Chapitre 45 :

On me conduit dès l'atterrissage dans l'infirmerie, malgré mes nombreuses demandes de parler à Akan, pourtant au lieu de me mettre dans une chambre à part, je descends au sous-sol. J'aurais dû deviner que quelque chose n'allait pas. Le silence de Nathan aurait dû m'inquiéter, les coups d'œil des Chamois auraient dû m'alarmer. Je ne comprends qu'au moment où Nathan pousse la porte de la chambre d'Ash.

- Enfin ! Soupire un Chamois.

Toutes les personnes dans la chambre reculent aussitôt pour me laisser passer. Mes sourcils se froncent. Que se passe-t-il ? Des murmures s'élèvent de tous les côtés, mais ils parlent tous en Lilith. Nathan me soutient d'un bras jusqu'au lit du Lion.

Je me penche au-dessus de son lit, le cœur accélérant de peur. Il semble dormir paisiblement, mais ce que je vois, ce qui me saute à la figure, c'est que son état a beaucoup empiré. Sa peau est pâle, bien plus pâle que la dernière fois que je l'ai vu, des cernes violettes vifs allongent son visage, ses lèvres sont totalement sèches, ses paupières paraissent aussi fragiles que celles d'un vieil homme, tout son visage inspire la fatigue. Je passe une main tremblante sur ses joues cireuses. Des vibrations de plus en plus intenses résonnent dans ma tête. J'ai vu assez de morts pour le savoir.

Il est en train de mourir.

La colère s'embrase d'un coup dans mes tripes, s'enflamme dans mes veines, explose dans ma gorge. Je me tourne brusquement vers les soigneurs. Je leur crie dessus, les accuse de l'avoir laissé mourir de faim, de l'avoir privé de nourriture, d'eau ! Ils reculent et on m'attrape, on me plaque contre le mur. Je me débats. La dernière fois que je l'ai vu, il paraissait avoir retrouvé des forces ! J'ai l'impression qu'on plonge ma tête dans de l'eau bouillante. Quel est cet enfer ?

- Shari !

Je les ignore, me concentre sur Ash, la joue écrasé contre le mur. Des sédatifs ? Sans doute, sinon il se serait réveillé vu tout le boucan que j'ai fait.

- Shari ! Répète Julia.

Je tourne la tête. C'est la Chamois qui m'a suivi de retour de mission et qui m'a inspectée dans l'hélicoptère, peut-être sait-elle comment soigner Ash ! Elle continue :

- Ce n'est pas la faute des soigneurs, c'est la tienne.

Je me raidis. Je me suis trompée, elle ne sait pas comment le soigner. Elle est juste là pour trouver des excuses à son incompétence, à leur incompétence à tous ! Je la fusille du regard.

- Son état s'est dégradé à partir du moment où tu es parti, elle explique en se rapprochant de plus en plus, ses yeux vrillés dans les miens. Ça allait de pis en pis. C'est pour ça qu'on s'est décidé à intervenir si vite quand on a vu que tu restais au même endroit pendant longtemps. Ton retour était vital pour Ash.

Mes lèvres se retroussent sur mes crocs. Qu'est-ce qu'elle essaye de m'embrouiller ? Je ne vois pas le rapport avec mon sauvetage qui n'en était pas un et Ash !

- Tu ne comprends pas ? Intervient Nathan d'un air exaspéré. Tu es la raison de sa détérioration, il a besoin de toi pour guérir. Mais vraiment besoin. Le jour où tu es parti, son état à commencé à se détériorer, rien ne marchait pour empêcher son état d'empirer de jour en jour.

Non, je ne comprends rien à son charabia. Qu'est-ce qu'il me raconte ? La guérison est une question de rapidité et efficacité du système inflammatoire, pas de la présence d'une personne. Je n'ai pas cinq ans, je ne vais pas avaler ces histoires de contes de fées ! Sahan arrive brusquement dans la chambre.

- Alors, il va mieux ?

Le collègue Chamois de Julia hoche la tête en regardant un écran.

- Ses battements de cœur se stabilisent depuis qu'elle est arrivée. Il devrait bientôt reprendre une activité cardiaque saine.

Je fronce les sourcils, mais si je comprends juste, il va mieux ? Tout le monde dans la pièce semble se détendre et je m'autorise aussi à me relâcher. Ce sont des soigneurs, non ? S'ils disent qu'il ira mieux, c'est que je peux leur faire confiance. j'essaye de m'en convaincre, en tout cas. Sahan s'approche et me serre la main.

- Eh bien, tu as fait une arrivée du tonnerre !

J'ai l'impression qu'un ballon s'est dégonflé dans ma poitrine. Je ferme les yeux et me tourne vers Sahan. J'esquisse un faible sourire.

Julia se racle la gorge :

- Il a passé son temps à se plaindre qu'il avait plus personne à visiter quand t'était partit ! En attendant, sortez tous de la chambre, sauf toi. Tu as interdiction de quitter la pièce, je vais soigner ta hanche ici.

La pièce se vide et Sahan insiste pour rester, mais Julia le renvoi d'un seul regard. Sahan, d'habitude si buté, détourne la tête et ne proteste pas. Je le suis des yeux jusqu'à ce que la porte se referme derrière lui. Je fronce les sourcils. Se serait-il passé quelque chose pendant que je n'étais pas là ? Il n'a pas l'air dans son assiette...

- Shari !

Je me réveille en sursaut, puis baisse la tête en grognant et soulève une paupière lourde sans faire l'effort de relever la tête. Merde ! Je me suis endormi.

Akan entre dans mon champ de vision et je me redresse aussitôt. Julia s'écarte de son passage et il la salue d'un hochement de tête. Je me racle la gorge.

- Akan !

Julia fait un bruit désapprobateur à mon attention. Je lui jette un coup d'œil et elle me fais signe de me lever. Je pose mes pieds-à-terre, mais le Hamu m'arrête.

- Tu es blessée, je préfère que tu restes allongée. Désolée de prendre l'attention de ta patiente, s'excuse Akan en s'adressant à Julia, mais j'ai besoin de son rapport de mission quand c'est encore frais dans sa tête.

Je me doutais qu'il me ferait rapidement une visite. Je dois le mettre au courant des Àlfars de Braçalia qui ont été enlevés, il n'y a que lui qui pourra en alerter le conseil des Vo... je bondis en arrière avec un feulement sous la gifle que m'assène le Lion. Je fusille Akan du regard et me redresse avec fureur. Julia émet un cri outragé.

- Akan !

L'intéressé lève les mains d'un air innocent.

- Pardon, mais j'ai besoin d'elle totalement réveillée.

Mais il est malade, le fou ! Je ravale des mots plus durs.

- Il y a d'autres façons de réveiller !

Le Hamu hausse un sourcil.

- Si tu préfères le seau d'eau froide, je peux m'adapter.

- Ce n'est pas des manières, enfin ! Proteste Julia - une brave dame celle-là - puis elle se tourne vers moi. Reviens, tu ne dois pas t'appuyer sur ta jambe.

Elle a malheureusement raison. Méfiante, je me rapproche, mais je reste suffisamment sur mes gardes pour pouvoir réagir, cette fois. Je ne quitte pas le Hamu du regard en m'allongeant à nouveau sur le lit.

- Reste immobile, lance Julia en appliquant une compresse imbibée d'un liquide piquant sur la blessure. C'était plus facile quand tu étais sur le point de t'endormir... fait que ça soit rapide, Akan !

Je jette un regard noir au Lion qui soulève d'un geste son manteau pour s'asseoir. Qu'elle compte sur moi ! J'ouvre la bouche, mais il ne me laisse pas le temps d'en placer une qu'il me pose des questions sans répit. Mes réponses deviennent moins compréhensibles à partir du moment où Julia m'applique un onguent brûlant sur la hanche et il s'arrête une seconde. Je profite du trou dans son questionnaire pour jeter :

- Les services secrets Russes détiennent des Alfars, Akan ! Ils viennent de Braçalia comme moi et n'ont jamais été élevés parmi vous, mais ils étaient surveillés par les services secrets russes depuis longtemps. Ils ont été évacués par l'armée américaine avec les autres rescapés, et les SSR en ont profité pour les cueillir dans un des abris de réfugiés.

Le Hamu Lion se redresse brusquement et sa voix éclate comme un orage dans le ciel :

- Il y avait d'autres Alfars à Braçalia ? Et vous nous l'avez jamais dit ? (Ses lèvres se serrent et il se retourne brusquement.) Bon sang ! Mais vous n'avez rien compris à tout ce que nous endurons pour nous protéger des hommes ? La douleur que nous subissons au quotidien ?

Je détourne les yeux.

- Nous ne voulions pas les mettre en danger en les intégrant aux Clans...

Le Hamu Lion fait volte-face et ses yeux ambrés abattent la foudre sur moi.

- Et maintenant, voilà où ils sont ! Mais qu'avez-vous dans la tête ? Êtes-vous aussi stupides que ça ? Des Alfars seuls dans la nature sont une proie facile pour les services secrets ! Vous les avez destinés à leur fin en leur enlevant la protection qu'ils auraient eue dans leurs Clans ! Combien sont-ils ? Quels sont leurs Clans ?

Je m'exécute sur la seconde. Une fois l'interrogatoire terminé, il quitte la chambre en rafale et je bascule la tête en arrière, vidée. Il a raison. J'aurais dû leur dire. J'aurais dû le signaler... je ferme les yeux. Et si c'était déjà trop tard ? Et s'ils les avaient torturés, comme Ash ? Leur corps auront-ils résisté ?

Je mords les draps jusqu'à ce que la panique parte, mais elle ne s'en va pas complètement, elle recule juste pour mieux revenir plus tard. Je ferme les yeux et presse mon visage dans mon front. Je me force à éloigner toute nuisance, tout sentiment, pour me concentrer sur les faits. Si les SSR les surveillent depuis longtemps, alors ils savent qu'ils n'ont aucun lien avec les Clans. S'ils n'ont pas d'informations à leur donner, alors ils ne les interrogeront pas... pas comme Ash, en tout cas. Mais alors, que prévoient-ils de faire avec eux ? Mener des tests ? Des expériences ?

Sahan entre dans la chambre et je me demande soudain s'il est au courant de l'alliance secrète des Lions avec les Gibbons. J'écarte aussitôt l'hypothèse en se rappelant sa rage contre les services secrets, au Printemps. De plus, c'est un Coyote, Akan a dû le garder hors de tout soupçon au cas où il commencerait à répandre la rumeur hors de sa Lignée. Il s'assied sur mon lit et ses yeux noisette sont traversés par un éclat railleur.

- Toujours dans un lit, toi... tu fais que glander, ma parole !

Il est en tenue d'entraînement, il devait être en train de superviser la formation des enfants avant de venir. Je ferme les yeux et prends une inspiration.

- Et toi, tu fais que parler. Akan ne t'a toujours pas envoyé en mission, malgré le manque d'Agents ? Honnêtement, je pensais qu'il aurait demandé l'autorisation à ton Hamu depuis le temps.

Il grince des dents et j'aperçois la frustration briller dans ses pupilles.

- Tu oublies toujours que je ne suis pas encore Agent. Je ne suis pas autorisé à recevoir de missions, officiellement. Alors qu'ils manquent d'effectifs... je veux dire, ils ont besoin de tout le monde ! Ils t'ont même envoyés, toi, alors que tu n'as pas plus d'un mois d'entraînement ! Ça me rend fou, il grogne.

Ils ne pensent pas comme ça. Il n'est pas difficile de deviner qu'ils ne veulent pas perdre encore plus d'Àlfars. Et Akan n'a pas accepté de m'envoyer là-bas, c'était une manœuvre politique pure. J'ai un goût aigre dans la bouche. Je n'apprécie pas beaucoup d'être utilisée comme argument commercial. Il enlève son tee-shirt et ébouriffe ses cheveux, puis se laisse tomber en arrière sur le lit.

- Ah ! Et ces travaux qui n'en finissent pas... il soupire.

Je fronce les sourcils.

- Les travaux ? Tu n'étais pas avec les enfants ?

Il relève une paupière et se redresse assis.

- Quoi ? Non, il a beaucoup plus ces derniers jours, ça a fragilisé le sol, alors tous ceux qui restent sont en train de renforcer les tunnels d'évacuations qui mènent au bunker pour qu'ils ne s'effondrent pas. Kaïcha y est aussi, elle ne t'en a pas parlé ?

- Kaïcha n'est pas venu me voir.

Sahan soupire.

- Je vois. Je crois qu'elle veut nous prouver qu'elle mérite sa place ici, elle n'a peut-être pas prise de pause pour venir te voir, elle travaille avec nous depuis ce matin. Elle viendra sans doute ce soir.

La connaissant, c'est probablement ça. Elle est sans doute la première à avoir commencée et la dernière qui finira. D'habitude, c'est moi ou Laaja qui la tempérons. Maintenant que je suis plaquée au lit et que Laaja n'est plus avec nous... une douleur me traverse le ventre. J'avale ma salive. À quoi ça sert d'y penser ? J'ouvre la bouche et tourne la tête vers Sahan.

- Tu pourras rappeler à Kaïcha qu...

Mon souffle se bloque dans ma gorge. Ses pupilles m'électrocutent. Ses iris sont-ils aussi clairs uniquement de près ? Ses lèvres effleurent les miennes comme du velours. Sa main passe dans mon cou.

Le liquide dans mes veines se glace soudain. Je le repousse violemment. On se fixe sans bouger, la respiration courte, figés comme des animaux pris dans les phares d'une voiture. Qu... pourquoi il... une machine émet des bip de plus en plus fort, puis une autre et toute la pièce se met soudain à s'emballer. La porte s'ouvre en claquant contre le mur et des Chamois se précipitent sur le lit d'Ash.

Je tourne brusquement la tête.

Et tombe sur son regard ambré.



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Fin ! Merci pour ce dernier tome de la trilog... non je rigole mdr. 

Allez, combien d'évanouis ? Je table sur au moins six ! (Et je sais exactement qui ;) hé hé). Bon, sérieusement, je crois que Sahan commence à péter une durite ^^', puis c'est pas comme s'il avait attendu de sortir de la chambre d'Ash...

Tient, en parlant de lui, le Lion n'est toujours pas au courant du pétrin dans lequel est fourré sa famille, ni même qu'elle a un jumeau - au métier particulier, avouons-le. Je sais pas où tout ça va finir, mais ça me scie la tête à l'avance ! ;)


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