Chapitre 51 :
Je ferme plus fort les yeux. Je ralentis ma respiration. Au bout de quelques minutes, je rouvre les yeux et me redresse, excédée. J'ai besoin de le contacter ! Pourquoi ça ne marche pas ? Durant des mois, j'ai eu des visions de lui, je peux bien les renverser, non ? Je n'ai pas le choix de toute façon, je n'ai que ce moyen. Voilà pourquoi je ne voulais pas le dire aux Voix. Qui croirait ça ? Et qui de censé établirait un plan basé là-dessus ? Moi. Pas eux, c'est sûr.
S'ils se rendent compte que j'ai menti... je détourne la tête en grognant. Ce n'est pas le meilleur moyen pour m'endormir.
Une voix s'élève soudain :
- Tu comptes m'appeler, oui ou non ?
Je bondis sur mes pieds et tourne la tête à droite et à gauche en vain.
- Neal ! Neal, je me reprends en chuchotant. Où... où es-tu ? Comment es-tu rentré ?
- Il y a un micro-transmetteur sous la garde d'une de tes dagues qui s'active dès que mon nom est prononcé dans un rayon de 3 mètres.
Je dégaine brusquement mes dagues et regarde sous chacune d'elles.
- Ne cherche pas, c'est très petit.
Mes lèvres se serrent.
- Ordure ! Comment tu sais que je suis en train de le chercher ? Et qui a mis ça ici ? Toi ? Quand ?
Il laisse échapper un petit rire.
- Je l'ai deviné. Moi. Oui. Quand on s'est vu. D'autres questions ?
- Hé ! Je gronde en rapprochant ma bouche de mes dagues. Qui t'as autorisé à glisser des trucs dans mes dagues sans autorisation ?
Il prend un ton faussement coupable.
- Je voulais te l'informer, mais comme tu l'as vu, on a été à cours de temps. Mais sans cela, comment aurions-nous pu communiquer à distance ? Tu penses que je t'aurais laissé partir sans moyen de communiquer ?
- Oh, parce qu'en plus, je devrais te remercier !
- Ce fut un plaisir.
Je tape dans la radio.
- Eh ! J'ai entendu le bruit !
- J'aurais préféré que tu le sentes !
Il grogne.
- Ne le prends pas comme ça. Tu peux l'enlever, bien sûr, mais sans on ne pourra sans doute plus jamais communiquer. Comment comptais-tu me retrouver, hein, toi qui est si maligne ?
Je m'immobilise.
- Attends. Cela veut dire que tu entends toutes mes conversations sur toi depuis le début ?
Je l'entendrai presque ronronner de sadisme.
- C'est toi qui l'as dit, pas moi. Légèrement déçu de constater que tu ne parles pas aussi souvent de moi que tu le devrais.
- Non mais ! Retourne dans tes ruines et arrête de te regarder dans un miroir ! J'y crois pas, avoir un jumeau aussi mégalo... je grogne.
- Et aussi fort et beau, hé hé !
Ma tête se baisse et je soupire. Ça va pas être facile tous les jours, je le sens...
- Je te préviens, je vais l'arracher dès cette conversation terminée et tu me donneras un numéro à la place ! J'imagine que du coup, tu sais ce que les Voix proposent à tes supérieurs.
- Tu veux dire, le numéro que je t'ai donné ? Il ironise.
Je ferme les yeux.
- Tu as entendu ça aussi ?
- J'ai commencé à entendre à partir de là.
Le soulagement me soulève comme une bourrasque violente. Il n'a pas entendu ce que j'ai dit avant !
- C'est pour ça que je t'ai contacté, même si j'ai tiré mes propres conclusions. Tu as fait un rapport aux boss sur notre réunion, c'est ça ? Qu'est-ce qu'ils ont dit ?
- Tu es beaucoup trop intelligent à mon goût, je grommelle. Oui, mais ils ne considéreront une alliance qu'après un échange radio avec tes supérieurs.
Je l'imagine fermer les yeux.
- Demain, 13h, n'est-ce pas ?
Je hoche la tête.
- Oui.
...
"Crrzzz"
"C-c-c-zzzzzzzzzzz"
"Ccc-gggr"
Une voix vibrante, métallique, sort de la radio.
- Ici Zanahoria et Dumpling. Qui est à l'écoute ?
Un soupir de soulagement traverse la salle, remplie des Voix qui se redressent et s'échangent des regards soudain éveillés. Ça marche ! Zanahoria et Dumpling sont les noms de code que les supérieurs de Neal nous ont donnés afin de s'assurer de l'identité de nos interlocuteurs pendant l'échange radio.
Nous sommes dans une pièce spéciale du Roc où les deux Voix représentantes sont assises face à face sur une simple table sobre au milieu de quatre murs vides de tout autre objet ou présence. Les murs sont transparents et derrière, toutes les Voix sont rassemblés et écoutent ce qui se dit dans la pièce grâce à des micros qui retransmettent tout de l'autre côté. Six Antilopes travaillent dans une capsule informatique derrière la salle à sécuriser notre position et tous les flux d'informations qui pourraient être susceptibles d'être hackés au cours de l'échange.
Ysille, la Voix des Loups, lève les yeux sur Kaelan et pose lentement les coudes sur la table où trône la radio. Il baisse son masque noir et ses lèvres s'entrouvrent dans le silence en suspension :
- Ici Bague à l'écoute...
Même à travers la retranscription métallique du micro, un frisson traverse mon ventre. Sa voix n'a rien de comparable avec celle des Loups que j'avais entendu auparavant. Elle rayonne d'une puissance, d'un prestige écrasant. Je ne suis pas Louve, mais mes genoux frémissent comme s'ils n'avaient pas d'autre choix que de s'agenouiller. Son grain est grave, profond, velouté.
Il est le Maître.
Je ne sais pas ce qui est le plus impressionnant : la force de persuasion de sa voix ou les autres Voix qui ne cillent même pas en l'écoutant. Ils sont tous d'un niveau tellement plus supérieur à moi ! Une main se pose sur mon épaule et un garde me fait signe de le suivre hors de la pièce. Je tourne la tête en direction de la radio, me dégage, résiste pendant quelques secondes, puis je me force à détourner les yeux et à tourner les talons à contrecœur. Je n'étais autorisée dans cette pièce strictement protégée que pour assurer le lien si jamais il y avait un souci à se connecter avec la CIA. Mais le reste, est strictement confidentiel.
La frustration boue dans mon estomac et s'envole en volute de fumée dans mon torse. C'est si rageant ! En empruntant l'ascenseur pour redescendre, je remarque que le garde, un Puma, m'observe de côté. Je me tourne et le fixe dans les yeux. Il détourne les yeux sur le côté sans bouger. Je sais à quel point les Pumas et les Guépards se détestaient, mais quelque chose d'étrange me pousse à fouiller plus loin. Je plisse des yeux.
- Connais-tu Brandon Kolo ?
Ses yeux se tournent sur moi, déconcerté, puis méfiants.
- Brandon Kolo ? Pourquoi veux-tu savoir cela ?
Je lui renvoie son regard.
- Ça t'intéresse ?
Le Puma m'observe en silence, puis se détourne avec agacement.
- À croire qu'ils sont nés arrogants...
Mon nez se plisse.
- Tu parles de mon Clan ? Celui qui a été massacré ? Avec ses enfants, ses vieillards, ses bébés ? C'est bien d'eux dont tu parles ?
Le Puma daigne enfin abaisser le regard sur moi et fronce les sourcils.
- Tu ne compr...
- J'ai l'air de comprendre plus que toi ce que veux dire respect, en tout cas.
Le garde plisse le nez. Il se détourne et croise les bras en s'appuyant sur la paroi de l'ascenseur sans même me regarder.
- Tu n'es même pas Agent, écoute les conseils qu'on te donne plutôt que de les donner. Ce conseil vaut aussi.
Ma bouche se serre. Comment un Agent peut-il être aussi infantile juste parce que son Clan avait un antécédent avec le mien pendant des siècles ? La disparition de ma Lignée n'a-t-elle rien changé à leur perception ? Les Clans sont-ils aussi primitifs ? J'expire lentement l'air de mes poumons et jette de l'eau sur mes flammes. Il est ma seule source d'information. Je dois le préserver. Je plante mes yeux dans les siens et énonce calmement :
- Que connais-tu de Brandon Kolo ?
Il semble me juger de haut en bas, en prenant son temps. Il ferme les yeux et laisse passer un silence si long que j'ai l'impression qu'on est presque arrivé en bas quand il rouvre les yeux et dit :
- C'était mon mentor.
Je recule d'un pas. Ce type ? C'était son novice ? Alors, je suis en présence de quelqu'un qui le connaissait bien ! Je décide de jouer la carte de l'innocence. Je baisse les yeux.
- Était ? Je suis désolée. Que lui est-il arrivé ?
Le Puma fixe un point invisible derrière moi. Ses paupières s'abaissent, puis se relèvent sur moi, et deux puits insondables se posent sur moi.
- Personne ne sait. On a retrouvé son corps gorgé d'eau à la dérive sur un fleuve. (Il pivote vers moi et ses pupilles se contractent, les yeux mi-clos. Une aura menaçante s'élève de derrière lui.) Ce qui m'amène à me demander, pourquoi la dernière Descendante des Guépards s'intéresse à lui ?
L'ascenseur descend dans la salle d'accueil et la base réintègre le sol avec une petite secousse. Sur une impulsion, je me retourne vers le garde et lui serre la main.
- Shari Kolo, enchanté. Je suis sa fille.
Je sors de l'ascenseur et deux Panthères sortent de l'ombre pour m'encadrer jusqu'à la sortie.
- Attends !
Je jette un coup d'œil en arrière. Le Puma m'a rattrapé, mais les Panthères lui bloquent le passage.
- Nous nous occupons d'elle à partir de là, Oscar. Tu peux retourner à ton poste.
Le Puma secoue la tête et crache :
- Brandon n'avait pas d'enfant ! Qu'est-ce que tu racontes ?
Les Panthères s'agitent. Je ne le lâche pas du regard.
- Pourtant, tu m'as fixé une bonne partie du trajet et tu cours après moi maintenant. Tu ne prendrais pas cette peine si tu n'y croyais pas. (Je lève mon visage à la lumière.) Tu le vois, n'est-ce pas ? Ses traits. On dirait que ton mentor avait des secrets... Fait passer le message à ton Clan. Dis-leur que je viendrai bientôt.
Je me retourne et mes deux gardes Panthères m'emmènent dans une voiture aux vitres teintées. La porte arrière s'ouvre et je pénètre dans le véhicule. Le conducteur appuie sur la pédale d'accélérateur et nous quittons la rue étroite du Roc. Je presse mon front contre la vitre et regarde les personnes défiler à toute vitesse devant mes yeux.
Est-ce cela qu'ils ont l'impression de voir lorsque je cours ? J'ai la possibilité de le savoir, maintenant que je ne suis plus la seule Guéparde qui reste. Le Puma de l'ascenseur n'avait pas l'air au courant de l'existence de Neal, d'ailleurs... Akan a dû garder l'information privée.
Pour l'instant.
Il doit vouloir utiliser cette information à des fins précises. Et moi, je vais devoir faire une petite visite aux Pumas. Ce cher Alfar va répandre la nouvelle comme de la poudre à feu, dans deux ou trois jours, on entendra toquer à notre porte - ou plutôt ce qu'il en reste.
Mon corps est brusquement projeté en avant. Je m'arrête d'un coup, la respiration coupée. La voiture s'immobilise. Mon cœur explose dans ma poitrine. J'arrache ma ceinture en dégainant mes dagues d'un mouvement.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Le conducteur sort de la voiture. Il jure.
- Les pneus crevés. Les bouts de verre se sont enfoncés dedans. Les humains sont pas fichus de viser quand ils jettent leur verre dans la poubelle !
Mon rythme cardiaque ralentit. Je ferme brièvement les yeux, rengaine mes dagues et sort. Les roues sont à plat. Je regarde autour de moi. Quelques personnes marchent sur les trottoirs. Nous sommes dans une rue qui ne semble pas loin du centre, peut-être pouvons-nous trouver de l'aide là-bas...
- Ils ont pas des machines pour remettre ça comme avant ?
l'Alfar, un Loup vu ses canines, sort un mobile de sa poche.
- Il faudrait que j'appelle une dépanneuse, mais elle n'arrivera pas avant un moment et nous n'aurons plus aucun véhicule. Je vais appeler le Roc, ils ont des voitures et des pneus de rechange dans les sous-sols. Ils pourront nous dépanner.
Une voix humaine lance derrière nous :
- Vous avez besoin d'aide ?
Je me retourne, mais le Loup me retourne aussitôt et me fixe intensément en me collant une paire de lunettes de soleil dans les pattes. Ok, il vient de me sauver la vie. Le jeune homme devant nous hausse un sourcil.
- Vous avez appelé une dépanneuse ?
Je secoue la t-
- Oui, me coupe le Loup avec un sourire. Merci pour votre sollicitude, nous nous rendons sur un lieu de tournage, mais nous avons roulé sur des débris de verre... la dépanneuse ne devrait pas tarder à arriver.
L'humain se rapproche.
- Un tournage ? Vous tournez pour Netflix ?
Il sourit d'un air de confidence.
- Les détails doivent rester confidentiels, si vous comprenez ce que je veux dire. Une chance que nous ayons décidé de partir en avance, au moins nous ne serons pas en retard.
- Vous êtes sûrs ? Je suis garé pas loin, je peux vous y emmener sinon. Vous avez juste à me dire le lieu de tournage, offre-t-il.
- Ça ira, merci. Nous devons être là quand la dépanneuse arrivera. Bonne journée !
L'homme hoche la tête, nous salue et tourne au virage. Je le fixe jusqu'à ce qu'il disparaisse. Mes doigts froissent le bout de papier qu'il a glissé dans ma main. J'hésite à le lire maintenant, mais s'il me l'a donné en secret, il doit y avoir une raison.
Pendant que le Loup s'isole dans la voiture pour passer un appel au Roc, je déplie le papier et lit la suite de chiffres qui s'affichent devant moi. Je fronce les sourcils. C'est quoi ? Un code ? Un code de quoi ? Je repasse rapidement en revu tout ce qui pourrait nécessiter ce code, mais j'ai un trou. Qu'est-ce que ça pourrait et... la portière claque et je me retourne. Le conducteur soupir.
- Quelqu'un arrive dans dix minutes avec des roues de secours et le matériel pour changer. Nous allons prendre la voiture qu'il amène.
Il éteint son portable et le range dans sa poche. Je me fige. Oui !
- Je peux passer un appel rapide ? On m'attend, je dois prévenir que je vais être en retard.
Il hésite, mais j'appuie :
- Ils ont prévu un emploi du temps serré, ça risque de tout décaler. C'est un téléphone sécurisé, non ?
L'Alfar hoche la tête et finit par me le tendre.
- D'accord, mais sois rapide. Pour les appels, c'est ici.
Je le prends et rentre dans la voiture en le remerciant. Heureusement, les voitures des Alfars sont insonorisées pour protéger leurs échanges lors des longs trajets. Je recopie les chiffres écrits sur le papier et appuie sur le bouton vert après un instant de confusion. J'aurais dû tilter dès que j'avais vu que la suite de chiffres commençait par un zéro, Analya m'avait appris que les numéros commençaient toujours par un zéro. Des bruits courts se répètent. Je fronce les sourcils. C'est la première fois que je téléphone. C'est normal, ça ?
Je sursaute au son d'une voix dans mon oreille et tourne la tête derrière moi. La vache, on dirait qu'il est juste à côté de moi !
- Allô ? Shari ?
Mes yeux s'agrandissent brusquement. Je me fige.
- Kallol ! Espèce de salopa-
- Stop, j'ai pas le temps. Dans neuf minutes, des Agents vont arriver et nous devrons clore cette conversation. J'ai une offre sérieuse à te faire.
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Hi ! Ca avance, ça avance et Kallol qui vient y mettre son grain de sel... celui-là j'vous jure. Enfin bon, vous connaissez pas encore le pire...
Sur ce, à dimanche prochain !
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