Chapitre 39 :
- Tu appelles ça discret ? Je m'exclame quand j'aperçois le gros quatre-quatre noir rutilant vers lequel Lyo m'emmène.
Le Lion hausse un sourcil.
- C'est le bruit qui compte, de toutes façon ils ne te verront pas arriver à deux kilomètres de loin... ah, tu as encore tant à apprendre.
Je le tape dans l'épaule.
- Oh, arrête de faire ton vieux singe.
Il ricane.
- Aucun risque que je devienne comme ces fous de Singes.
Je lève les yeux au ciel. Quand les Clans sont lancés sur leurs rivalités, ça n'en finit pas...
- Et allez, ça commence... contente-toi de conduire droit, ça me suffira largement.
J'ouvre la portière et me glisse à la place passagère. Il ferme la portière et tourne la clé de contact.
- Ce n'est que ta première mission solo et tu prends déjà la grosse tête... je vais devoir te faire redescendre un peu.
Nous quittons le Pavillon sur une petite route de côté. Je jette un regard en arrière et aperçois les enfants qui s'entraînaient tout à l'heure regroupés autour de mannequin, du fil et des aiguilles à la main. Mais pas pour faire un joli motif... quelque chose qui m'avait perturbé alors me revient à l'esprit. Je me tourne vers le fils du Hamu. Quand Ash a soulevé le livre dans sa chambre, il est tombé de fatigue, mais tout à l'heure Lyo a retenu l'un de ces enfants de tomber grâce à sa chape, sans même s'arrêter de marcher.
- Comment tu as fait pour empêcher le garçon de tomber, tout à l'heure ? Je demande.
Il fronce les sourcils, puis son regard s'éclaircit.
- Ah. (il hausse les sourcils et prend un virage.) J'ai glissé ma chape sous son dos pour le remettre debout. Ce que j'ai fait n'a rien d'extraordinaire, tu sais, cela arrive tout le temps chez nous.
J'observe un silence méditatif.
- Je croyais que soulever une masse demandait beaucoup d'effort ?
Il ouvre la bouche, s'arrête, puis sa tête se tourne vers moi.
- Qui t'a dit ça ?
- Ash.
Il soupire et son regard se fixe à nouveau sur la route.
- Ash est un cas particulier. Personne ne lui a jamais montré comment utiliser son énergie, son niveau actuel est celui d'un enfant qui débute tout juste, bien que je dois reconnaître qu'il est arrivé à comprendre et manipuler cette énergie tout seul, ce qu'aucun d'entre nous n'a jamais eu à faire. S'il t'a dit ça avant de nous rencontrer, c'est normal. Je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais depuis qu'il suit notre entraînement, même plaqué au lit, il progresse vite. Sa capacité brute est l'une des plus puissantes que je connaisse, ce qui n'est pas si surprenant puisque Aïna et Baïgan sont ses parents.
- C'est quoi une capacité brute ? Je demande, en ayant l'impression de passer pour une imbécile.
Le Lion soupire, mais ne fait aucune remarque.
- Chaque Lion naît avec une quantité déterminée d'énergie, c'est sa capacité brute, m'explique Lyo en me jetant un coup d'œil. On peut améliorer sa maîtrise de la chape au fil des ans, mais on ne peut pas augmenter sa capacité, elle est génétique. Akan est actuellement le Lion avec la plus puissante capacité brute, c'est pour cela qu'il est Hamu.
- Donc, je dis, si c'est génétique, alors tu est censé être... le futur Hamu ?
Il secoue la tête.
- J'ai beau être l'aîné, Nathan a une capacité brute plus puissante que la mienne et elle reste moins forte que celle de notre père. Et Lana n'a pas finit son entraînement, ainsi personne ne peut dire si elle a une plus grande capacité que celle de Nathan, ou même d'Akan.
Je hoche lentement la tête. Lana, la plus jeune de sa fratrie, est aussi à prendre en compte. J'ai entendu dire qu'elle aimait plus bricoler avec les yacks que travailler avec sa chape, néanmoins. Moi-même, je ne l'ai jamais vu dans le Pavillon Lion. S'il s'avère qu'elle est la plus puissante, pourrait-elle refuser le poste si elle ne le veut pas ? Vu comme l'a dit Lyo, on dirait plutôt que c'est le rôle qui va automatiquement avec le statut...
- Comment cela se fait que vous ne la connaissez pas ? Si c'est génétique, cela veut dire qu'on peut la connaître dès la naissance, non ?
Il sourit.
- Si on avait un outil capable de le mesurer, ce serait facile. Mais c'est beaucoup trop complexe et interne pour que cela existe, on ne peut définir cette capacité brute qu'une fois tous les niveaux pour manipuler la chape atteinte, afin de pouvoir la comparer avec tous les Lions ayant existé et se situer sur l'échelle de Shoon - le premier Lion sur Terre. C'est comme cela qu'on définit lequel d'entre nous est le plus puissant parmi tous ceux vivant. C'est pour cela que l'arrivée d'Ash rebat les cartes.
Je fronce les sourcils.
- Comment ça ? Tu penses qu'Ash pourrait vous surpasser ?
- Bien sûr. Son père est le frère du nôtre, ils ont le même fort potentiel génétique et Aïna vient d'une longue génération d'excellents utilisateurs. Les deux ensemble peuvent donc potentiellement dépasser le potentiel génétique de notre famille.
Je plisse les yeux.
- Se peut-il que le temps qu'il rattrape l'entraînement manqué et atteigne tous les niveaux, Nathan ou Lana pourraient potentiellement devenir Hamu alors qu'Ash a le plus puissant potentiel ?
- Techniquement oui. Si mon père... meurt, il devra être replacé aussitôt.
Cette phrase plonge la voiture dans un silence profond. Alors Nathan n'aura pas le choix. Il devra prendre le statut d'Hamu à la place de son père. Cette pensée me semble irréaliste. Nathan, Hamu ? Tout le temps en train de plaisanter, de lancer des piques ? Pourtant, c'est le deuxième Lion le plus puissant de leur Clan. Et après vient Lyo... voilà pourquoi ils sont obligés de rester au Pavillon au lieu de partir en mission. Ce n'est pas parce qu'ils sont de bons cuisiniers, c'est parce qu'ils sont trop précieux pour être envoyés en première ligne. Ils ont besoin d'être vivants pour remplacer le Hamu à n'importe quel moment, au cas où il est tué.
Mes yeux coulent sur le rétroviseur, où les yeux ambrés de Lyos sont mi-clos, immobiles, rivés sur la route. Il le sait, ils le savent tous les deux. Dès le moment où ils sont nés, on le leur a fait comprendre cela. Je soupire en détournant la tête. C'est dur d'être mis à l'écart, alors que tout le monde est envoyé au casse-pipe, pour qu'ils soient protégés. Je n'aurai pas le sang-froid pour rester aussi calme qu'eux devant mon inaction.
Au bout de plusieurs heures, la voiture s'arrête sur le bas-côté d'une route de campagne dans un crissement de pneus. Je me frotte les bras pour me vivifier et sors de la voiture. Lyo se penche vers ma portière.
- Bonne chance. Ne prends pas de décisions irrationnelles, fie-toi toujours à tes probabilités de réussite plutôt qu'au but final.
Je hoche la tête et il me fait signe de regarder de l'autre côté.
Je me retourne et plisse les yeux. Un cheval alezan est attaché par une simple bride à l'ombre d'un arbre solitaire.
- C'est Aesol. Tu sais monter sans selles ?
Je plisse les yeux.
- Monter sans quoi ?
Il sourit.
- J'imagine que c'est un oui. Très bien, je compte sur toi pour te revoir !
Il se redresse et fait demi-tour en soulevant un nuage de poussière.
Je hausse un sourcil, mais secoue la tête et m'approche de la jumelle. Je la mets en confiance quelques minutes, puis m'accroche à sa crinière et glisse sur son dos. Elle avait l'air rapide, mais je ne la fit pas courir au galop de peur de créer un nuage de poussière qui se verrait au loin, malgré les collines.
Lorsqu'elle s'arrêta devant un buisson rachitique, j'en conclus qu'il était temps de finir à pied. J'avais déjà entendu parler de la mémorisation de chemins des chevaux Zèbres, mais je ne m'attendais pas à quelque chose d'aussi millimétré.
Je mets pied à terre et commence mon trajet. Aux premières lueurs du soir, je pénètre dans une zone commerciale désaffectée de plus en plus dense. J'essuie la sueur sur mon front et change mon sac de côté pour soulager mon épaule. Il fait une chaleur de savane en plein été. Les bâtiments deviennent plus nombreux et massifs à mesure que je zigzague entre les usines et les entrepôts tombés en épave.
Je ne croise personne d'autres que quelques chiens errants qui se contentent de me regarder passer sans intérêt, n'étant ni assez grosse pour être un prédateur ni assez petite pour être une proie.
Alors que je tourne au coin d'un entrepôt à moitié détruit, je perçois des bruits qui détonnent parmi les petits bruits aux alentours. Je me plonge dans l'ombre des bâtiments et longe les murs. J'entends des voix, puis aperçois deux hommes en habits verts-gris avec un large chapeau et une arme à feu à la ceinture, qui disparaissent au coin d'une ruelle.
Je me penche en avant, mais ils parlent une langue inconnue. Je me coule le long des parois du bâtiment et m'accroupis derrière le reste d'un bidon vide.Je ne croise personne d'autres que quelques chiens errants qui se contentent de me regarder passer sans intérêt, n'étant ni assez grosse pour être un prédateur ni assez petite pour être une proie.
J'hésite un instant à me rapprocher, mais avec mon sac de survie, je suis trop imposante pour une filature. Je reviendrai cette nuit, quand l'obscurité sera en ma faveur.
En attendant, je prends la direction opposée. Je finis par trouver un garage de deux étages en assez bon état par rapport aux autres. L'étage semble solide et le toit est presque intact, un miracle. La hauteur me permettra de surplomber la zone du regard tout en me protégeant des prédateurs et des hommes.
J'étudie la structure. Des poutrelles en acier s'entrecroisent sous chaque étage pour soutenir le plafond. Je n'ai pas de cordes suffisamment longues, mais mes semelles sont légèrement adhésives. J'évalue la hauteur du regard. Six mètres. Suffisamment pour me briser le cou si je tombe, mais j'exécutais ce genre de parcours à l'Atrium.
J'essuie mes mains sur mon pantalon et étire mes muscles. Je m'approche de la première poutre. Il y a des clous plantés dessus, mais ils sont trop petits pour servir de prises. J'enroule mes bras et mes jambes autour de la poutre et commence l'ascension. Je progresse rapidement jusqu'en haut afin d'économiser mes forces pour ce qui va suivre. Je défais mes jambes de la poutre jusqu'à ce qu'elles pendent dans le vide. Je respire profondément, me lance en avant et agrippe la poutre suivante. J'enchaîne les poutres pour ne pas avoir le temps de transpirer des mains. Mes muscles me tirent quand j'arrive enfin au trou dans le plafond et je me tracte au-dessus. Mes bras tremblent. Je me hisse d'un mouvement sec et roule sur le sol, loin des planches fragilisées autour du trou.
Je me relève à moitié, teste la solidité du plancher et enlève mon sac à dos. Je trouve quand même une caisse assez solide pour servir de chaise et - Dieu merci ! - une corde roulée qui n'a pas l'air en si mauvais état que cela. J'installe cette dernière au toit de l'entrepôt à l'aide d'un système de poulies et de nœuds coulissants qu'un Singe habitant chez les Cerfs m'avait montré, pour pouvoir monter et descendre de l'entrepôt sans avoir à passer par les poutres. Après quoi, mon estomac se rappelant que mon dernier repas date de ce matin, je mange une barre de céréale. Je m'allonge dans le sac de couchage et glisse mon manteau sous ma tête pour essayer de grappiller quelques heures de sommeil en prévision de ces prochaines nuits.
La nuit tombée, j'attache mes jumelles à ma ceinture, y accroche les Namakis, mes dagues et ma gourde, m'équipe de mes lunettes de sécurité et descend le long de la corde en enfilant des mitaines en cuir pour ne pas laisser d'empreintes digitale si elle est récupérée par des mauvaises mains plus tard.
Je reviens à l'endroit où j'ai vu les deux hommes, et je cherche les traces de leurs chaussures, mais la lune couverte par les nuages me complique la tâche. Mes yeux repèrent de la terre légèrement retournée à quelques pas de moi et j'imagine le trajet qu'à pris l'homme et en avançant ainsi par à-coups, je trouve d'autres traces de chaussures plusieurs mètres plus loin de même taille.
Les traces disparaissent complètement sur la route bétonnée et j'essaye de les retrouver à l'odorat, mais l'odeur lourde et puissante du béton recouvre tout.
Je tourne la tête. Un liquide coule. Je bifurque dans sa direction pour profiter de la source d'eau, car le niveau de ma gourde baisse rapidement avec la chaleur. Je traverse plusieurs ruelles et tourne à un coin. Je me recule brusquement et me plaque contre le mur.
L'homme - je présume, pour pisser contre un mur - ferme sa braguette et disparaît dans l'ombre. Il doit être entraîné, car le bruit de ses pas est plus discret qu'un humain normal. Pour autant, sa respiration est aussi lourde que celle de ses congénères et je le suis à l'oreille dans une ruelle adjacente. Il tourne ensuite derrière un bâtiment.
Silencieusement, je le file pendant une bonne vingtaine de minutes jusqu'à un ancien immeuble de plusieurs étages avec toutes les lumières éteintes. Je plisse les yeux. Je parierai ma main à couper que c'est leur repaire. Il n'existe que peu d'immeubles dans cette zone et leur hauteur et solidité en font des abris parfaits pour mener ses affaires sans être repérés. Si j'avais été l'un d'eux, c'ce serait là où je me serais installée.
Je m'avance à couvert des bâtiments et découvre un camion caché sous un entrepôt juste en face. Un mouvement derrière les fenêtres brisées attire brusquement mon attention. Je m'immobilise pendant de longues minutes et aperçois d'autres mouvements à l'intérieur. Cet endroit grouille de soldats. D'ailleurs, je l'aperçois entrer par une porte dérobée où deux soldates avec des armes à feu en bandoulière le laissent passer. Je fronce les sourcils.
J'essaye d'estimer leur nombre, mais si à vue de nez, il y a au moins une vingtaine de personnes là-dedans, à vue d'oreille, ils sont trop loin et si je m'approche, je me découvre.
Je fais le tour du bâtiment et prends des photos de l'immeuble, des camionnettes et des gardes sous plusieurs angles. J'étudie l'immeuble sous toutes ses faces en me déplaçant de rues en rues, mais il semble difficile à approcher. Il n'est pas très gros, mais assez haut, sans doute l'un des points culminants de la zone. Le dernier étage est à moitié détruit et n'a pas de toit, mais le reste semble bien conservé.
Les entrées sont réduites à celle principale et celle qu'il a emprunté, sans doute menant à l'ancien local poubelle. Il faudrait que j'en apprenne plus sur la camionnette, mais un garde la surveille et je n'ai pas encore trouvé de moyen de me jouer de lui.
En plus, l'espace dégagé autour de l'immeuble empêche toute personne de s'approcher sans qu'elle ne soit repérée. J'ai l'impression que l'intérieur du camion m'aiderait à y voir plus clair, sauf que foncer la tête baissée est certes ce que j'ai l'habitude de faire, mais c'est une très mauvaise idée-là tout de suite.
Le ciel qui pâlit me surprend. Je suis restée si longtemps ici ? Je me mets en retrait. De jour, je suis plus repérable. Je mémorise l'emplacement du QG militaire et fais demi-tour.
De retour à mon abri, j'envoie un rapport relatant ma découverte du bâtiment et alterne entre sommeil et espionnage des militaires avec mes jumelles.
Les deux gardes à l'entrée se relaient environ toutes les trois heures et deux sentinelles sur le toit surveillent la zone avec des jumelles, se relayant eux toutes les deux heures. Le garde posté près de la camionnette reste toute la matinée en poste avant de se faire remplacer.
De ces rondes, j'estime leur nombre à une douzaine, même si je suis sûr que certains restent cachés dans le terrier.
Je m'allonge pour faire une rapide sieste et un bruit de feuille froissée me rappelle soudain la lettre du messager de M. Jamal que je n'ai pas encore lu. Je la gardais tout le temps collée contre ma cuisse pour ne pas la perdre. Je la sors de mon pantalon, un peu froissée. Je déchire l'enveloppe et déplie la lettre.
Shari,
Cette lettre est pour le moment où tu seras en mission. Trouve le bâtiment principal, le deuxième jour, une voiture se garera, c'est le moment pour t'infiltrer par-derrière. Monte jusqu'au deuxième étage, et rentre par la troisième fenêtre à gauche. Tu atterriras dans une pièce vide, qui mène à un petit couloir. Il débouche sur un grand couloir principal au bout duquel il y a à gauche une pièce bien gardée.
Pénètre dans cette pièce.
M. J
Mon cœur rate un battement.
Comment sait-il que je suis ici ?
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