Chapitre 52 :

Mes mains se serrent sur le téléphone qui me relie à Kallol, terré quelque part sur terre.

- Une offre ? Qu'est-ce que tu crois que tu peux nous offrir, pauvre fou ? Je gronde.

- Bien plus que ce que tes Voix pourraient rêver. Tu dois savoir que nous détenons la famille de ton cher Lion, et que c'est surtout à cause de moi - disons-le franchement. (Je grince les dents. Je jure que si ce téléphone n'était pas en métal la communication aurait déjà coupé !) Je peux à la fois les faire sortir et vous donner quelque chose qui changera le destin de ton peuple. J'ai le pouvoir de mettre tes Voix en contact avec le chef des Services Secrets Russes. Nous savons que vous êtes déjà en train de négocier avec la CIA, réfléchis au pouvoir que vous aurez si deux des plus puissants services secrets du monde s'allient à votre peuple...

Je fronce les sourcils. Ma tête tombe et ma main passe lentement sur mon front. J'essaye d'analyser tout ce qu'il me dit sous un filtre militaire. Une goutte tombe sur le sol. Non, il y a un truc qui ne va pas. Je relève la tête. Mes yeux se fixent sur un point invisible.

- Pourquoi ? Je lâche. Pourquoi tu ferais ça ? Qu'est-ce que tu veux en échange ? (Je ferme les yeux et les rouvre lentement.) Quel est ton prix ?

- Nathanael.

Je me redresse aussitôt.

- Quoi ? Je crache. Qu'est-ce que tu veux faire avec lui ? Comment connais-tu son nom ?

J'entends un soupir dans le téléphone et je l'imagine assis avec cette expression de supériorité nonchalante qu'il aime tant afficher.

- Je le connais bien plus que toi. Biien plus que tu ne pourrais l'imaginer, crois-moi. (Il fait une pause et lance :) Kallol n'est pas mon nom, tu dois t'en douter. Je ne viens pas des Services Secrets Russes. Je viens d'un certain programme Alpha, de la CIA. Mon nom est Pie.

Pie ?

- Qu'est-ce que tu racontes ? Je grogne. N'essayes pas de jouer avec mon cerveau, petit fumier ! Pie était -

- Le binôme de Nathanael, il me coupe. Mais nous n'avons pas fini en duo par hasard. Ma mission au sein de ce programme était de l'étudier. De rapporter des informations sur son comportement et ses capacités pour qu'ils puissent étudier comment pourrait grandir un Alfar hors de son peuple... tu en devines le but.

Est-ce pour cela qu'ils ont capturé Dyan et tous les autres ? Mais dans ce cas-là, pourquoi nous proposer cet échange.

- Pourquoi es-tu parti, dans ce cas ? Je siffle. Tu n'avais aucun remord à étudier quelqu'un qui t'aimait, mais tuer un bébé était au-delà de tes principes ?

- Ferme-la !

Mes muscles se tendent et un grondement sort de ma gorge.

- Ferme-la, il souffle. Tu ne sais rien de notre relation, tu ne sais rien de ces années là-bas. J'ai fugué pour m'échapper de la CIA, mais les Services Secrets Russes ont finis par m'avoir. Ils savaient pour quoi on m'utilisait à la CIA, alors ils m'ont donné une alternative : me rapprocher des Alfars qu'ils surveillaient depuis plusieurs années dans la ville exilée de Braçalia comme je l'avais fait durant des années, ou mourir. C'est dans ce but que j'ai intégré l'Atrium.

Mes yeux se plissent. Je me penche en avant.

- Tu ne savais pas en y entrant que j'y étais ? Je suis aussi une Alfar, pourtant.

- Non, pour une raison que je ne suis jamais arrivée à expliquer, tu es toujours passé sous les radars. Quand je t'ai vu, j'ai vu son visage. Je t'ai détesté dès le début, je me suis juré de faire de ta vie un enfer comme ce que l'existence de Nathanael avait fait pour moi. Mais je savais que tu avais un jumeau, à ta différence. Après l'incendie, j'ai poussé M. Jamal à me surveiller pour qu'il finisse par comprendre - un peu tard, je dois dire, que je travaillais pour le compte des services secrets et qu'il t'en avertisse. Je savais que tu allais te retrouver de l'autre côté et que tu découvrirais probablement ton jumeau, que je n'avais aucun moyen de contacter. Tu faisais la passerelle idéal pour le retrouver.

Mon nez se plisse. Son regard, quand il m'avait vu... puis tout de suite après, les attouchements, les remarques... quel salopard ! Il faisait ça uniquement par sentiment de rancœur envers mon jumeau. Il m'utilisait pour se venger.

- Un enfer ? Je crache. Tu as fait de sa vie un enfer, pas le contraire ! Pourquoi veux-tu le retrouver ? Je ne te laisserai pas lui faire du mal. Tu ne toucheras pas à un poil de sa peau !

Un ricanement prétentieux monte du mobile.

- Je te demande un entretien avec lui en échange d'une chance d'alliance avec les Services Secrets Russes et tes chers Alfars de libéré. Tu n'es pas en position de poser des conditions.

- Étrange, alors, que ce soit tu qui m'appelles et pas le contraire, je rétorque. (Mon nez se plisse.) Que veux-tu de lui ?

Sa voix se durcit brusquement.

- Reste dans tes affaires, il répond sèchement.

- Il s'avère que mes affaires ont une place importante dans ma génétique. Je ne considérerai aucune option sans que tu n'arrives à me convaincre que tu ne le toucheras pas. Bonne chance !

- Je l'aime, il déclare d'emblée. Et c'est réciproque.

Je- quoi ? Je cligne des yeux. Ce trou du cul aime mon frère ? Mon frère aime ce trou du cul ? Ils étaient ensemble ? Je ferme les yeux, l'esprit en ébullition. Mais alors, pourquoi Kallol dit qu'il lui a fait vivre un enfer ? Pourquoi m'a-t-il détesté dès qu'il m'a vu ? Il ne voulait pas se venger, je comprends d'un coup, il m'en voulait pour exister, pour lui rappeler à chaque instant celui qu'il aimait qu'il a quitté. C'est son existence qui lui a fait vivre un enfer... car il est toujours amoureux. Je tourne le visage et secoue la tête. Impossible !

- Non. Non ! T'aimer après tout ce que tu lui as fait ? Qui le pourrait ? Pas mon jumeau, je t'assure ! Je rugis.

Sa voix prend un ton moqueur qui me tape sur les nerfs.

- Qu'est-ce que tu en sais ? De quel droit te permets-tu d'assurer ça alors que tu le connais depuis quelques jours ? J'ai passé ma vie avec lui, mais toi tu arrives comme une fleur et juges ce que je t'ai dit en pensant tout savoir sur un homme, parce qu'il a les mêmes gênes que toi ?

Mes lèvres se retroussent sur mes crocs.

- Je ne le connais pas comme tu le connais, mais JAMAIS, je ne l'ai trahi. Est-il au moins au courant que ton job était de le surveiller ?

Un silence me répond à l'autre bout de la ligne et je devine que j'ai touché un point sensible.

- Il s'en doutait. Nous savions tous les deux que nous étions utilisés à des fins louches. Nous l'avions accepté depuis longtemps. On ne comprenait rien des buts finaux. La vie pour un enfant des services secrets est très fermée, nous ne sortons jamais, toujours dans les locaux ou en missions. Nous n'avions aucun comparatif de bonheur, et donc aucune envie de partir. Ne crois pas que je suis tout noir et lui tout blanc.

Mon cœur se rétracte et se craquelle. Personne de ma connaissance n'a vécu une enfance heureuse et paisible, mais ce que Neal m'avait déjà fait entrevoir est bien pire que la moyenne. Combien d'autres enfants recrutent-ils illégalement ? Combien grandissent entre des murs gris, dans le seul but de servir la CIA ? Mes mâchoires se serrent.

- Alors pourquoi tu as fugué ? Si tu veux que je te fasse voir Neal, tout doit être clair entre nous. Dis-moi la vérité, et pas une histoire de bébé qui te fait passer pour le héros. (Mes lèvres se serrent.) Toi et moi savons que tu l'aurais tué si on te l'avait demandé.

Sa voix s'arrête un moment, puis reprend, plus rauque, presque graveleuse.

- Ils voulaient m'utiliser pour faire des tests sur Neal. Il ne s'était attaché qu'à moi, alors ils voulaient se servir de ce lien pour le mettre dans des situations où il serait obligé de coopérer à des expériences... d'un tout autre niveau.

Mes mâchoires se serrent. Je le savais, ils lui ont fait subir des tests ! Les Voix avaient raison. Il coopéraient avec eux - par peur ou par acceptation, je n'en sais rien. Et ça, depuis le début. Et lorsqu'ils ont vu voulu augmenter le niveau, ils ont dû prendre Kallol comme appât. Il a fugué, pas à cause du bébé, mais à cause de Neal lui-même. Le Guépard s'en est-il rendu compte ? Ou m'a-t-il dit cela en le pensant vraiment ?

- Et tu as choisi le moment où ta fuite aurait paru la plus crédible à ses yeux, une mission pour assassiner un bébé... (Je fronce les sourcils. Mon ventre se tord dans tous les sens à mesure que je comprends ce qu'il s'est passé) il ne t'a jamais cherché ?

- La CIA l'a toujours exclu des agents à ma recherche. Ils avaient sans doute peur d'en perdre deux pour le prix d'un.

Je plisse des yeux.

- Tu es recherché encore ?

- Je n'ai jamais arrêté de l'être, il ricane d'un air amer. Si j'ai été attrapé par les Services Secrets Russes, c'est parce que je fuyais des agents. Mais la CIA m'a trop bien appris à ne pas laisser de traces, cela s'est retourné contre elle. Ils n'ont jamais mis la main sur moi, je parie qu'ils en ont la rage à la bouche.

Un bruit derrière moi me fait réagir. Le véhicule du Roc arrive !

- Je dois raccrocher.

Je me mords la lèvre, mais je ne suis pas prête à lui assurer une entrevue avec mon jumeau. Je déteste l'idée de lui donner un rendez-vous avec Neal !

- Ne prends pas longtemps pour me répondre, lance Kallol. Mon offre n'est pas éternelle.

Je raccroche et sors de la voiture. Je passe le téléphone au Loup, qui s'approche pour accueillir l'équipe de maintenance venue changer les pneus. Deux Yacks sortent de la voiture et le conducteur récupère les clés avant de me faire signe de monter dans l'autre.

J'ouvre la portière et m'installe sur un siège arrière. Le moteur gronde.

- Ceinture de sécurité, me rappelle le Loup.

Je le fixe, puis cille. Ah oui. La ceinture se clipse dans l'attache au moment où nous redémarrons. Je fronce les sourcils, gênée par l'obscurité du véhicule qui obstrue ma visibilité. C'est la première fois que j'ai cette impression. Faisait-il toujours aussi sombre dans les voitures précédentes ? Je tourne la tête et me rends compte que j'ai toujours les lunettes de soleil. Je les enlève et me sens tout de suite mieux. Je les range dans une poche et me penche vers l'avant.

- C'est quoi ton nom ?

Le Loup me jette un coup d'œil par-dessus son épaule.

- Julien.

- Julien, tu es un Agent, non ? Tu as dû recevoir des cours sur les Services Secrets, pas vrai ?

Il hoche la tête.

- Ce sont les cours obligatoires inter-Clans. Tous les enfants qui visent le statut d'Agent en sont dispensés, ainsi que de cours de situations politiques internationales dans chacun des 197 pays du monde. À côté de l'entraînement pratique et de l'apprentissage des langues, bien sûr.

Je hausse un sourcil. Ça en fiche un coup, quand même. Comment des enfants peuvent-ils avoir une telle capacité d'apprentissage ? Je savais déjà qu'ils doivent parler couramment leur langue maternelle, le Lilith, la langue des signes, une deuxième langue et l'anglais. Mais l'étude de la défense poussée de tous les pays du monde.... enfin, ça m'arrange.

- Tu sais que je ne suis arrivée ici que depuis peu. J'ai déjà eu quelques leçons sur la CIA, mais je ne sais pas grand-chose sur les SSR.

La voiture s'arrête à un feu. Le conducteur garde les yeux sur le feu en expliquant :

- As-tu pu rattraper l'histoire du monde, en général ?

Mes yeux se plissent. J'ai eu beaucoup de cours quand j'étais plaqué au lit à cause des blessures, mais ce n'était pas que de l'histoire du monde, c'était surtout de la culture générale technique et informatique, des cours de géographie, de Lilith et de langue des signes, afin de pouvoir évoluer sans surveillance dans les villes.

- Seulement les notions de base. J'ai tant de choses à rattraper dans tellement de domaines, mon temps doit être partagé.

Il hoche la tête en redémarrant.

- Bien sûr. Quand tu parles des notions de base, tu veux dire jusqu'à quand en histoire ?

- Du début jusqu'à aujourd'hui, mais dans les grandes lignes. Tous les siècles et ses événements les plus majeurs. La Préhistoire, l'Antiquité, le Moyen-Âge... le vingt-deuxième siècle.

Un sourire révèle ses canines pointues.

- Je vois qu'il y a encore quelques révisions à faire. Que sais-tu du vingtième siècle ?

Les paroles des différents professeurs résonnent en écho dans ma mémoire. Mon crayon qui gratte la feuille... qu'est-ce que j'avais écrit dessus ? Je me penche et lis par-dessus.

- Il y a eu la première guerre mondiale et la deuxième guerre mondiale. De 1914 à 1918 et de... 1939 à 1945. Quel est le rapport avec les Services Secrets Russes ?

- Tout a commencé entre ces deux guerres. La Russie avait besoin d'informateurs pour étendre son mouvement communiste. C'est pas grave si tu n'as pas les termes exacts, il ajoute. Retiens que cela a été créé il y a un siècle environ. Avec le temps, ils ont changé de noms, de meneurs, mais ils se sont toujours perfectionnés et ont développé un réseau gigantesque. Aujourd'hui, des millions de personnes totalement insoupçonnés travaillent tous les jours pour eux. C'est pour cela qu'ils sont un des plus puissants services secrets du monde.

Le Loup tourne brièvement la tête vers moi :

- Ce n'est pas le plus puissant, néanmoins, justement parce qu'ils sont si redoutés et connus. Le plus puissant, personne ne le connaît. C'est pour cela qu'il l'est.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top