Chapitre 32 :
- Shari ! S'égosille Pearson.
Le brouillard dans ma tête se lève. Je relève les yeux d'un coup. Le sang brille partout maintenant que la fumée se dissipe : sur le gris de nos tenues, sur le vert sombre de celles des gardes, sur le blanc des murs...
- Shari ! Aboie ma commandante, aux prises avec le dernier garde. Grouille-toi !
Sa voix me donne un coup de fouet. Mes yeux s'arrachent aux taches rouge bordeaux et je m'élance vers l'Ours aussi vite que ma jambe le peut. Il bidouille un dernier truc sur un interphone métallique et la porte de la cellule s'ouvre en grand.
Je déboule dans la cellule les yeux grands ouverts pour capter le peu qu'il reste de lumière. L'air est froid et empeste la transpiration et l'urine. Le sang est si présent ici que je peux le goûter sur ma langue. Je plisse les yeux et mes yeux captent une forme étrangère. Mes poumons se dégonflent et j'ai l'impression que mon cœur est tombé dans mes bottes. Je laisse échapper un gémissement.
Kan-Wu s'est trompé. Ash n'est pas ici ! Le désespoir me prend à la gorge.
- Shari ! M'urge Pearson.
Je me tourne brusquement vers lui, le souffle court. Je me mords les lèvres.
- Pearson... je souffle. Pearson, ce n'est pas Ash !
Pearson me fixe avec un scintillement dans les yeux qui me fait penser à de la pitié.
Mes yeux s'ouvrent en grand. Mon cœur s'arrête. Je me tourne lentement. Je ne me souviens pas m'être avancé, mais je suis soudain à deux pas de la forme. Une forme humaine clouée à la pierre comme un papillon épinglé par un collectionneur. J'ai l'étrange sensation de ne pas avoir le droit de m'approcher en tant que simple humaine. Comme si je n'avais pas les droits de poser les yeux sur lui. Comme s'il avait quelque chose de sacré, trop pur, sous le massacre, pour être regardé. Comme si tous les humains étaient responsables en entrant simplement dans cette pièce de l'affront aux dieux qu'ils ont fait en détruisant ce corps.
« Plic, ploc ».
Une ligne de sang sinistre coule le long de ses bras accrochés au mur. Une bourrasque glaciale balaye tout en moi. L'odeur de l'horreur emplit mes narines, se diffuse dans mes poumons. Je ne vois pas son visage, sa tête est basculée en avant, mais ma main s'avance pour relever son menton. Je touche sa peau froide et mes yeux s'ouvrent brusquement. Une douleur atroce me transperce. Un hurlement du fond de mes entrailles s'échappe de ma gorge. Ce corps appartient à Ash ! Qui, qui a permit ? Qui a pu ? Qui ?
Je rugis en donnant un coup dans les menottes qui l'ont maintenu immobiles pendant qu'on le torturait jusqu'à l'inconscience, je tire dessus, je les tords puis je rejette ma tête en arrière et glisse contre le mur en hurlant. Je me retiens au pied ensanglanté d'Ash auquel il manque un orteil. Un sanglot s'étouffe dans ma gorge, mais mes yeux restent obstinément secs. Je ne crois pas à cette horreur.
Je presse mes mains sur mes oreilles pour faire taire le hurlement dans ma tête qui me rend folle, folle, folle ! Le corps flasque d'Ash tombe dans les bras de l'Ours, qui me relève par les épaules.
- Il est entre la vie et la mort, ressaisit-toi !
J'écrase sans pitié tous mes sentiments, je serre les mâchoires et je sort de la cellule avec Ash sur le dos. Je sens son pouls sous ma peau et cette sensation réveille un tout petit, minuscule foyer d'espoir quelque part en moi. Kan-Wu court vers nous, les cheveux et le visage plein de traînée de sang. Il s'appuie sur une jambe et son bras saigne si abondement qu'une partie de moi, celle encore assez lucide pour se préoccuper de mon environnement, ne lui donne pas plus de deux heures.
Je me tourne dans le couloir. Le silence est total. Les morts ne parlent pas. Parmi eux, Kaya est face contre sol, pêle-mêle avec un garde. Ils se sont transpercés mutuellement. Ma gorge se serre. Un violent torrent d'émotion me presse la poitrine. Son visage n'a même pas atteint les trente ans. Elle aurait pu vivre tellement plus, elle aurait pu vivre le bonheur, elle aurait pu être avec une famille... je ne la connaissais pas, mais elle m'a protégé et nous a poussées jusqu'ici. Kan-Wu allume une flamme. Je le lui arrache.
- Qu'est-ce que tu fais ?
Il me le reprend sèchement.
- Les Agents morts en mission doivent être brûlés pour qu'on ne puisse pas récupérer son corps pour l'étudier.
Pearson hoche la tête.
- Partons.
Je me relève et me retourne avant de voir la flamme s'embraser. Kan-Wu et Pearson derrière moi, je bondis par-dessus les cadavres et les corps assommés des gardes. J'ai l'impression qu'on m'arrache le cœur. Un liquide trouble mes yeux. Mon cœur me fait mal à chaque battement. J'ai mal de la vie. Je cligne des paupières et j'éloigne toute pensée.
Je n'écoute plus que les ordres de Pearson qui me dirige au nez. M'éloigner de la mort, du sang, de la torture. Du corps de Kaya. De la flaque de sang sous le corps d'Ash. Du tremblement dans ma gorge. Je ne veux pas qu'Ash meurt. Mes dents se serrent. Je ne veux pas qu'il meurt !
Si des combats continuent dehors, ils doivent être couverts par le bruit de la jungle. Nous traversons le périmètre de sécurité extérieur, jonchés de corps en uniforme et un sentiment d'écœurement me soulève. Nos avions ont été mortellement efficaces.
Eux aussi.
Nous fuyons dans la jungle. On se sépare pour disperser nos traces, mais Kan-Wu saigne comme un porc et je me doute qu'il fasse plus de cent mètres. Je lui dis de venir avec moi, mais il m'ordonne de le laisser. Maintenant que Kaya est morte, il est notre supérieur.
Personne ne vient me stopper. Je voudrais tout oublier, mais je sais que je n'y arriverais jamais. Que ces images resteront accrochées à ma peau chaque fois que je porterais une arme. Je trébuche. Ma jambe me fait souffrir de plus en plus.
Je mords mes lèvres. Ne meurt pas ! Ses battements de cœur sont si faibles que mes doigts sont enfoncés profondément dans sa peau pour les détecter. Le déplacer l'affaiblit, mais il n'y a pas d'autres choix. Mes pieds martèlent la terre, s'accrochent parfois aux racines, je manque de tomber plusieurs fois, je dois mettre le plus de distance entre cet enfer et nous.
Ma respiration est hachée et la chaleur multiplie la douleur. Je sens le métal remuer dans ma chair à chaque mouvement. Les bruits oppressants de la jungle me remplissent la tête comme une descente en enfer. Je ne tiens que grâce aux ordres que je me donne à moi-même pour m'empêcher de m'effondrer. Mon corps est épuisé par mon utilisation abusive de ma vitesse et es blessures par balles, mais je ne peux pas m'arrêter. Je prie pour que le traceur dans mon bras soit efficace.
Je dois m'arrêter pour ramasser des lianes et l'attacher dans mon dos pour qu'il ne tombe pas. Je titube, tombe une fois, deux fois. Lorsque mes jambes cèdent une troisième fois, je n'arrive plus à me relever. Je roule à couvert sous des fougères aux longues feuilles qui nous dissimulent suffisamment pour qu'on passe à côté de nous sans nous voir et détache Ash de mon dos et l'allonge au sol.
Je prends ma gourde, bois une gorgée d'eau pour essayer d'éclaircir mes idées et sors le pack de premier secours de ma ceinture. Le plus gros risque des plaie ouvertes est l'infection. Mes mains s'enfoncent dans la terre. Je détourne la tête, les mâchoires verrouillées, le nez plissé. Je respire vite. La haine qui grossit en moi semble trop volumineuse pour être gardée dans mon corps.
J'entreprends de nettoyer toutes ses plaies, de son visage à ses pieds, avec l'eau de ma gourde. Le plus dur est de trancher à nouveau les blessures pour les nettoyer quand elles ont commencé à se refermer sur un nid de bactéries. Je m'y force, néanmoins. Une blessure qui cicatrice mal est pire qu'une blessure qui ne cicatrise pas. Je draine tout le pus qui a commencé à se former et verse de l'eau dessus. De l'alcool m'aurait aidé, mais la bouteille était trop petite.
L'odeur du pus ne fait qu'empirer les vertiges. J'enroule les plaies nettoyées dans des bandages que je serre assez pour arrêter le flux de sang de s'écouler. Mais ma gourde aussi à ses limites. J'utilise les dernières gouttes pour humecter les lèvres d'Ash et essaye de lui en faire avaler un peu en lui massant la gorge. Je remarque alors à quel point son souffle est faible.
Je sens avec angoisse le temps s'écouler lentement, beaucoup trop lentement. Pour ne pas devenir folle, j'inspecte mes propres blessures. J'ai une balle dans le bras, une à la cuisse et une au mollet. Heureusement elles bloquent en partie la perte de sang. Je me soigne comme je peux mais il ne me reste plus d'eau et de bandage.
Je tangue, mais je me force à rester éveiller. Je n'ai aucun moyen de savoir si il y a des gens sur notre piste et si oui, s'ils sont près. J'ai camouflés nos traces les plus proches, mais des chiens retrouveraient sans mal l'odeur que nous avons laissés derrière nous.
Je ne tarde pas à me refroidir au contact de son corps, mais je le serre plus fort. Je serre les dents. Je suis plongée dans l'incertitude et la peur. La douleur me fait délirer, ou alors le sommeil. Au début, c'est des voix inconnus qui clament « Guéparde Dorée ! Guéparde Dorée ! », puis ces voix se transforment en yeux, en de milliers d'yeux qui me fixent et brusquement des formes silencieuses sortent souplement de l'ombre. Je halète. La panique monte en moi.
Des félins de toutes espèces sortent de l'ombre autour de moi, de plus en plus menaçant, de plus en plus dangereux, grondant comme un roulement de tonnerre, qui augmente petit à petit. Mes yeux s'ouvrent brusquement. Je bondis à l'autre bout de la clairière, Ash dans mes bras. Mes yeux sont grands ouverts. Que faire ? Que faire ?
Les inconnus devant moi reculent d'un pas. L'un d'eux s'accroupit comme devant un animal sauvage, montre ses mains vide et avance doucement sans rompre le contact visuel. Je recule en grondant plus fort. Mes veine semblent gonflés de sang, mes pensées fusent de partout dans mon cerveau. Serais-je capable de nous défendre contre quatre gardes ? Je suis à peine assez forte pour nous tenir tous les deux debout et si on s'enfuit, on se fera rattraper en moins de deux.
Je montre les crocs. Je dois fuir ou ils nous enfermeront dans une cellule comme ils l'ont fait pour lui. Ils nous torturerons pour qu'on crache des informations.
- Shari, on est les Chamois chargé de s'occuper d'Ash ! Lance la garçon.
Sa peau blanche me saute soudain à la figure. Sa peau est couverte des poils blancs des Chamois. Il se retourne et enlève son tee-shirt. Le tatouage noir des Chamois se détache clairement sur sa peau pâle. Soudain, je note le bruit des pales de l'hélicoptère qui tourne dans le ciel. Je me précipite en boitant vers eux.
- Vite ! Il a besoin de soin !
Une échelle descends de l'hélicoptère et s'approche de nous. Le garçon se relève et les Chamois derrière lui s'activent aussitôt autour de nous. Ils attachent un harnais autour de la taille du Lion qui le relie à deux Chamois et nous montons l'échelle les uns derrière les autres. La douleur me déchire. L'ascension se révèle pour le moins difficile. Finalement, il vaut mieux qu'Ash soit inconscient.
Dans l'hélicoptère, on nous enveloppe d'un plaid chaud et je me rends compte alors que je suis gelée. On me donne un verre, mais je en suis pas en mesure d'ingérer quoi que ce soit. La moindre chose que j'avalerais reviendrait directement à la case départ.
Je ne comprend pas à quoi sert la table plantée en plein milieu de l'hélicoptère jusqu'au moment où on allonge Ash dessus. Les Chamois commencent alors à tripoter ses chairs et moi à fermer la bouche. Je savais qu'ils pouvaient opérer en urgence, mais le voir le faire devant moi est autre chose.
Ils voulurent m'allonger sur un lit en me disant de ne pas regarder mais je me débattit tellement qu'ils finirent par me laisser regarder. De toutes façon, je n'avais rien dans l'estomac alors je ne pourrais pas vomir. Cela ne m'empêcha pas de devenir toute blanche. Je devais serrer mon siège pour résister à l'impulsion d'arracher Ash à ces personnes.
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Hey, buddies ! Je ne vous avais pas promis de l'action ? Et bien, je vous donne l'action et la qualité ! (Hé hé, je commence à être pas mal en discours politique moi... ou peut-être en publicité, selon). Ah, je sais, je sais, ça fait du bien un peu de baston pour se dérouiller l'esprit et les tripes !
Allez, à la semaine prochaine !
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