Chapitre 6 :

Je fixe le haut de l'ascenseur, qui me paraît ne jamais se terminer.

- C'est quoi exactement le Roc ? Je lance. À quoi ça sert ?

- C'est là où sont anticipés toutes les menaces et où se prennent toutes les décisions vitales, dit Liban en nous fixant tour à tour. C'est la résidence des Voix et l'un de nos Quartier Généraux le plus importants. Vous êtes sous ma Protection, mais sans cela, vous n'auriez pas pu rentrer, restez bien tout le temps avec moi.

Où veut-il qu'on aille ? Pour la première fois depuis que nous sommes partis, j'aperçois la tension sous son expression calme. Il est en alerte, il s'attend quelque chose. Mais quoi ? Je serre les lèvres.

- Ça fait plusieurs fois que tu en parles, c'est quoi les Voix ?

Le Hamu Cerf se gratte les cornes (ça peut démanger, ces trucs ?).

- Hum, ce sont des Àlfars élus par ceux de sa Lignée pour représenter son Clan au conseil des Voix. Ils sont au nombre de deux par Lignée et ils sont constamment tenus au courant des informations extérieures pour anticiper toutes les menaces sur nos Pavillons et prendre les décisions qui s'imposent pour les contrer. Nous, les Hamus, nous nous occupons ensuite de faire exécuter ces ordres en temps réel sur le terrain.

C'est donc à ça que servent les Hamus.Je pensaient qu'ils avaient plus de pouvoir, mais ils ne font plus ou moins qu'appliquer les ordres des Voix... j'ai du mal à imaginer Liban sous les ordres de quelqu'un. Un étage entièrement fait de verre transparent apparaît à notre niveau, si bien qu'on voit tout ce qui se passe à l'intérieur comme si on regardait à travers une vitre.

Des centaines d'Àlfars de tous genres, couleurs de cheveux et habits, qui se déplacent avec des oreillettes aux oreilles, des documents à  la main, écrivant frénétiquement ou tapant sur le clavier d'ordinateurs devant eux à des bureaux. L'endroit vibre tellement d'activité qu'on dirait une fourmilière quand les enfants donnent des coups de pied dedans.

- L'étage de Renseignement Humain, nous indique Analya en me voyant ouvrir la bouche. Ils sont en contact avec les Àlfars en mission et recueillent les informations vocales ou photographiques témoignant d'une potentielle menace pour les Clans. Les informations les plus urgentes partent directement aux Seconds, qui les croisent avec les dernières informations reçues sur la zone géographique provenant d'autre missions pour en déduire la nature exacte de la menace, sa localisation et sa plage horaire. A partir de là, les informations sont envoyés aux Voix, au-dessus, qui décident de quoi faire et envoient leur ordre aux Clans ou aux agents menacés. C'est comme ça que nous survivons à toutes les attaques des services secrets.

Je regarde l'étage disparaître à nos yeux, remplacé par ce blanc presque létal qui nous entoure. On croirait presque la montée au Paradis si seulement je croyais à un vieux barbu. Leur système d'alerte et de réaction semble très efficace, il a du être développé au fil des décennies. Mais ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est comment ces Agents savent reconnaitre une information vocale ou photographique qui révèle une possible menace...

- Comment faites-vous pour anticiper toutes les menaces avant qu'elles arrivent ? Relève Ash, reprenant mes pensées. Il faudrait avoir toutes les informations du monde et vos agents doivent bien passer à côté d'une menace caché ou indétectable dans ce qu'ils passent au filtre...

Liban s'assombrit.

-  Comme tu l'as dit, nous n'avons pas toutes les informations du monde, mais c'est à cela que servent les Hamus. Nous sommes des filets de secours, suffisamment formés pour savoir comment réagir si un évènement n'avait pas été anticipé par le Roc.

Je l'observe de côté. Formés ? Comment peut-il être formés à toutes les sortes de menace qui pourrait tomber sur son Clan ?

- Comment es-tu devenu Hamu ? Tu as été élu, comme les Voix ?

Le Cerf secoue la tête et croise les bras.

- Je suis né Hamu. Dans la majorité des Lignées, le statut de Hamu se passe par le sang, car cela permet d'entraîner un enfant depuis sa naissance à décider rapidement de quoi faire en situation critique, mais il y en a d'autres ou les critères sont différents. Il y a des élections, ou encore des épreuves. Chez les Yacks, les Àlfars des Métaux, le statut de Hamu est remis en cause chaque année dans une épreuve nommée "L'engrenage". Leur Clan forme nos meilleurs mécaniciens et ils construisent des armes mécaniques incroyables de finesse et d'efficacité. Chaque année, les concurrents au titre de Hamu doivent concevoir en une journée un animal mécanique capable de protéger le Pavillon. Le meilleur accède au statut de Hamu et les autres animaux mécaniques restent pour protéger le Pavillon, c'est pour cela que le Pavillon Yack a la réputation d'être inviolable. Pas une seule attaque n'a réussi à l'atteindre, jusque-là.

- L'année dernière, c'était une grue, se rappelle Analya. Personne n'aurait pu deviner que ce n'était pas un vrai animal jusqu'à ce qu'elle se pose sur une branche, ouvre le bec et envoi une fléchette empoisonnée au centre d'une cible d'entraînement. Ses yeux étaient des caméras qui passaient en infrarouge la nuit, ses ailes cachaient des diffuseurs de gaz toxique, la pointe de ses serres dissimulaient des mini-canons et son ventre était truffée d'explosifs. Mais le meilleur, c'était sa capacité à transférer toutes les informations qu'il recevait à tous les autres systèmes mécaniques du Pavillon.

Liban hoche la tête.

- Cela fait deux ans que Harry gagne le concours. L'année d'avant, il avait crée des roses impossibles à différencier d'autres, qu'ils avaient plantés autour du Pavillon et qui empêchait n'importe quel ennemi de s'approcher par la voix des airs. Ils marchaient par système de reconnaissance d'un tatouage ou non sur le dos de n'importe quel personne s'approchait.

- Un tatouage ? Intervient Ash.

On échange un regard et mon dos se tend à l'endroit où ses doigts avaient frôlées ma peau. l'atmosphère commence à devenir trop épaisse et je détourne la tête. Le Hamu Cerf me regarde longuement, comme s'il essayait de percer un code qu'il essayait de cracker depuis des lustres.

- Pourquoi les tiges des gardiens n'ont pas bipés pour Shari, en bas ? Parce qu'elle n'a pas de tatouage - pour une raison qui m'échappe totalement, d'ailleurs. Normalement, tous les bébés Àlfars, avant même d'inscrire son prénom dans le registre, se font tatouer le symbole de leur Clan sur leur omoplate gauche avec de l'encre de Lilith, une encre qui ne peut jamais s'effacer. Il marque votre appartenance à votre Lignée et vous assure de ne jamais être confondu avec des ennemis.

Et j'ai l'impression qu'il a pensé si fort que je peux entendre ce qu'il se dit : "il y a beaucoup de choses sur toi que je ne sais pas...". Je le fixe, mais il détourne le regard. Si lui-même ne le sait pas, comment est-ce que je peux espérer avoir des réponses ailleurs ? Il ne me reste qu'une seule piste, la plus directe. Mon estomac me brûle. Voir mes parents.

Un deuxième étage apparaît brusquement, et des centaines de bureaux sont alignés avec des d'ordinateurs, des écrans plats et des lampes dessus, toutes identiques. Les Alfars ici portent toutes des casques et les bureaux sont tous desservis par un réseau de tapis roulants où circulent des milliers de ce qui me semble être des clichés et photos.

- Et celui-là ? Demande Ash.

- Le département de Renseignement Informatique, explique Liban. Ils surveillent toutes nos caméras de surveillance, suivent nos traceurs et interceptent les conversations aux endroits où nous avons caché des antennes.

Je remarque que comme l'autre, toute la salle est en verre transparent, du sol au plafond. On voit d'ailleurs l'étage inférieur, en bas. Je me tourne vers Liban et lève mes yeux sur lui.

- Pourquoi tout est en verre transparent ?

- Pour la sécurité. Tous les murs internes du bâtiment, y compris les plafonds, sont construits dans du verre renforcé pour permettre aux étages du haut d'anticiper s'il y a une attaque en bas.

L'ascenseur se stabilise soudain et un pan de notre cabine s'ouvre sur le dernier étage. Je fais un pas dehors et m'arrête, époustouflée. Le sol est fait en bois et sur tous les murs, partout, que des reflets brillants, comme des milliers de diamants, qui sinuent et serpent dans l'étage, à l'infini. On dirait une trace de poudre d'or qui scintillent dans le ciel, la nuit. Sauf que ce ne sont pas des diamants, ni même de la poudre d'or. Je m'approche doucement et lève lentement la main.

Ce sont... des sabliers.

Des centaines, non, des milliers... des millions de sabliers, qui s'écoulent tous en même temps et qui s'éclaircissent sous la lumière venant du plafond vitré qui donne sur un ciel orageux, bleu sombre tirant sur le gris, à travers lequel passe des rayons isolés.

Je m'approche du mur principal construit en cercle et effleure précautionneusement les sabliers avec l'impression de toucher quelque chose d'aussi pur que de l'or. Leur armature, en bois aussi noir que la nuit, supportent une petite plaque dorée sur lesquels sont gravés des noms qui défilent sous mes yeux : Leila George, Tom Westshore, Inya Shan, Maria Albez,...

- Qu'est-ce que c'est ? Je souffle, les yeux fixés aux sabliers.

Liban tire sur une petite cloche que je n'avais pas remarquée auparavant.

- C'est nom de chaque Hamu qui est mort, depuis l'apparition des Clans jusqu'à maintenant.

Je me retourne. Une porte claque et une grande femme aux cheveux noirs s'avance vers nous.

- Bonjour Liban !

Ses yeux vert sombre semblent contenir à eux seuls un ciel nébuleux rempli d'informations du monde entier, comme si elle était assise au sommet du monde. Je perçois un grand respect de Liban et Analya pour cette petite dame aux cornes courtes et fines. Liban la salue d'un hochement de tête et ils commencent à parler en Lilith. Je ne saurais dire si c'est intentionnel, mais si cela l'est, cela marche très bien : je ne comprends plus rien. Ash plisse les yeux, semblant se méfier également de ce soudain changement de langue.

Liban nous fait signe de nous rapprocher, et ils passent en anglais. Comme c'est gentil... la femme que je devine être la Voix fixe son regard sur nous et la profondeur de son âme me choque en un seul regard. Cette Cerf comprend tout. Cette pensée me percute comme si je m'étais pris un panneau dans le visage. Elle comprend tout. Je pourrais lui dire n'importe quoi, elle me trouvera une solution. J'en suis soudain persuadée. Elle n'a pas été élue Voix pour rien.

- Tu les as signalés ? As-tu procédé aux vérifications, avant ? Demande-t-elle à Liban en se tournant à nouveau vers lui, mais sans repasser pour autant dans sa langue.

- Bien sûr, rien n'a été retrouvé. J'ai fait la demande pour le Printemps, mais je t'ai parlé de leur ville. Où est-ce que ça en est ?

- Ils cherchent, mais j'ai l'impression qu'ils se rapprochent. De ce que nous avons pu glaner, ils arrivent dans une zone avec des traces humaines. On ne peut pas exclure que ce soit une des tribus indigènes qui vivent dans les hauteurs de la Cordillère des Andes, mais cela semble être ce dont nous cherchons.

- Braçalia ? Intervient Ash en faisant un pas en avant. L'armée amérikéne est sur leur piste ?

- Américaine, corrige Analya.

La Voix le considère et hoche finalement la tête.

- Je parierai sur une affaire d'un ou deux jours maintenant, voir moins. Ils sont efficaces et ils avancent vite.

Un ou deux jours de plus... combien des nôtres sont déjà tombés depuis que nous sommes partis ? Combien mourront encore avant qu'ils ne les trouvent ? Le galet enflammé dans mon ventre me fait grimacer. Et qui ?

- Et pour Kallol ? Lui demande Liban en se tournant vers elle.

- Le blanc total. On dirait un fantôme. Je vais avoir besoin d'une description plus exacte et aussi tout ce que vous avez pu récupérer de lui. Les Coyotes acceptent de nous envoyer quinze de leurs chiens de perception. Ils arriveront demain au Pavillon, tu me feras un rapport sur ce qu'ils ont trouvé. Je vais envoyer des avis de recherche à tous nos guetteurs. Je vais également signaler de mettre le mot-clé "Kallol" en priorité sur nos systèmes d'écoutes et tous les mots qui pourraient mener à lui. Je mettrais nos informaticiens sur le coup.

Elle relève le regard.

- En attendant, il connaît sans doute la localisation du Pavillon. Par sécurité, il va falloir l'évacuer.







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