous comportez en violation de la Convention de Néo-Genève ! lança une voix. Les sévices physiques dans le but d'obtenir des informations sont prohibés !

Warrius.

Harlock ne put retenir un sourire, et le soulagement qui l'envahit supplanta la panique latente. Warrius était vivant.

Le commandant de l'Hayabusa était invisible. Il devait se situer juste au-dessous de lui, estima Harlock.

Il zooma sur la carte holo. Au niveau de la rotonde, il compta dix points verts et six points rouges. Dix prisonniers, six ennemis. De sa position, il apercevait trois néo-humains et deux otaries sur exosquelette (des « sirènes », pff c'était ridicule).

— Vous ne faites que retarder l'inévitable, capitaine, répondit une des otaries. Si nous n'obtenons pas les codes d'ouverture, nos artificiers auront tôt fait de forcer le passage.
— La Fédération ne restera pas sans réagir à cette agression injustifiée ! répliqua aussitôt Warrius.

S'attendait-il à un soutien de la Flotte ? Peu probable, de l'avis d'Harlock. Yblane était perdue au milieu de nulle part, bien trop loin des bases de la Fédération pour espérer une intervention rapide. Prévoyait-il une contre-attaque de l'Hayabusa ? Non c'était idiot, le patrouilleur n'était pas de taille contre les frégates.

— Ieeek.

Le pélican déploya ses ailes, et Harlock hocha la tête. En revanche, songea-t-il avec un demi-sourire acerbe, il possédait de son côté de quoi réaliser une riposte bien plus efficace.

— Allez l'oiseau, chuchota-t-il. Va les distraire.

Le pélican s'envola sans même prendre d'élan. Bonne chance, lui souhaita mentalement Harlock. Bonne chance à eux deux.

Il inspira, dégaina le cosmodragon et abaissa la sûreté.

Puis il sortit les micro-charges de sa poche de poitrine.

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