Chapitre 8 :

- Shari, c'est ça ?

Je me retourne d'un bloc, furieuse.

- Quoi !

Le jeune homme en face de moi hausse un sourcil.

- Tu pourrais même arriver à fumer des oreilles si tu faisais un petit effort.

Mes pupilles se dilatent. Je me recule, méfiante. C'est qui, celui-là ?

- Qui es-tu ? Qu'est-ce que tu veux ?

Il me considère un instant en silence. Ses yeux verts profonds et ses traits fins ne laissent place à aucun doute, c'est un Àlfar Cerf. Il y a quelque chose de familier dans son visage, mais je ne saurais pas dire si c'est son type Cerf ou si c'est autre chose. Je ne l'ai jamais vu, mais le Clan est tellement grand que ce n'est pas une surprise. Il hoche la tête, comme validant une évaluation intérieure.

- Je suis Dalym. Il semblerait que je sois ton tuteur jusqu'à ce que tu deviennes un agent, ce qui n'est pas pour tout de suite. On va être un bout de temps ensemble. Déjà, pour apprendre à contrôler tes émotions...

Oh, fuck you.

Tuteur ? Je ne veux pas de tuteur, qu'est-ce qu'ils m'ont foutu au cul encore ?

- C'est quoi un tuteur ? Et un agent ? Je grogne.

Il esquisse un sourire amusé et me fait signe de le suivre. Je serre les lèvres, lève les yeux en l'air et me force à lui emboîter le pas. Je commence à en avoir marre d'être trainé partout comme un toutou, mais il détient toutes les réponses et je n'en ai aucune. Il le sait très bien. Je ravale mes pensées et me concentre sur les informations que je peux lui retirer.

- Tu es censé être mon tuteur ?

Ses longs cheveux blonds glissent dans son dos alors qu'il me jette un regard de biais, semblant jauger ce qu'il peut me dire.

- Pour l'instant, tu es encore étrangère au mode de fonctionnement des Clans, mais comme tu as dû l'entrapercevoir avec le système des Hamus, nous sommes régis par un fonctionnement d'échelle, où les statuts supérieurs protègent les statuts inférieurs. (Il me montre un bébé dans les bras d'un Àlfar qui passe à côté de nous.). Les bébés sont au bas de cette échelle, ils sont les premiers qu'on protège en cas de menace (d'un mouvement de menton, il me désigne l'enfant à côté d'eux.). Les enfants de moins de dix ans, puisqu'ils sont déjà initiés à l'art du combat, de la dissimulation et de la fuite, doivent protéger les bébés et sont protégés par les agents. Leur apprentissage continu jusqu'à leurs 16 ans où ils passent un examen pour devenir eux-mêmes agent et protéger à leur tour les enfants.

Je vois, c'est une sorte de stratégie défensive, chacun sait qui il a à protéger afin d'être le plus efficace possible en cas d'attaque. Je me doute qu'ils ont du développer ce mode de protection après de nombreuses attaques, car la plupart des organisations classiques optent en général pour une stratégie d'éradication du danger plutôt que de protection des siens en premier, stratégie bien moins efficace considérant le fait que lorsque l'alerte est donné, les attaquants ont généralement déjà eu le temps de se mettre en place le plus optimalement possible pour abattre leur piège au contraire des cibles. Je me tourne vers Dalym.

- Qui protège les agents, alors ? Et comment pouvez-vous faire confiance à des enfants pour protéger des bébés ?

- Personne. Les agents ne vivent que pour protéger les autres, pas pour être protégés. Le plus important est la protection de la génération qui arrive pour s'assurer que notre peuple ne s'éteindra pas demain. Et je te rappelle que selon les lois tu es aussi une enfant, pointe Dalym. Chaque enfant Àlfar maitrise toutes les subtilités du combat armé et à main nue. Nous avons notre premier couteau à nos dix ans, nous savons mettre trois hommes à terre à nos treize ans, nous pouvons abattre une cible à trente mètres avec une seule balle à nos seize ans. Rappelle-toi que les enfants qui passent le test pour devenir agent n'ont "seulement" que 16 ans, un âge auquel ils ne sont pas considéré adulte selon les lois humaines. Pourtant si ils y arrivent, ils effectueront des missions au plus près du danger dans lesquels ils pourront potentiellement mourir. (Il s'arrête et me regarde) Toi et Ash auriez d'ailleurs du passer ce test si vous aviez grandi parmi nous.

Les poupées clouées aux arbres par des dagues me reviennent en mémoire. Le regard grave et sérieux de Coraline, la lueur hostile et méfiante dans le regard des enfants en arrivant au Pavillon Cerf... pas de doute qu'ils sont bien différents des enfants qui jouent dans les rues. Ceux-là ont été élevés dans la peur d'être découvert, la méfiance et la nécessité de savoir se battre pour survivre. Ils ont le regard d'adulte, la responsabilité de la survie des plus jeunes sur leurs épaules. Non, en fait, ils n'ont rien d'enfants, si ce n'est leur petite taille.

- Allons-nous passer le test d'agent au Printemps ? Je demande en me rappelant les paroles de l'Hamu. Liban a dit qu'il allait nous déclarer Àlfar à ce moment.

Le Cerf sourit d'un air indulgent, comme s'il s'adressait à un enfant qui lui racontait que quand il sera grand il sera un super-héro.

- Non. Actuellement, vous n'êtes même pas sur l'échelle. Vous êtes en quelque sorte plus bas que les bébés, à la différence près que tant que vous ne serez pas reconnu Àlfar, personne ne vous protégera. C'est pour cela qu'il est urgent de vous inscrire dans le registre afin que légalement, tous les agents vous protègent, comme pour tous les enfants Àlfars. Sans cela, vous risquez de ne pas durer longtemps parmi nous.

Je crois qu'on a déjà duré très bien sans leur aide jusque là. Je le fixe.

- Tu veux dire que lorsqu'on sera dans le registre, nous serons considérés comme des... bébés ?

Je me vois avec une couche et une tétine dans la bouche. Il esquisse un sourire.

- Non, comme des Àlfars qui s'entraînent pour passer le test d'agent, car vous avez l'âge et déjà certaines capacités pour, étant donné vos précédente... formations, si j'ai bien compris. Mais vous avez énormément à rattraper...

Il descend les escaliers et je fais un pas de côté pour éviter une lance dans le dos d'un Cerf. Une femme aussi gracieuse et musclée qu'une danseuse arrive et apostrophe Dalym.

- Salut Dalym ! Tu sais où est passé ton père ?

Les cheveux châtains de la femme semblent si doux que j'ai envie de passer la main dedans et ses grands yeux aux longs cils noirs surmontent un voile rouge qui masque le bas de son visage et son cou. Malgré l'air frais, elle porte un haut aux épaules dénudées qui s'arrête au-dessus de son ventre doré et un sarouel bouffant. Ce n'est pas une Cerf, j'en suis sûre, soudain, d'une certitude que je ne comprends pas. Mes poils se dressent sur ma peau et brusquement, je sens qu'elle est dangereuse. Quelque chose dans sa surnaturelle grâce, dans sa magnifique beauté, me met en garde. Je le sens comme la terre sous mes pieds. Le Cerf hausse les épaules.

- Il doit être avec Liban, ils avaient une affaire de famille à régler, je crois. Regarde dans la salle commune ou les serres.

- Ok, merci beau brun ! Elle lui lance avec un clin d'œil en disparaissant à gauche.

Je hausse un sourcil, mais Dalym ne rebondit pas. Je fronce les sourcils en l'observant.

- Ton père est de la famille de Liban ?

Il continu à descendre les escaliers sans un regard.

- Mon père est Namak.

Oh. D'où l'air familier. Namak a un fils... étrange, je ne l'ai presque jamais vu avec lui. Étant le bras droit du Hamu, il a beaucoup de choses à faire, mais même. Jamais vu ces deux-là ensemble. Je reste silencieuse. Un problème de famille ? Ou est-ce simplement comme cela, chez les Àlfars ? Sentant qu'il n'est pas perceptif sur cette partie là, je dévie sur la mystérieuse femme :

- Tu connais celle qu'on viens de croiser ? De quelle Lignée était-elle ?

Nous sortons dehors et pénétrons dans la forêt, aujourd'hui pleine d'Àlfar qui font des allers-retours du Pavillon aux voitures et camions.

- Oui, c'est Sarah, du Clan des Mangoustes (Il me désigne une forme dans le ciel). Tu vois ce faucon ? C'est un des faucons de combat de leur Pavillon. Aucune Mangouste ne se déplace sans faucon, ils guettent en permanence les menaces et communiquent entre eux par un mode de caquètements et claquement de langues qu'eux seuls arrivent à comprendre. Personne ne connaît le nombre exact de faucons qu'ils ont, mais c'est une de leur arme la plus puissante. Ne t'inquiètes pas, avec le temps, tu finiras par savoir d'instinct de quel Clan est quel Àlfar.

Il n'a pas l'air perturbé de la voir ici, en plein Pavillon Cerf.

- Pourquoi est-elle ici, dans votre Pavillon ? Et le voile, c'est un truc de Mangouste ?

- Nous ne sommes pas en guerre, s'amuse Dalym. N'importe quelle Lignée peut venir habiter parmi nous ou juste passer, notamment lors de mariages inter-Lignée, pour que toute la famille soit au même endroit. Sarah, elle, est là pour une mission. Elle ne restera pas longtemps, mais nous l'hébergeons dans le Pavillon en attendant.

Une mission ? Est-ce que c'est en rapport avec notre arrivée ?

- Quelle mission ? Je le coupe.

- Ce sont des données confidentielles. Je ne le sais pas et tu n'as pas non plus à le savoir. Cela se passe entre le Hamu et l'agent.

Je l'observe, mais il ne dira rien de plus. Sur ma faim, je détourne les yeux avec frustration?

- Et le voile ?

- J'y arrive ! Les Mangoustes sont les Àlfars de la Beauté. Leur visage est si attirant que les humains perdent leur moyen alors pour ne pas désorienter accidentellement des humains lorsqu'ils ne sont pas en mission, ils portent en permanence ce voile qui masque la moitié de leur visage.

- Ils l'enlèvent en mission ?

- Bien sûr, la séduction est la plus grande arme du Clan des Mangoustes. Ils pratiquent la danse rouge, une danse si lascive que leurs ennemis ne peuvent plus détourner le regard d'eux et ne se rendent pas compte qu'ils s'approchent jusqu'à ce que ça soit trop tard pour eux. Ils ont un taux de réussite dans leur mission de 98 %.

Je fronce les sourcils.

- Donc ça ne marche que sur les humains. Alors pourquoi porte-t-elle un voile ici ?

- Tu as dû remarquer que dans le Pavillon, il y avait aussi des humains (Euh... non). Ce sont nos Pupilles, des orphelins des rues sauvés gamins ou même encore bébé, qui sont entraînés avec nos enfants et considérés comme leurs propres frères et sœurs. Ils passent aussi le test pour devenir agents et effectuent alors des missions plus spécifiques où un Àlfar se ferait repérer. En général, ils sont envoyés sur des missions diplomatiques et politiques plus que sur des missions d'action. Ils sont aussi vulnérables que les autres humains à la beauté des Mangoustes, alors le voile sert à cela.

Nous traversons le hall.

- Bref. Je suis là parce que vous allez devoir rattraper toutes vos années de retard dans des domaines qui vous sont pour l'instant totalement inconnus, Ash et toi. Je n'assurerai pas tous les cours, bien sûr, vous serez intégrés dans des enseignements en cours de route, mais je superviserai personnellement votre entraînement physique.

Je fronce les sourcils.

- L'entraînement physique ? Alors il y a un entraînement autre que physique ?

Je commence à sentir la douille arriver. Il m'ouvre la porte qui donne sur l'extérieur.

- Bien sûr. Les langues seront une grosse partie de cette formation, le Lilith, mais aussi l'hindi et le mandarin. Il y aura aussi du contrôle émotionnel et de la résistance psychique, essentiels à notre survie. Nous vous donnerons des cours de soutien sur l'histoire, les technologies et le fonctionnement de ce monde, l'histoire des Clans, et enfin, comment se conduire avec les hommes dans leur ville. Vous allez vous lever tôt. Et vous vous coucherez tard. Ne me dis pas que tu n'en as pas l'habitude, j'ai eu des échos de ta vie d'avant. En plus, la moitié de ces cours se passeront assis sur une chaise, et même certains de la partie entraînement physique aussi, pour l'apprentissage de communication radio ou d'utilisation des différentes armes à feu et explosifs.

Je grogne. C'est pire.

- D'accord, mais comment me conduire parmi les hommes ? Ce cours est vraiment nécessaire ? J'ai vécu toute mon enfance parmi eux !

Nous zigzaguons entre tous les Àlfars qui s'activent pour monter tout ce qui a été récupéré de l'ancien Pavillon et nous nous éloigons dans la forêt.

- Ta ville était une ville autonome, coupée du reste du monde. Les hommes là-bas n'ont pas le même fonctionnement ni les mêmes règles que ceux d'ici. C'est comme si tu vivais au Moyen-âge et que tu avais fait un bond dans le futur, grossièrement bien sûr. (me voyant ouvrir la bouche, il appuie son regard sur moi.) Il y a eu un petit accident en ville la dernière fois, n'est-ce pas ?

Le vrombissement de la voiture résonne brusquement dans mes oreilles. Je me crispe. Je lève les yeux en l'air, mais ne proteste pas.

- Et pour combien de temps ?

Il se baisse pour éviter une branche.

- Tout le temps que vous resterez parmi nous et que vous soyez prêts à passer le test pour devenir un agent.

Je fixe Dalym.

- On est obligé de passer ce test ?

- Non, tu peux aussi quitter le peuple et t'installer parmi les humains. Mais sache alors que tu risques de mourir dans les deux années suivantes.

Hein ?

- Pourquoi ?

Son regard glisse sur moi.

- Deux ans, c'est le temps pour que les services secrets te trouvent et te capturent. Un an pour qu'ils te repèrent et retracent tous tes contacts jusqu'à nous. Un an pour trouver ta localisation et te capturer. En moyenne six jours d'interrogatoire qui tournent à la torture en cas de refus d'obtempérer. Dans tous les cas, la même fin : sous terre. Sache aussi que dans ce cas-là, l'ordre donné pour nous est de détruire celui qui contient les informations sur nous avant qu'il ne les révèle.

Mes poils se hérissent.

- Vous tuez vos propres frères ?

Son regard me transperce et je sens des années de travail dans la réalité du terrain parler à sa place :

- À partir du moment où ils ont fait le choix de partir, ce ne sont plus nos frères et ils le savent très bien. Notre peuple est régi par des lois qui maintiennent une protection la plus rapide efficace possible. S'ils ont fait le choix de partir au lieu de protéger les autres en devenant agent, notre priorité première est de nous protéger nous. Ils sont comme toi et Ash en ce moment. Si vous êtes capturés par un service secret, l'ordre sera de vous éliminer. Tu comprends maintenant pourquoi il faut à tout prix vous inscrire sur le registre ?

Je ferme les yeux. Dans quoi on s'est fourré ?

- C'est du chantage.

- C'est un moyen de survie. Ce n'est pas un jeu. Rien n'est un jeu, quand on naît Àlfar dans un monde d'humain. Cet entraînement n'est pas un jeu non plus. C'est ta meilleure chance de survie, Shari, retiens-le (Ses pupilles accrochent les miennes et j'ai un vertige.). C'est ta meilleure chance de survie.




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Hi ! Nouvelle vie, nouvelles règles, nouveau quotidien... l'adaptation risque d'être difficile à faire, surtout que la moitié de son esprit est encore avec les rescapés coincés dans le bunker de Braçalia. Combien de temps pour que l'Armée américaine les détecte ? Combien de temps pour qu'ils les sauvent ? Et Laaja et Kaïcha toujours enfermés dans leur chambre, pas dupes pour autant... pourtant tout le monde sait de quoi est capable nos deux Rafales quand elles se mettent en action, alors resteront-elles bien sagement dans leur cellule ? Sans parler de la date de leur candidature pour être reconnu Àlfars qui se rapproche... et avec cela le contact avec leurs Clans respectifs.

Les amis, le programme est chargé et l'atmosphère l'est tout autant ! Si vous avez raté le message sur mon compte, je le redis ici : après des semaines de tests, j'ai enfin trouvé mon rythme, je vous annonce ainsi officiellement que je publierai deux chapitres toutes les deux semaines, vous allez devoir attendre plus longtemps mais vous aurez plus d'un coup ! (En réponse à tous les frustrés qui ont envoyés de m'arracher les cheveux depuis le début de cette trilogie ! XD)

Allez, bon week-end, et à dans deux semaines !

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