Chapitre 55 :

Clac-clac-tac.

Mon doigt appuie sur la gâchette. Trois fois. Les autres font feu en même temps, principalement des enfants de dix à douze ans. Kaïcha et moi encaissons le recul et nous remettons en position. Aucune de nous deux n'avons touché le cœur des cibles, à quinze mètres de nous. Je serre les dents. Nous avons du taf si nous voulons rattraper le niveau de ces gamins !

Nous avons rejoint la section de tir il y a peu, quand nos encadrants avaient estimé que nous devions travailler le tir. Ils nous ont aussi intégré à la section des armes chimiques et biologiques, même s'ils nous ont dispensés de tir aux armes blanches et de combat au corps-à-corps.

Nos journées sont divisées en deux parties : l'entraînement martial et théorique. Nous nous levons aux aurores, sommes chronométrés sur un parcours du combattant, enchaînons avec une séance de tir automatique, puis semi-automatique et apprenons à manier et à repérer les armes chimiques et biologiques. Nous intégrons ensuite la section Pro, qui est constituée de tous ceux qui visent le statut d'Agent au prochain Printemps. C'est le cours le plus difficile. Nous devons être polyvalents et retenir énormément de choses. Chaque cours assure un point différent : l'aviation, l'escalade d'urgence, les déguisements, la structure d'un bunker, le parachutisme, l'orientation en milieu hostile, les canaux d'égouts,... chaque thématique est assurée par un Alfar du Clan Spécialisé dedans et ils alternent donc à chaque fois.

Après le repas et une courte sieste, l'après-midi est consacré à combler nos lacunes. Une partie est axée sur les langues : le Lilith et la Langue des Signes et l'autre partie tourne autour de l'histoire et de la géopolitique du monde, de la biologie, de la physique, de la chimie et des outils numériques. Enfin, tous les soirs, nous avons une leçon de conduite tout types - voitures, avions, camions, bateaux, sous-marin. Ce dernier est particulièrement pénible, même si nous n'en sommes encore qu'aux bases. La patience n'est pas notre fort et nous en avons la confirmation tous les jours...

L'entraînement s'est intensifié depuis que je peux à nouveau courir, mais si je fais des exercices tous les jours pour retrouver l'usage total de mes jambes, elles sont encore loin de ma capacité initiale. Ash progresse aussi. Depuis qu'il sait pour sa famille, il redouble d'efforts pour retrouver ses capacités physiques, même si nous savons tous qu'il aura toujours un léger boitement sur sa jambe gauche. Néanmoins, il se déplace tous les jours en béquille, et il a été déplacé dans une chambre du haut de l'infirmerie (même s'il ne l'utilise plus que pour dormir).

En dehors des habituelles conversations sur l'avancée des entraînements, les missions et les nouvelles des autres Clans, le Pavillon et tous les autres sont maintenant remplis de murmures et de rumeurs sur une alliance avec les services secrets. La méfiance est si grande des deux côtés que l'échange avance lentement, mais des ragots circulent partout.

Les Alfars le surnomment le Triangle, car il est maintenant de nature publique que la CIA jette un regard intéressé sur nous et maintenant, les SSR ont aussi rendu "publique" leur volonté d'avoir aussi une part du gâteau. Cela veut dire que Kallol a réussi à établir le lien avec ses supérieurs. Cela veut dire aussi que Kallol a pu voir Neal.

Ma main se crispe sur l'arme. Penser de Neal me fait cet effet depuis un moment. Cela fait une semaine que je n'ai pas pu le joindre. J'aimerais savoir ce que Kallol lui a dit, comment cela s'est passé, s'il a déjà vu Kallol, mais plus aucun moyen de le contacter. Je n'arrive à le contacter sur aucune fréquence et il doit changer tout aussi souvent de numéro. Kallol aussi, d'ailleurs, puisque le numéro n'existe plus. Il a dû détruire la carte sim.

Je me retrouve sans aucune information. Je ne peux même pas essayer de parler aux Hamus, qui ne sont presque plus jamais là. Ils rentrent peu, ou seulement de nuit, et repartent aussitôt. Cela ne risque pas de s'améliorer, car le vent chuchote fort et il dit que les Voix, les Russes et les Américains établissent une rencontre sécurisée. Cela expliquerait pourquoi les Agents sont tous rapatriés dans leur Pavillon. Il doit y avoir une garde au cas où les choses tourneraient mal. Cela explique aussi pourquoi nos entraînements se sont intensifiés ces derniers jours.

J'essuie mon arme et me retourne. Je me retourne nez à nez avec une personne enroulé dans un plaid. Ses yeux mi-clos m'observent.

- Je crois que tu as des choses à me dire.

Mes yeux s'agrandissent. Je baisse la tête et réfléchis rapidement. Le Hamu Puma ne peut être là que pour une chose...

- Hamu. Voulez-vous que je vous accompagne dans un endroit moins bruyant ?

Les pupilles du Puma se rétrécissent.

- Avec plaisir.

Kaïcha esquisse un mouvement, mais nous échangeons un regard et elle arrête son geste. Quatre Alfars couverts d'un voile intégral qui ne laisse voir que leurs yeux et leur front émergent des ombres et nous suivent à distance. Leur présence feutrée me crispe les épaules. J'ai l'impression d'avoir quatre dagues pointées sur le dos.

- Ce sont mes kaelis, explique Jasiel en me coulant un regard de côté. Ma garde. Ils resteront à distance, mais tout ce que tu dis, ils l'écouteront aussi.

Je hoche la tête. Je suis prévenu. Pensait-il que j'allais dire des dingueries ? Je soulève une branche et pénètre dans le bois.

- Je n'ai rien à cacher à aucun Puma. C'est la raison pour laquelle vous êtes là, n'est-ce pas ?

Le Hamu fait la moue et acquiesce.

- Je dois saluer ta bravoure. Tu aurais pu mourir avec ce secret entre tes lèvres, mais tu as décidé de le révéler à l'un d'entre nous. Puis-je te demander pourquoi ?

Il se baisse et passe sous un tronc d'arbre tombé en travers de l'herbe. Je jette un coup d'œil en arrière, mais même s'ils sont toujours là, je n'entends pas leur pas et leur voile sombre leur donne des airs de fantômes qui flottent au-dessus du sol.

Je détourne les yeux sur le Hamu. Il parle de bravoure, mais il passe sous silence tout le temps où je l'ai su sans leur dire. Ses mots sucrés maîtrisent l'art de la persuasion. Il veut savoir ce que j'attends d'eux. Il veut cerner dans quel camp je veux réellement être, les Guépards ou les Pumas. Un petit sourire étire mes lèvres.

- Vous êtes bien calme, j'imagine que c'est un trait des Pumas dont je n'ai pas hérité. En arrivant pour la première fois chez vous, j'ai senti beaucoup de secrets. Sans doute avez-vous l'habitude de gérer des situations bien plus difficiles. La plupart d'entre vous deviennent orphelins au cours de leur enfance, mais moi, je suis née orpheline. Cela veut dire que je ne sais pas ce que ça veut dire, des parents. J'ai vécu sans famille, sans lien de sang. Pourquoi vous avoir révélé mes origines ? Parce que, enfin, je peux vous regarder dans les yeux et dire pourquoi je les trouve familiers.

Les yeux du Hamus observent l'herbe qui joue avec le vent et hoche la tête.

- Tu as évolué depuis que tu es arrivé. Nous étions tous des ennemis dans tes yeux, même si tu les cachais sous un visage neutre. Tu n'es pas facile à apprivoiser, tu tiens beaucoup plus des Guépards que de nous, naturellement. Mais es-tu prêt à quitter Ash ? Prêt à quitter les liens que tu as noués ici pour vivre avec ta famille ? Tu n'es pas naïve, tu sais que je vais réclamer le droit du sang.

Le vent s'intensifie. Mes yeux sont capturés par des feuilles qui s'agitent follement sur les arbres, prêtes à s'envoler dans le ciel. Dans cette nature agitée et sifflante, je me sens plus que jamais calme. Pour la première fois, je vois le début et la fin. Je tiens dans mes mains les deux bouts de la ficelle et je vois avec clairvoyance toutes les options que j'ai et leur issue. Et je vois celle qui est en train de se dérouler dans mes yeux. Mes yeux se tournent et se posent sur ceux du Puma.

- Le futur est incertain. Vous êtes au premier rang pour le savoir, vous qui êtes Hamu en pleine période de prise de risque et de décision - et qui pourtant, vous êtes déplacés jusqu'ici pour me parler. Les lois sont les lois. J'appartiens à ce Clan. Mon père appartenait à ce Clan et c'est le seul qui me reste. Je vous demande une chose, en échange. (Je me tourne vers lui et il me rend mon regard.) Réclamez-moi une fois la guerre éclatée ou la paix retrouvée.

Les temps qui arrivent sont porteurs de troubles. Il y a peu de chances que l'organisation des Clans reste la même. Il n'y aura peut-être même plus de Clan. Je veux attendre ce moment avant de rejoindre mon sang. Le Hamu Puma me fixe silencieusement.

- Il n'y a que la fille de Brandon pour réclamer une contrepartie à un Hamu. (Il baisse la tête et esquisse un sourire.) Tu es peut-être plus Puma que ce que je le croyais. J'accepte.

Je souffle intérieurement, soulagée. Malgré la tranquillité que je veux afficher, je n'étais pas sûr que celle-là passerait.

- Brandon ne s'est pas suicidé pour rien, n'est-ce pas ? Ce n'est pas la rivalité entre leurs deux Clans qui l'a poussé à sauter de la falaise. C'est autre chose.

Je relève brusquement les yeux. Comment ? Je plisse les paupières. Je vois... il a fait le lien avec mon âge et la date de mort de Brandon.

- Ma mère est morte en couches.

Ma voix est neutre, comme dénuée d'expression. Je déteste ça, comme si je n'avais pas l'impression de suffoquer la nuit, comme si je n'avais pas ce cratère dans ma poitrine. Mes yeux restent désespérément secs. Comment une telle souffrance intérieure peux être aussi absente extérieurement ? Pourquoi j'ai l'impression d'être si insensible ? Le Puma tend la main, mes muscles se tendent aussitôt, mais sa paume prend doucement ma main. Mes yeux s'agrandissent. Un sentiment étrange, juvénile, puissant, enserre mon cœur. Confuse, je sens une sensation de fragilité se déployer en moi. Un souffle de bébé onduler en moi.

- Nous les Pumas, nous vivons dans les montagnes, entourées de roches. Nous finissons par devenir comme elle : dure et grise de l'extérieur. Tu es des nôtres Shari, tu es dure de l'extérieur, mais nos yeux ont appris à regarder au-delà. Nous comprendrons toujours ta peine et nous la partageons. (Il sourit et ses yeux se plissent.) Tu verras, c'est cela une famille.

Ma tête se relève brusquement et ma bouche s'entrouvre. Qu'est-ce que ce sentiment ? Ma respiration s'accélère. Je déglutis.

Est-ce que... je me sentirai à... (je fronce les sourcils.)... ma place ?



______________________________________________________


La CIA, puis les Services Secrets Russes, la course à l'information à commencé et personne ne veut se faire doubler ! Ce qui arrange bien nos Alfars, même si la contrepartie reste encore floue pour le peuple au bord du vide... Shari, le pont entre Kallol et Neal, néanmoins écarté du jeu, a toutefois ses propres préoccupations... génétiques, disons !

On verra bien on tout ça nous mènera !

A la semaine prochaine ^^

 



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top