Chapitre 43 :
M. Jamal se rapproche de nous.
- Nathanael. Tout ce que je t'ai expliqué, c'est réel. Et ta famille, ton sang, c'est réel aussi, tu en as la preuve devant toi. Si tu décides de ne pas coopérer, je te promets de disparaitre à jamais de ta vie, ainsi que Shari et nous tous. En revanche si tu dis oui, nous serons pour toujours une part importante de ta vie.
Les yeux de Neal se plissent et ses iris luisent d'une lueur obscure. J'aperçois un éclat métallique dans son dos avant qu'il s'adosse au mur en croisant les bras.
- Tu ne me l'as pas dit. Tu ne lui as pas dit non plus. Et pourtant, tu savais. Quels autres choses caches-tu ?
Dire oui ou non à quoi ? Je me recule et dévisage le Pupille. Je suis en train de louper quelque chose. Et je n'aime pas du tout ça. J'ai l'impression d'être l'enfant dans une conversation d'adulte. Adepte à se faire manipuler. Et j'ai besoin de tout sauf de me faire manipuler, là tout de suite.
- C'est quoi cette entourloupe ? Je gronde en coulant mon regard sur le directeur.
Le Guépard se penche en avant et une aura menaçante se dégage brusquement de lui.
- Alors comme ça, elle n'est pas au courant de « l'entourloupe » ? Demande-t-il d'une voix froide.
Et à ce moment, je ne doute pas qu'il est un agent des services secrets. Eenas se tourne vers moi.
- Ashir t'as déjà contacté, à ce que je sais. Si tu es ici, c'est que tu as répondu à sa cause. (Je fronce les sourcils. Comment ça ? C'est Akan qui m'a envoyé ici.) Tu es donc au courant de ce qu'il planifie. Il m'a contacté et m'a proposé de travailler pour lui. J'ai accepté et je bouge d'un endroit à l'autre pour servir d'intermédiaire entre le Hamu et ses destinataires. Je suis ici pour parler en son nom à un représentant de la C.I.A, notre très cher Nathanael.
Je ressens un choc. La stratégie d'Ashir se met vite en place, beaucoup plus vite que ce que je pensais ! Il a déjà établi le contact avec différents services secrets, mais il doit vouloir concentrer ses efforts sur la CIA, car il sait que si elle s'allie à nous, les autres suivront bien plus facilement... je ne sais pas comment Ashir a fait pour détecter M. Jamal dès qu'il a été rapatrié, mais Liban m'avait prévenu que les Alfars avaient un réseau d'informateurs très efficaces. Le Hamu Gibbon a dû voir tout de suite l'opportunité d'un élément humain pour mener ses négociations avec les services secrets. En revanche, je ne comprends pas pourquoi moi, je suis ici...
- Je n'ai pas répondu à sa cause, j'articule lentement. J'ai fait un arrangement avec Akan... alors pourquoi tu me parles d'Ashir ?
M. Jamal hausse un sourcil.
- Shari, je t'ai formé à penser plus intelligemment. Crois-tu vraiment qu'il aurait risqué envoyer la dernière Guéparde en mission, qui plus est seule ? Tu es la chasse-gardée des Cerfs, le trésor des Clans tout entiers, ils risquent la guerre avec les autres Hamus si tu ne revenais pas vivante. Et c'est la dernière chose dont Akan a besoin...
Je fronce les sourcils. Alors... les Lions ont-ils passés un accord avec les Gibbons ? Serait-ce possible qu'Ashir se soit mis d'accord avec Akan pour m'envoyer ici, depuis le début ? Pour jouer sur l'attirance du sang ? La promesse d'une famille ?
Je ne comprends la situation que trop bien, maintenant. Des vagues de sentiments puissants s'écrasent avec fracas contre ma poitrine et j'insulte mentalement Akan d'avoir abusé de cette situation sur mon jumeau. Je baisse la tête en me forçant à repousser les vagues et les verrouiller profondément dans ma tête.
- Pour qu'il coopère... je finis dans un souffle en levant mon regard sur Neal, qui m'observe en silence.
Celui qui se tient devant moi est parfaitement au courant de l'utilisation qu'ils font de moi sur lui, mais ne fait rien pour le changer. Cela m'ouvre une fente dans le ventre. Personne ne m'a jamais montré autant d'attention, autant d'affection, ne m'a aimé aussi ouvertement. Je ressens si fort ce sentiment que je ne sais même plus si c'est le mien ou le sien. M. Jamal abaisse les paupières sur moi.
- Je vois que tu as compris quelle est la raison pourquoi tu es là aujourd'hui.
Le regard de Neal s'arrache de moi et s'insinue avec une inflexibilité d'acier dans celui de la Pupille, se durcissant comme le fer en refroidissant.
- Les risques sont bien supérieurs aux bénéfices, Julien. Je risque tout, mon statut, mon poste, ma carrière, ma survie. Contre quoi ? Une bonne action. Je peux très bien sauver Shari seule sans avoir à m'occuper d'un peuple entier.
- Ton espèce, je rétorque. La nôtre. Vas-tu vraiment ne rien faire alors que tu pourrais sauver des milliers d'Alfars ? Des milliers de personnes comme toi ? Persécutés juste parce qu'elles sont différentes ? Réfléchis à ta vie si tu n'avais pas été enlevé par la CIA. Tu aurais grandi avec le Clan des Guépards, tu aurais été attaqué, tu aurais vu tes proches mourir dans les missions et les kidnapping des services secrets. Et tu aurais fini par mourir, toi aussi, sous les bombes qui ont tués tous les Guépards.
Les deux hommes se tournent vers moi, l'air surpris que je prennent le côté des Clans alors qu'ils m'ont trompés sur la raison de ma mission et m'ont manipulés - encore une fois. Je les fixe sans bouger. Mais pour quelques minutes, je ferme la gueule de mes sentiments et me concentre sur ma survie, notre survie. M. Jamal a raison. Neal est celui qui peut tout faire changer. Ce dernier me fixe longuement, puis demande sans tourner les yeux :
- Combien de Clans vous ont rejoins ?
Mr. Jamal cille et se ressaisit aussitôt.
- Cinq. Les Lions, les Yacks, les Lynx, les Chamois et les Antilopes. Les Antilopes sont un de nos Clans les plus importants. Ils assurent la sécurité informatique et les échanges et transferts d'informations criblés entre nous. Les avoir à nos côtés est un gros atout. Les Yacks aussi, ils assurent le pilotage de tous nos véhicules aériens de missions et de guerre.
Les paupières du Guépard s'abaissent et se soulèvent en faisant coulisser ses yeux sur M. Jamal. Je vois déjà son cerveau de commandant se mettre en marche, calculer, anticiper, programmer.
- Combien de personnes cela représentent-il ?
Les lèvres du directeur se pressent, puis s'ouvrent après une courte hésitation à peine notable :
- Dix milles, peut-être douze milles. Mais ils sont de plus en plus nombreux à nous rejoindre. Les Éléphants vont sans doute bientôt annoncer qu'ils se rangent de notre côté, de même que le Hamu Mangouste et la Hamu Renard. Certains sont encore prudents, mais depuis les nombreuses interventions d'Ashir sur la scène publique et la confirmation de l'existence d'une ville où les Kangourous ne se sont jamais cachés des hommes, les choses s'accélèrent.
- Il faut bien une guéparde pour cela, ironise mon jumeau.
Il reprends son sérieux et lance :
- Tu me donnes des approximations, mais j'ai besoin de chiffres, de faits, de listes. Une fois que je les aurais, je te dirais ma décision finale.
Le directeur plisse légèrement les yeux.
- Que veux-tu savoir ?
- Je t'enverrai un dossier détaillé. Attends-nous dans le couloir, il le congédie. J'aimerais parler à ma sœur individuellement.
Eenas fronce les sourcils en laissant échapper un rire dérisoire.
- Et comment comptes-tu me le donner ? Tu n'as aucun moyen de me contacter.
Le Guépard tourne lentement ses yeux vers le directeur, comme un serpent qui commence à perdre patience et agiter sa queue.
- Je te trouverai partout où tu pourrais être sur cette planète.
Eenas le fixe en silence quelques secondes, puis il rompt le contact et hoche la tête. Il me fais un regard appuyé et nous passe devant.
- Très bien, dans ce cas je n'ai pas à m'en faire... dis juste à tes soldats de rester... tranquille.
Il ferme la porte derrière lui et je me retrouve seule avec mon jumeau. Il décroche sa radio et parle en message qui me paraît crypté. Douze voix s'élèvent à leur tour de la radio et il raccroche.
Il se tourne vers moi et je plisse les yeux sous l'éclat de la lumière qui se découpe derrière son profil. Son visage est fermé, ses yeux mi-clos, dangereux.
- Qu'est ce qu'il t'as fait ?
Je fais semblant de pas comprendre.
- Qui ?
Il se passe une main sur le front.
- Comment tu as pu survivre en mentant aussi mal ?
Je grogne et lève les yeux au ciel. J'avais l'impression de m'être amélioré, pourtant ! Je ferme les yeux et lui raconte tout, de A à Z, la relation qu'a M. Jamal avec moi et les nombreuses choses qu'il m'a caché.
- Il n'a aucun lien de parenté envers toi et pourtant, il a passé sa vie à te protéger comme sa propre fille, il résume. Il a menti, mais toujours dans le but de te protéger. Il a fait l'erreur de prendre en charge ceux dont tu me parlait alors qu'il e pouvait pas être à deux endroits en même temps, mais cela veut dire qu'il a bon cœur. Il a mal géré et il n'a aucune excuse envers eux, mais toi, toi il a toujours fait le plus pour toi. Je ne suis pas du genre à pardonner, mais c'est évident que cet homme a dédié sa vie à te protéger. (Ses yeux se relèvement aec aplomb sur moi) J'aurais tué pour avoir la même chose, petit.
Je relève les yeux sur lui avec agacement.
- Tu parles beaucoup sans savoir grand-chose. Tu ne nous connaît que depuis quelques minutes. Que peux-tu en savoir vraiment, hein ?
Il esquisse un sourire acéré, en s'appuyant de ses coudes sur la table.
- La jumelle mord ? Hé hé, ça doit être de famille. Je parle peut-être beaucoup, mais j'observe tout autant. Rien qu'à la façon dont il te regarde, on a l'impression qu'il se sent coupable de tout tes malheurs. Difficile à rater, il ricane.
Je ronchonne.
- Bon, redescend dans ton rôle de petit frère maintenant, je grogne.
- Jumeau, il corrige avec un air de perfectionniste. Avec qui restais-tu, à Braçalia, d'ailleurs ? Je ne peux pas penser qu'une fille aussi intelligente, sympathique et drôle ait été laissé de côté.
- Des gens, je réponds vaguement. En quoi ça t'intéresse ? Je renifle.
- Oui, je t'imagines mal en Blanche-neige... qui ? Ne me dis pas que tu as fait ton associable ? Tu as intérêt à être à la hauteur de ma sociabilité, et j'ai de hautes attentes !
- J'avais ma propre... famille, là-bas. Je ne suis pas associable ! Je me défends.
Il hausse un sourcil.
- Tes mensonges sont toujours aussi faciles à détecter, je te signale.
- Oh, va te faire f...
- Tu-tut-tut, il me coupe. Pas le mot en « f ». (Ses yeux plongent profondément dans les miens) Et je voudrais les rencontrer.
Ma tête se recule d'un coup.
- Quoi ? Non.
Il plisse ses yeux d'or et me dévisage. Un éclair de stupéfaction passe soudain dans son regard et je sens qu'il a compris. Ses lèvres se pressent entre elles et j'ai l'impression insensée qu'il partage ma douleur.
- Cette douleur... pourquoi as-tu fait ça ? Il s'exclame.
Je me retourne, irritée. Je prends une profonde inspiration et essaye de remettre de l'ordre dans mes idées. Jusque là, j'étais toute seule dans ma tête ! Je sens que maintenant, ma tranquillité va être compromise...
- Ce sont des humains, je suis une Àlfar. Je sais que ce sont ton foyer, mais les services secrets sont des chiens de guerre. Une fois qu'ils ont une piste, ils ne s'arrêtent pas et j'ai l'odeur qu'ils pistent sur moi. Je ne peux pas risquer de laisser ma trace sur eux !
Il éclate d'un rire amer.
- La CIA n'est pas mon foyer. Je veux dire, il n'y a pas de liens d'affection entre nous, on fait ce qu'on a à faire et on se parle le moins possible - pour ne pas prendre de décisions irrationnelles ou que cela affecte notre travail. Nous sommes encouragés à n'avoir aucun lien. Notre temps de fréquentation pour chaque personne est chronométré.
Je hausse les sourcils en me penchant en avant, stupéfaite. Chronométré ? Mais pour qui les prennent-ils ? Des robots ? Des putains de chiens en cage ?
- Même pas un ami ? Quelqu'un à qui tu parles de temps en temps ? Tu vis là-bas depuis tout petit... tu n'as vraiment aucun lien avec personne ?
Son regard se lève sur moi et se détourne aussitôt. Il pense à Pie. Il secoue la tête et baisse les yeux, un léger sourire aux lèvres. Que du théâtre. Il brûle et saigne à l'intérieur de lui, mais il pense le masquer comme si j'étais n'importe lequel de ses soldats.
- Quand je te dis qu'il y a aucune relation d'affection, c'est qu'il y en a aucune. Je n'ai aucun sentiment à l'égard de la CIA non plus. Aucun des souvenirs dans ses murs sont des bons (sa voix se baisse sur la fin et je perçois un changement imperceptible à l'oreille humaine. On dirait qu'il n'est pas un si bon menteur après tout, lui non plus. Il souffle avec sarcasme.) Je ne suis rien d'autre qu'une marchandise, un produit très utile, mais je reste un produit. Même entre nous, les gosses de leur programme Alpha, on se parlait pas beaucoup. Il faut dire que ce que nous apprenions n'était pas vraiment propice à la conversation. On était tous conscient d'être des pions, mais on avait un toit, à manger et à boire, alors on ne se posait pas plus de questions. Moi y compris... (il soupire) jusqu'à ce que je comprenne que je pouvais avoir bien plus.
- Une moralisatrice ? J'ironise.
Il plante son regard dans le mien.
- Une famille, il dit doucement, comme s'il goûtait vraiment le mot pour la première fois.
Un frisson dresse mes poils sur ma peau. Comme il le dit, cela le rend plus réel. On pourrait être ensemble le restant de notre vie. On pourrait rattraper le temps perdu... on pourrait... je bloque les pensées qui s'enchaînent à une vitesse affolante. L'espoir est dangereux. Je ne m'y prendrais pas au piège.
Je me racle la gorge, mais une bulle de bonheur n'arrête pas de gonfler dans ma poitrine. Décidément, je passe de famille en famille. D'abord les Guépards, puis l'Atrium, et enfin les Àlfars et maintenant, un jumeau... c'est Noël en avance !
Je hausse un sourcil. Un doute persiste au fond de mon estomac et vient alourdir mon bonheur. Est-il vraiment prêt à tout quitter pour moi et les Àlfars ? Mon cœur chante que oui, mais le réalisme hurle plus fort que lui.
- Donc, tu comptes venir au Pavillon ?
Il secoue la tête.
- Si je décide que cela pourrait réussir, alors non, je resterai dans la CIA, car c'est là que je serais le plus puissant. Je n'ai aucune chance de parler aux donneurs d'ordres en me collant un bandeau de fugitif sur le front.
D'accord, donc il ne se mouille pas... je relève le menton.
- Ton... équipe de soldats sera d'accord ?
- Mon « équipe de soldat » n'a pas son mot à dire.
L'autorité dans sa voix me fait brusquement comprendre ce qu'il entendait par "aucun lien". Ils sont uniquement liés par les ficelles de la hiérarchie et c'est leur supérieur. Bon pour nous. Ils ne réfléchiront pas avant d'exécuter ses ordres.
Cependant le véritable problème n'est pas eux, mais les commandants de la CIA, ceux qu'il va falloir mettre dans la poche auquel cas l'existence des Alfars ne durera plus très longtemps. Le risque est énorme, et ça va se jouer a pile ou face.
Pile : ils acceptent.
Face : ils nous massacrent.
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