Segment 11 - Sous la montagne
Le hangar sombre se figea sous une chape de silence, lourde et suintante de danger. Harlock s'avança à pas comptés. Malgré ses précautions, il lui semblait que l'écho de sa progression résonnait de part et d'autre du souterrain.
Il traversa la première salle, longea un mur à tâtons, franchit une arche taillée dans la pierre, parvint dans une deuxième pièce plus petite. Des consoles en veille et des diodes sur des panneaux de contrôle diffusaient autour d'eux une lueur blafarde, qui coulait au sol sans parvenir vraiment à repousser les ombres.
— Ieeek.
Le pélican s'envola en exploration et disparut dans les ténèbres. Comment se débrouillait-il pour voler à l'aveugle ? se demanda Harlock. Était-il nyctalope ? Utilisait-il des infrasons pour se localiser, comme une chauve-souris ?
— Ieeek !
Bon sang, cette bestiole ne connaissait pas le mot « discrétion ».
Le cri se répercuta dans toute la grotte, se déforma dans les cavités, s'amplifia jusqu'à donner l'impression qu'un troupeau entier de volatiles de l'enfer se regroupait dans les hauteurs.
S'il restait des ennemis, peut-être qu'avec ce bruit ils s'imagineraient faire face à un monstre plus effrayant qu'un gros poulet, gambergea Harlock.
Il se représenta mentalement la scène, s'amusa des images qu'il se projetait. Des néo-humains lourdauds dans leurs armures se bousculaient pour échapper à un dragon rugissant. La panique gagnait les rangs ennemis, les vaisseaux se percutaient en tentant de s'enfuir. Le pélican menait la charge, grossissait jusqu'à pouvoir avaler un vétel entier. Ce n'était pas la réalité, Harlock le savait. Il n'évoluait pas dans un holovid comique, ses ennemis ne s'effraieraient pas d'un canard.
Et personne ne viendrait pour lui.
Des pierres et des os.
Des cris et du sang.
Le pélican revint se poser près de lui. « Ieeek », annonça-t-il d'un air grave. Il avait toujours été de bon conseil jusqu'à présent, se dit Harlock. Mieux valait tenir compte de son avis, quel qu'il soit.
— Sois plus précis, l'oiseau. C'est plutôt ieeek « rien à signaler » ou ieeek « attention » ?
— Ieeek.
Certes. Mais encore ?
Le rai de lumière d'une torche balaya soudain le plafond. Son origine provenait de l'entrée. Ieeek attention, donc. Harlock remercia le pélican d'un signe de tête.
Il recula vers le fond de la pièce. Les probabilités qu'il s'agisse de renforts de la Fédération étaient faibles, pour ne pas dire nulles. Il n'avait donc d'autre choix que de s'enfoncer plus profond à l'intérieur de la montagne... et de prier pour que cette base dispose de plusieurs issues.
« Ou bien tu peux rester et te battre... » Il réajusta sa prise sur le fusil sonique. Les probabilités qu'il réussisse à nouveau un carton plein étaient... Il déglutit. Avec son arme, les statistiques jouaient en sa faveur. D'autant qu'il avait toujours l'avantage de la surprise.
Le sonique vibrait entre ses doigts, avide de nouvelles victimes. Des os et du sang. Ce ne seraient pas les derniers.
— Iee...
Harlock attrapa le bec de l'oiseau et le maintint fermé, juste à temps pour éviter un nouveau « ieeek ».
— Non, chut ! Tais-toi ! siffla-t-il entre ses dents.
Le pélican lui jeta un regard offusqué.
— Ieeek, protesta-t-il (heureusement pas trop fort) dès qu'Harlock le lâcha.
Oui ben flûte, hein.
Harlock tendit l'oreille, plissa les yeux, tenta de percer l'obscurité. À quelques mètres devant lui, le tunnel plongeait vers l'inconnu. Enfin... il montait, plutôt : la déclivité était faible, mais positive.
La galerie bifurquait lentement vers la droite, dessinait une large courbe avant de redevenir rectiligne. Au sol, un marquage luminescent courait le long d'une rigole de drainage et se fondait au loin dans un halo spectral.
Harlock scruta la pénombre. Les parois taillées étaient çà et là étayées d'un coffrage de béton, mais n'offraient nul recoin d'où il aurait pu planifier une embuscade efficace. Je ne fuis pas ! se répéta-t-il tandis qu'il allongeait le pas malgré lui.
Derrière lui, il devinait des éclats furtifs de lumière, le frottement étouffé de pas, le blip d'un talkie... Il ne fuyait pas. C'était un repli stratégique.
Le tunnel mena à une porte. Une porte étanche, blindée, et verrouillée. Harlock se retint de tambouriner contre le métal. Ça ne l'avancerait à rien, à part monter sa peur à ses ennemis. Et il n'avait pas peur, non.
Il n'avait pas peur.
Il se retourna, balaya le tunnel d'un lent mouvement circulaire avec le fusil sonique. S'il tirait dans cet espace clos, ne risquait-il pas lui aussi d'être pris dans l'onde sonore ?
— Ieeek, dit le pélican.
Harlock haussa les épaules.
— Tout à fait, l'oiseau. Évite de voler n'importe où si tu ne veux pas prendre une balle perdue.
En face, des ombres se déplaçaient, accompagnées des points rouges de viseurs, d'intensificateurs de lumière ou d'autres technologies d'aides au combat. Harlock en compta six. L'ennemi progressait au ras des parois mais, dans ce tunnel en ligne droite, tout le monde se retrouvait in fine à découvert.
Il y eut une concertation murmurée, puis l'un des néo-humains cria :
— Ce territoire appartient aux Colonies Radioactives, veuillez déposer les armes !
Alors déjà c'était faux, et ensuite pas question.
— Ieeek, réagit le pélican.
Oui voilà. Ieeek. Parfaitement.
Harlock pointa son fusil au jugé dans la direction de l'injonction. S'il tirait dans cet espace clos, ce serait un carnage. Un de plus... Un frisson glacial lui transperça l'échine.
— Dernière sommation ! lançait la voix dans les ombres.
Des ombres sans visage. Des silhouettes sans forme. S'il tirait, elles disparaîtraient, et il ne s'en souviendrait pas. Des os et du sang. Des pierres... Il secoua la tête. Il ne s'en souviendrait pas.
La voix était nasillarde, étouffée comme si le son avait dû se frayer un chemin à travers plusieurs épaisseurs de tissu, presque artificielle. Des pierres...
Son doigt se crispa sur la queue de détente, son pouce vérifia que la sûreté était abaissée. S'il tirait, il gagnerait.
— Ieeek, insista-t-on dans son dos.
Harlock devina plus qu'il ne vit le pélican s'engager dans un renfoncement à gauche de la porte, et imagina plus qu'il n'entendit le flap flap tranquille des pattes palmées s'éloigner sur le béton. Il plissa le front. Pourquoi avait-il l'impression que cette sale bête possédait toujours un coup d'avance sur lui ?
Lorsqu'il s'approcha, à reculons et sans cesser de pointer son fusil vers l'ennemi, il constata que renfoncement camouflait une ouverture, un boyau davantage qu'un couloir, à peine plus large que ses épaules, une issue de secours peut-être, ouverte dans tous les cas.
Il ne vit pas de dispositif de fermeture. Il supposa – il espéra – qu'il en trouverait un à l'autre bout.
Il ne s'appesantit pas sur la suite. En face, les néo-humains avaient épuisé leur patience, il le sentait. Des os et des pierres. Le fusil sonique ouvrit le feu presque de son propre chef.
Des os.
Harlock recula dans le boyau sans cesser de tirer par rafales.
Des pierres.
Le fusil hurlait.
Du sang.
L'onde sonique arrachait des blocs de rocher, fissurait le coffrage de béton, déformait l'air.
Des cris.
Le vacarme couvrit tout.
Des ombres sans visage.
Il ne s'en souviendrait pas.
Des anonymes sans importance.
Il se mit à courir. Une main invisible le poussa, il trébucha, se releva, se cogna contre les parois de ce couloir trop étroit, perdit la notion de la distance parcourue. La montagne entière se tordait et mugissait.
Puis le silence fut.
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