Chapitre 47 :

Mes yeux s'agrandissent.

J'enlève brusquement la dague de la gorge de Sahan et je redresse d'un coup le volant. Oups ! La camionnette fait une embardée et on évite un arbre. Le Coyote reprend le contrôle du véhicule alors que je me glisse à l'arrière, entre quatre soigneurs qui me fixent avec des gros yeux. Je leur souris en m'installant sur la banquette.

- Coucou !

- Tu peux m'expliquer ce que tu foutais, là ?! Hurle le conducteur, furieux.

Je grimace.

- Calme-toi. Tu conduis une camionnette.

Il me fait un geste obscène. Je me racle la gorge.

- Je t'ai confondu avec des renforts ennemis, j'étais pas au courant qu'il y avait des camionnettes dans le bunker...

- Rappelle-moi de ne jamais te faire « bouh" ! S'exclame le Coyote. Et tu as détruit le pare-brise !

Je roule mes omoplates en arrière. Et je le sens encore...

- Il y a toujours des camionnettes et des hélicoptères au cas où il faudrait évacuer d'urgence le bunker, lance le Chamois à ma droite en se décalant pour me laisser de la place.

- Si tu avais attendu un peu avant de te précipiter, tu y serais monté sans problème, seulement, madame n'en fait qu'à sa tête ! Ronchonne Sahan.

Mes yeux se relèvent brusquement. Je me penche en avant. Un rugissement naît dans mon thorax. Ils ne peuvent pas emmener Ash !

- Ça veut dire qu'on sort tous ? Même les malades ? Ash n'est pas en état d'être transporté ! Je gronde.

- Les blessés qui ne sont pas en état de se marcher vont être transportés dans des camions plus larges sur des civières, intervient le Chamois à ma gauche.

Je suis brusquement plaquée en arrière quand la camionnette fait un à-coup. Je serre les mâchoires. Il l'a fait exprès !

- Tu as intérêt à dire à Akan que le pare-brise, c'est toi, lâche le Coyote.

Je perds brusquement mon énergie. L'Alfar ricane d'un air satisfait et je lui envoie un regard noir. Je crois que je vais faire en sorte de ne pas croiser Akan pendant plusieurs jours, non... plusieurs semaines.

Le Coyote siffle sombrement. Je regarde par le pare-brise défoncé et tombe totalement d'accord avec lui. Mes poumons chutent au fond de mon ventre. Il ne reste rien. Rien qui n'est pas ravagé par les bombes ou les flammes. Ce n'est pas comme l'incendie de Braçalia où tout avait été rasé, mais c'est des trous, partout, dans les murs, les portes, au sol. Nous regardons, atterrés, les arbres cramoisis passer à côté de nous et le ciel d'une couleur orangée qui s'intensifie de plus en plus.

Les roues du véhicule ralentissent sur les débris et Sahan conduit la camionnette beaucoup plus prudemment, dans le silence funèbre qui tombe dans l'habitacle. Des crépitements de plus en plus vigoureux emplissent l'air à mesure que nous nous rapprochons du manoir, des craquements et des sifflements de bois et de végétation qui se décrochent et tombent en cendre.

Je me penche en avant, mais on ne discerne rien à plus d'une dizaine de mètres. Tout fume dans un rayon de plusieurs kilomètres. Une scène de désolation et de destruction totale.

La camionnette s'arrête dans un crissement de pneu quand des cratères commencent à trouer le sol et on descend dehors les uns après les autres. Une bouffée de l'air ambiant m'enflamme brusquement la gorge et je lève aussitôt mon coude, ce que font aussi les autres. L'air ici est aussi toxique que les émanations de gaz volcaniques. Un Chamois nous passe des masques intégraux les uns après les autres et je le remercie du fond du cœur.

L'angoisse me tord de plus en plus le ventre. Je redoute ce qu'on va trouver là-bas. Qui on retrouvera. Sahan sort des petits appareils gris et ronds de leurs poches et nous en passe un à tous. Une cordelette élastique permet de le passer sur le doigt du milieu de la main. Je hausse un sourcil.

- Un détecteur de métaux, pour les mines ou les bombes qui ne se sont pas activées, m'explique le Coyote. Ça fait un bruit strident quand ça s'approche d'une source de métal.

On s'organise en ligne et on avance en rythme, les yeux et les oreilles en alerte. Les débris crissent sous nos bottes à chaque pas et notre propre respiration résonne dans nos oreilles. On finit par apercevoir le Pavillon en traversant un écran de fumée. On se relève tous devant les restes du Pavillon Lion et Yack réduit à... des ruines.

Mes poils se dressent sur ma peau. Des briques noircies par le feu, des tuiles projetées partout, des bouts de verre plantés dans des arbres aux alentours, des poutres écroulées au sol. Les murs des bâtiments sont troués, laissant apparaître à l'intérieur le désordre et les destructions. Les poutres sont cassées ou à moitié tombés et ressortent par les failles comme des os hors d'un membre déchiquetés, les émanations de gaz qui en sortent semblent aussi épaisses que toxiques et des vagues de chaleur des flammes qui s'échappent encore de l'intérieur de la bâtisse s'abattent en nous par succession.

La gorge sèche, j'ai l'impression d'être plantée au sol par des racines qui sortent de mes pieds, statufiée. Tout ce bâtiment, ce foyer de milliers d'Alfars, la sécurité de toutes les familles... plus rien. Un flash-back de ma ville, en feu, me poignarde. Ma respiration s'accélère. Pourquoi le seul endroit où on se sent en sécurité part toujours en fumée ? Pourquoi mettre toujours feu aux choses qui nous rassure ? Pourquoi priver de toit des centaines d'enfants ? Mes dents se serrent. Pourquoi en rendre autant orphelins ? 

Mes narines s'ouvrent en grand et j'ai l'impression d'avoir aspiré la flamme qui ravage le Pavillon, elle flambe de plus en plus haut en moi, elle devient hors de contrôle et brûle tout dans mon ventre comme elle a brûlé ces vies piégées à l'intérieur !

Sahan me serre le poignet.

- Shari...

Je suis son regard. Mes yeux s'abaissent lentement.

Une main squelettique court dans mon dos.

Des cadavres. Renversés sur le dos. Transpercé par les éclats de verre. Brûlés jusqu'aux os. La moitié du corps affalé sur des barricades. Des cris de détresse et de douleur, partout, un spectacle de destruction et de désolation. On ne peut même plus reconnaître à quel camp ils appartiennent. Les survivants secourent les blessés prisonniers sous les murs effondrés, immobilisés au sol, incapables même de bouger ou encore inconscients et essayent de tous les rassembler au centre, loin des flammes, où deux ou trois Alfars que je ne reconnais pas ont pris la direction des choses.

Mes muscles se remettent en route et je m'élance. Je cherche les blessés et les transporte quand je le peux là où les soigneurs s'activent avec urgence autour des victimes. Je transpire dans mon masque. Une odeur forte et piquante de fumée et de chair brûlée pénètre jusque dans mon masque. Je vais prêter main forte à des Agents couverts de suie, de sang et de sueur pour sécuriser la zone où on a installé temporairement les blessés en attendant qu'ils soient emmenés se faire soigner au bunker.

Des camionnettes font sans cesse des allers-retours pour emmener les blessés là-bas, mais ceux trop sensibles n'ont pas le choix et doivent être opérés sur place. Pendant mes allers-retours, j'essaye d'apercevoir des visages familiers, mais ils sont tous couverts de suie et de terre. Je cherche Akan quelque part, mais il a du être le premier emmené au bunker. On m'a dit qu'il était dans un sale état.

- Guéparde ! M'appelle une Yack en passant à côté de moi. On a besoin d'aide pour installer les pares-chutes.

Blessée à la hanche, elle boitille et ne peut s'appuyer sur sa jambe droite.

- Tu as vu Kaïcha ? Ou Lyo ou Nathan ? Je lui demande alors que j'attrape le filet de protection qu'elle me lance.

Elle secoue funestement la tête et l'expression de ses yeux graves m'ébranle.

- L'humaine, pas vue. Nathan et Lyo, eux faisaient partie de l'assaut. Nous avons été séparés à un moment et depuis, aucune nouvelle. As-tu vu un garçon Yack avec sa petite sœur, dans le bunker ? Elle souffle en se rapprochant brusquement.

Je m'arrête.

- Le garçon, avec des béquilles ? J'ai vu un garçon en béquille avec sa sœur.

Son expression se mue en soulagement instantané, elle baisse sa tête, ramène ses mains autour de sa bouche et ferme les yeux en chuchotant des mots en Lilith.

Quand elle les rouvre, elle serre ma main entre les siennes.

- Que Ha'Olah te bénisses, Shilu Ab'Shilu !

Je me recule en un sursaut et hoche la tête avec inconfort. On fixe le dernier filet de sécurité aux poteaux de secours et une rumeur attire mon attention. On extirpe Nathan des ruines. La nouvelle se propage et Les Lions accourent pour aider le fils du Hamu.

Je m'apprête à les rejoindre, quand je reconnais Julia dans une des tentes de soin qui a été dressé à la hâte pour protéger les blessés encore à l'extérieur. Je me faufile parmi les blessés à terre pour la rejoindre. J'enlève mon masque. L'atmosphère est saturée de l'odeur du sang et du bourdonnement des mouches. Je tourne les yeux et lève le bras.

- Julia !

Elle se retourne et sa patiente apparaît à ma vue. Je tombe à genoux.

- Kaïcha !

Je me penche sur elle et prends son visage entre mes mains. Elle tourne la tête vers moi. Je passe ma main sur son front, brûlant et trempée de transpiration. Mes yeux criblent son corps zébré de coupures et de bleus, heureusement que des blessures superficielles. J'aperçois soudain la brûlure de la taille de ma main sur son flanc gauche.

- Shari... elle souffle en relevant des yeux pochés de fatigue sur moi. Je suis contente que tu sois parti au Bunker...

Je me relève et me retourne brusquement. Mon front se presse contre mon poing. Je me force à ronger mon frein, à ne pas exploser, à ne pas tourner folle tout de suite maintenant. Putain, comment j'ai pu ? Comment j'ai pu la laisser toute seule ? Comment est-elle atterrie sur le champs de bataille ? Elle était censée aller au Bunker, comme tous ceux qui n'étaient pas des Agents !

Je prends Julia par le bras.

- Comment... (Je l'écarte du lit et elle recule d'un pas.)... comment Kaïcha s'est-elle retrouvé là-haut ?

- Je ne sais pas... eh, tu me fais mal !

Je lâche brusquement son bras. Qui est-ce ? Akan ? Le Hamu Yack ? Qui l'a mise en danger ?

Kaïcha essaye de se redresser, mais elle lâche un son et retombe sur sa couche. Mes poings se serrent.

- Shari, je te jure que je ne l'ai pas fait exprès. J'ai été prise entre les deux camps. Je n'ai pas eu d'autre choix que de me défendre. Toutes les portes allant au bunker étaient déjà bloquées !

Ils ont bloqué les portes, cela fait partie de la procédure. Se peut-il qu'elle soit arrivée trop tard ? La soigneuse Yack prend doucement ma main et me regarde droit dans les yeux.

- Je m'occupe d'elle, fait moi confiance.

Je me mords la lèvre. J'inspire au grand coup et lâche sa main. Elle survivra. Elle a déjà vécu pire.

- Je reviendrais, je lance en direction de Kaïcha. N'ose même pas bouger !

Je m'éloigne rapidement pour que toute la pression dans ma gorge se dégonfle avant qu'elle ne sorte. Elle a voulu rester ici à cause de moi et maintenant, elle est sur cette couche... je rentre quasiment dans Lyo. Il a un bras dans une écharpe et de nombreuses coupures au visage comme Kaïcha, des éclats de verre, sans doute.

Le soulagement passe dans ses yeux alors qu'il parcourt mon corps.

- Tu n'as rien, dieu soit loué !

- Lyo ! Je m'exclame. Ton bras ?

Il me désigne son bras dans le plâtre.

- Oui, mais on m'a pris en charge. Le reste n'a pas de dégât, alors j'ai reçu l'autorisation de rester ici pour aider à sécuriser tout. On a besoin de tout le monde, il grogne. Comment s'est passé le transport d'Ash au bunker ?

Je fronce les sourcils.

- Certaines de ses blessures se sont rouvertes, mais il est pris en charge par un Chamois. Je suis partie avant de savoir s'il allait mieux.

Le Lion ferme les yeux.

- C'est un soulagement. J'ai entendu dire que le tunnel s'effondrait sur les blessés à certains endroits.

Je baisse sombrement la tête.

- Tous n'ont pas eu notre chance. Comment va Nathan ?

Son front se plisse.

- Il est dans la tente d'à côté, il a plusieurs commotions, mais aucun os de cassé, par miracle. Il a été brutalement envoyé en l'air par une bombe et a heurté si fort le sol qu'il a perdu connaissance. Un pan de mur s'est effondré sur lui, mais il s'est traîné à temps dans une armoire. Il a été piégé à l'intérieur à cause des briques jusqu'à ce qu'on le trouve, tout à l'heure.

- Shari !

Je tourne la tête. C'est Liam, le préparateur de mission, qui est planté en bas du Pavillon avec une dizaine de Lions et de Yacks qui me fixent d'un air évaluateur.

- On a besoin de toi pour sécuriser le troisième étage ! Il crie. L'escalier est détruit, et la baraque est trop branlante pour qu'on puisse grimper sur les murs. Tu penses y arriver si tu prends de l'élan pour courir à la verticale ?

C'est la première fois qu'on me pose cette question.

- Vas-y, je te tiendrai au courant. Me glisse Lyo en repartant vers la tente.

J'hésite, puis je me tourne vers le bâtiment. J'évalue du regard la hauteur du troisième étage. Je repère une fenêtre brisée par laquelle je pourrais entrer. Je me rappelle le mur d'enceinte de l'Atrium, lors de l'incendie. Ce n'est pas bien différent de cela. Néanmoins, le manoir est très fragile, et pourrait s'effondrer sur moi à tout moment.

Je me dirige vers le petit groupe.

J'ai une grosse frayeur quand la fenêtre cède sous mon poids, mais je me propulse en avant et atterris en roulant sur le sol du troisième étage. Je me relève prudemment avec difficulté, m'époussette et me penche, en faisant attention à rester sur les zones du plancher pas trop fragiles.

- Bon. Vous voulez que je fasse quoi, maintenant ?



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Hi ! De retour pour une nouvelle diablée de chapitre ! Oui oui j'invente des mots comme ça, faites pas cette tête ah là là, ils sont choqués de tous ces jeunes... surtout de ces chapitres, pouah la transition de malade matez-ça hé hé non, non, pas des roses, je suis allergiques, jetez-moi des chocolats plutôt !

La mélomanie est redescendu, tout va bien, circulez y a rien à voir (oui je pars officiellement en cacahuète sur cette fin de chapitre XD)... en même temps... noix... cacahuètes... oh oh oh ah j'arrête c'est trop c'est trop désolée ! C'a été la Noix qui a fait déborder le.... ahhhh désolé j'arrête pour de bon cette fois !

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