Chapitre 30 :
Je penche légèrement le buste et l'épaule droite vers la droite et vire à l'Est. Je perds de l'altitude jusqu'à discerner les feuilles des arbres. Le fleuve a été désigné comme point d'atterrissage, car les arbres géants de la jungle nous laisseraient coincés dans leur branchage à une cinquantaine de mètres du sol. Je ne dois pas me rater.
À cinq mètres du fleuve, je me redresse légèrement. D'un mouvement rapide, j'abaisse ma fermeture éclair, tombe à la verticale dans l'eau trouble et tumultueuse et me sens aussitôt projetée en arrière.
Les commandants nous ont prévenus, le courant est fort.
Je me propulse de toutes mes forces pour crever la surface de l'eau, prend une respiration et utilise mon élan pour m'éloigner avec acharnement du centre du fleuve. Je recrache de l'eau boueuse et nage de toutes mes forces jusqu'à sentir de moins en moins la pression du courant sur mon corps. Je crachote et me hisse sur la terre, la gorge en feu. Je m'accorde une minute pour réorganiser mes affaires : ma combinaison est imperméable, en revanche, mon masque et mon oreillette sont fichues, mais c'était prévu et je sors la deuxième oreillette de ma poche et la fixe à mon oreille.
- Numéro 3. Atterrissage réussit, je communique dans mon talkie-walkie.
Je sors la boussole digitale de ma poche et étudie la carte qui s'étale sur l'écran en me dirigeant vers le point de regroupement. Je dois m'orienter au Sud-Est. Je quitte le rivage du fleuve et m'enfonce dans la jungle. Cet environnement étranger m'est angoissant. Tout est humide, mouillé et chaud, même l'air est poisseux. J'ai l'impression d'être dans l'estomac d'un animal.
Partout, des cris d'oiseaux inconnus, des pépiements de rongeurs, des fougères qui bruissent, des branches qui vibrent, des criaillements. Ce tableau insolite de taches de couleurs vives éparpillés me rend la tâche plus difficile pour me repérer dans ce foutoir de bruits, d'odeurs et de mouvements. La végétation riche et luxuriante rivalise de nuances de vert, jaunes, rouges, et occupent chaque mètre carré de sol. Mes côtes sont oppressées par un sentiment animal d'être observées. Je n'ai pas l'habitude d'arbres si hauts et serrés qui se battent pour l'espace. Je ne vois même pas le ciel et le soleil n'est qu'une vague diffuse dans cette atmosphère étrange, mi-nocturne mi-diurne, qui règne en reine sur ces terres.
L'humidité et la chaleur me font suer de plus en plus, ce qui attire son lot d'insectes. Les piqûres commencent à devenir nombreuses, alors je m'oriente vers la partie plus boueuse de la jungle jusqu'à trouver une sorte de marais où je m'applique de la boue sur la peau. Mon ventre se serre. J'accélère le pas. Je suis malade de peur. J'essaye de ne pas y penser, mais mon sang semble empoisonné par la terreur.
Vingt minutes plus tard, je débouche au point de rassemblement, où Yosh et Kaya sont déjà arrivés. Cette dernière m'accueille d'un hochement de tête qui vaut plus pour moi qu'un discours. Au même moment, Kan-Wu sort des fougères, suivit par Laaja. On s'échange un regard, mais apparemment, elle n'a pas vu Kaïcha. Je fais les cent pas en attendant les autres. Yosh tripote un objet de forme effilée dans ses mains en surveillant les environs d'un poste en hauteur tandis que Kaya parle rapidement en message codé à travers son talkie-walkie au commandant de l'escadron B. Je ferme les yeux. Comment peuvent-ils être aussi impassibles alors que dans moins de quinze minutes, nous serons en plein terrain adverse ! Yosh me regarde faire des allers-retours.
- Réserves ton énergie et ton souffle. Tu vas en avoir besoin dans les heures qui viennent, dit-il en plongeant ses yeux bleu pâle dans les miens. Crois-moi.
Je le crois sans problème. Mais mon corps n'en a pas grand-chose à faire et je ne tiens pas longtemps avant de recommencer à écraser l'herbe. Ma commandante relève la tête.
- Arrête de marcher, elle ordonne sèchement. Cela fait seulement trois minutes que tu es arrivé. Maitrise ton stress ou c'est lui qui te maîtrisera.
Je serre les dents, mais baisse la tête. 3 minutes ? Je me force à rester tranquille et souffle longuement. Peut-être qu'ils ont raison, peut-être que je suis trop impliquée. Mais je ne serais pas resté au Pavillon sans rien faire. Je ne le peux pas. Je dois être ici. Je ne pense pas que Kaya peut me renvoyer à ce stade de la mission, mais je ne tiens pas à expérimenter.
Pearson arrive, suivit de Kaïcha, puis Taaf et nous sommes tous réunis. Kaya se redresse, écarte de l'herbe et des feuilles et on découvre une sorte de trappe métallique au sol. Elle tend la main et Yosh lui donne l'objet qu'il était en train de tripoter tout à l'heure, qui se révèle être un simple stylo. Je fronce les sourcils.
La panthère fait coulisser la barre et une lame fine jaillit du bas du stylo. Elle insère la lame dans la serrure, la force et la soulève avec un grincement métallique, découvrant un trou noir qui s'enfonce dans la terre. Mes narines se dilatent.
La faim au ventre, les genoux égratignés, le manque d'oxygène dans ma poitrine.
Je chasse ce souvenir d'un battement de cils et m'avance fermement pour ne plus penser, mais la commandante m'arrête d'un bras en rangeant le stylo dans sa veste.
- Recule. Yosh.
Je la fixe, mais recule en silence. Les pupilles du Coyote s'élargissent jusqu'à éclipser le blanc de ses yeux afin de capter le plus de lumière possible et il entre dans le tunnel, suivit de Laaja, Taaf, puis Kaya passe et m'autorise enfin à entrer, Kan-Wu, Kaïcha et Pearson à ma suite.
Le tunnel s'enfonce à pic, puis s'amorce en une pente douce jusqu'à devenir quasiment horizontal. La terre y est humide et peu solide, si bien que des blocs se détachent parfois et nous obligent à les réduire en miettes et de les tasser sous nous pour avancer.
Seuls Yosh et Kan-Wu ne sont pas totalement aveugles dans ce tunnel, le premier grâce à ses yeux de Coyotes et le dernier parce qu'en tant que Renard, il a une sensibilité au champ magnétique terrestre qui lui permet de s'orienter dans le noir. Pour les autres, nous allumons nos lampes frontales. Le premier et le dernier de la file viennent de clan Sensitifs et sont là pour servir d'éclaireurs et assurer nos arrières.
Je réalise soudain que les deux guerriers les plus expérimentés de notre escadron, Kaya et Kan-Wu, sont devant et derrière moi. On essaye de me protéger. Je serre les mâchoires. Tout le reste de la file est placé de sorte à me servir de bouclier. Laaja et Kaïcha compris. Kaya n'a pas seulement refusé que j'aille en première, elle a fait en sorte que ce soit moi la dernière attaquée si nous étions pris. Maintenant, je suis presque sûre qu'ils ont reçu en parallèle des ordres qu'on ne m'a pas communiqués. Mes poings se crispent de colère. Le but est Ash, pas moi ! Je serre mes lèvres.
Je vais devoir échapper à leur protection.
Le plus vite possible.
- Coupez vos lumières.
Un rayon de lumière et le Coyote disparait. Rien ne bouge pendant un moment puis sa voix résonne dans mon oreillette.
- Voie dégagée.
Nous sortons un par un de la bouche d'aération et mes yeux mettent quelques secondes à s'habituer à la luminosité crue de la salle dans laquelle nous atterrissons. Pearson confirme de son odorat ce que nous devinions tous : il n'y a personne. On s'arrête devant une porte verrouillée et Kaya la déverrouille en cinq secondes. Taaf sort de sa veste un objet noir et rond de la taille d'une bague et le colle sur la porte. Le détecteur de mouvements semble être une version supérieur que celle que j'utilisais en entrainement. Il passe à un bleu profond et nous sortons en silence.
Le bruit de la bataille qui se déroule à l'extérieur nous parvient soudain avec netteté. Des cris d'hommes, des explosions, le roulement de mitrailleuse, des aboiements furieux. La diversion est mise en route et semble efficace, car nous ne croisons presque aucun garde dans les couloirs.
Le bâtiment est divisé en plusieurs parties et nous sommes actuellement dans la zone des gardes, mais les couloirs sont tous d'un gris sombre qui est assorti avec celui de notre combinaison et les lumières espacés de plusieurs mètres laissent des zones d'ombres.
Pearson, en tête, nous indique à chaque fois quand des gardes se rapprochent et quand on arrive à l'intersection entre la zone des gardes et les salles de surveillance informatiques, on se sépare en deux groupes. Je pose un dernier regard sur Kaïcha et Laaja en espérant que je les retrouverai saines et saufs et je tourne les talons avec Kaya, Pearson et Kan-Wu.
Je me concentre sur les chemins pour trouver Ash. Étant donné que nous ne connaissons pas le chemin exact menant à la cellule d'Ash, je dois explorer toutes les voies possibles pour éliminer les mauvais trajets. Je suis la seule à pouvoir le faire vu que les gardes ne me voient pas passer à ma vitesse, et qu'il y a trop d'options de couloirs de ce labyrinthe pour qu'un Alfar puisse toutes les tester.
Au fur et à mesure que ma patience s'effiloche et que la souffrance explose dans mon corps, je vais de plus en plus loin dans un même trajet avant de revenir faire mon rapport. Le nombre de gardes qu'on croise se fait plus nombreux alors qu'on s'enfonce dans le bâtiment et Kaya, Pearson et Kan-Wu doivent alors se charger de les mettre hors d'état de nuire sans un bruit.
- Salle d'opération neutralisée et infiltrée. Interviens la voix de Taaf dans mon oreillette. Yosh va lancer l'appel. Préparez-vous à une importante vague de garde qui partent dehors en renfort à éviter.
- Combien de blessés ? Demande ma commandante.
- Deux. Yosh est blessé à l'épaule. J'ai reçu un coup de couteau dans les côtes et dans la cuisse. Blessures superficielles sur les humaines.
Je serre les dents et continue.
J'arrive à un croisement et tourne à gauche. Le timing va être serré. Je passe devant plusieurs gardes, tombe dans un cul-de-sac, je fais demi-tour et emprunte une autre voie. Cet effort me coûte une douleur plus violente que les autres. Je retiens le filet de sang qui monte dans ma bouche pour qu'il n'attire pas l'attention de gardes. J'essuie la transpiration qui coule sur ma nuque. Encore un cul-de-sac. Haletante, je prends une autre voie. Deux autres gardes. Ils sont de plus en plus armés.
Je m'arrête à un coin où il n'y a pas de garde. Je ravale le sang en essayant de ne pas le vomir.
- Numéro 3. Voie positive trouvée : premier croisement. Tout droit. À gauche. À gauche. Adroite. Tout droit. Je chuchote et répète les coordonnées deux fois.
- Reçu, m'informe ma commandante.
- Quatre gardes, je continue : un au croisement. Deux au deuxième couloir et un à l'angle du dernier couloir.
Je n'ai pas le temps de continuer que des bruits de pas pressés dans mon dos se rapprochent. Je me reçois un brusque coup de fouet, je cale mes mains et mes pieds en appuis opposés sur les deux murs face à face et grimpe à toute vitesse. Le bruit des pas se rapprochent, devient de plus en plus fort. J'accélère. Le bout d'une botte apparaît au coin du couloir au moment où mon dos se plaque contre le plafond. Mes bras grincent de douleur. Une dizaine d'homme armés passent devant le couloir en courant et la moitié bifurque à l'intérieur. Je retiens mon souffle pendant que les gardes passent en courant sous moi. Une goutte de sueur perle de mon front.
J'attends que leurs pas soient suffisamment éloigné pour retomber accroupis au sol. Je chuchote aussitôt dans mon oreillette.
- Numéro 3. Une patrouille de onze gardes se dirige vers vous.
Je prends un instant pour me reposer. Le silence me répond toujours. Je fronce les sourcils. Un mauvais pressentiment me prend. J'entends soudain un cri.
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Hellloooo ! Qui veut de l'action ? C'est parti, je vais faire péter le champagne, les amis ! Hum, un bon coup de stress bien intense comme on les aime, ça vous dis pas ?
Ohhh, et ça réclamait plus d'action trois chapitres avant, espèces de girouettes ! Tant pis, je vais vous laisser dans le bain de la PEUR mouahaha !
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