Chapitre 3 :

Il l'a dit au passé.

Sa tête se relève avec un éclair de douleur aussi intense que flagrant et je me mords la joue pour ne pas lui serrer le bras. Le choc sur ses traits me donne envie d'aller cracher au visage de la Mort elle-même. N'a-t-il pas perdu assez de proches comme cela ? N'a-t-il pas mérité une famille ? Des parents sur qui se reposer ? Se sentir aimé et protégé au lieu de protéger, pour une fois ? L'amertume me brûle la gorge comme si on avait approché un briquet trop près et trop longtemps. Liban le détaille avec douleur dans le miroir et j'ai envie de lui crier que ça empire les choses. Ash lui renvoi un regard enflammé :

- Arrêtez de me fixer ! Il gronde d'une voix qui claque comme un fouet.

Liban serre les dents et détourne la tête.

- Je suis désolée. De te l'annoncer comme ça...

- Arrêtez, le coupe sèchement Ash. Ça suffit. Je veux pas en entendre parler, ça sert à rien de s'attarder là-dessus.

Et pourtant, la minuscule fêlure dans sa voix qui semble passer inaperçu aux autres détonne à mes oreilles comme un coup de feu à l'aube. Elle qui portait tout l'espoir qui avait germé en lui, tout ce fol espoir d'enfin, enfin, avoir quelqu'un à qui être le fils. Enfin, être normal. Se sentir réchauffé. Sa main effleure la mienne. Mes dents se serrent avec force. Je sais ce que c'est, le vide. L'attente en vain. Le deuil d'une présence, n'importe laquelle. Accepter qu'on est seul. Seul pour se sortir des pétrins. Seuls pour célébrer nos réussites. Seul. Toujours. La douleur, amère, sourde, au fond du ventre. Qui bats comme un deuxième cœur, qui ne nous quitte jamais, ne nous laisse jamais tranquilles. Qui nous refroidis, lentement mais sûrement, année après année. Il retire brusqument et détourne la tête, et je ne lui fais pas l'affront de lui demander si ça va.

Ça ne pourrait pas aller pire.

- Tu as prévenu le centre ? Demande Analya, dans le silence froid, vide, douloureux.

Hochement de tête tendu.

- Ils ont enclenché le processus de pistage. Ils n'attendent que nous.

- Le centre ? Je demande en me tournant vers l'intérieur.

- Là où vivent les Voix, des Alfars qui ont un réseau international qui nous donnera une meilleure portée. Ils vont sans doute vous poser des questions précises sur lui, vous êtes donc obligés de faire partie du voyage.

Notre voiture se range soudain à côté d'un trottoir, et aussitôt une autre voiture noire se gare derrière nous, d'où sort cinq personnes habillées avec décontraction, mais je reconnais de loin le pas souple et fauve des doubles-âmes cerfs... enfin, Àlfars Cerfs.

On dirait qu'on a des gardes du corps. Enfin, que Liban a des gardes du corps. Je me demande comment les passants font pour ne pas remarquer à quel point ils sont différent d'eux quand ils vont en ville. Se disent-ils qu'ils ont quelque chose de singulier, sans leur prêter plus d'attention ? Ou remarquent-ils leur aura majestueuse, presque noble et gracieuse, la silence feutré de chacun de leur pas, leur regard à la fois désintéresse et tout le temps alerte ?

- Quand vous sortez, soyez discret, faites profil bas et restez tout le temps avec nous. Imitez chacun de nos gestes. Ne laissez filtrer aucune émotion qui pourrait montrer que vous êtes surpris devant quelque chose, et surtout, maîtrisez vos réflexes. Nous allons traverser la ville, vous allez devoir vous adapter à cet environnement, lance Liban.

Ash hausse un sourcil.

- Le principe d'un réflexe c'est de ne pas être maîtrisé.

Quel environnement ? Pense-t-il qu'il n'y a pas de ville de là où nous venons ?

- Vous avez de quoi cacher nos iris ? Je demande.

Analya hoche la tête et nous passe des lunettes teintées.

- Cela fera l'affaire. Certains Àlfars devenus connus dans le monde humain ont fait croire qu'ils portaient des lentilles de couleurs pour justifier leur couleur d'yeux inhumaines, comme les Lions Lady gaga ou Orlando Bloom, mais les lunettes sont plus pratiques pour une sortie coutumière.

Liban hausse un sourcil.

- Orlando Bloom ne s'est pas aussi fait une coloration ?

Je plisse les yeux, totalement perdue. De quoi ils parlent ?

- Des cheveux, tu veux dire ? Sans doute, la couleur de cheveux des Lions est trop atypique pour passer inaperçu. En tout cas, je sais que Lady Gaga a voulu les garder, mais elle s'est violemment disputé avec leur Hamu avant de partir parce qu'il voulait qu'elle les cache. Elle a finit par le faire quand même je crois. Bah, comme Thando Hopa du clan des Ours, elle les a longtemps coloré avant de les laisser redevenir totalement blanc quand elle a été repéré comme mannequin.

Liban rigole.

- S'ils savaient... 

Je fronce les sourcils. Je commence à capter.

- Tu veux dire qu'ont peut vivre parmi les hommes ? Ne pas se cacher d'eux ?

- Bien sûr que non, on se cache toujours d'eux. Mais certains Àlfars quittent le Pavillon et leur famille pour faire carrière parmi les hommes en se faisant passer pour une personne normale. En général, ils trouvent rapidement un boulot, soit dans la musique pour les Oryx ou les Loups, soit dans le mannequin pour les Ours ou encore les Mangoustes, c'est souvent toutefois dans le sport, grâce à nos capacités physiques. Usain Bolt était un Guépard non assumé, par exemple.

Quoi ? Qui ? J'ouvre la bouche, mais Ash me coupe :

- Pourquoi tout le monde ne quitte-t-il pas les Pavillons pour vivre une vie plus sécuritaire et tranquille dans les villes, dans ce cas-là ? Intervient Ash.

Ses yeux sont fixés sur Liban, paupières légèrement abaissés, comme s'il savait qu'il ne disait pas tout.

Analya lui jette un coup d'œil de côté.

- C'est à double tranchant. C'est très risqué pour un Àlfar de sortir de la protection du Clan pour vivre une vie indépendante, car les services secrets ont des yeux partout et peuvent très bien retracer ta vie antérieur. Et alors, si tu es tout seul au moment où ils te repèrent, tu disparait très vite de la circulation. Le seul moyen d'échapper à cette menace constante, c'est de devenir célèbre, de percer, afin que des personnes hautes placées te protègent et empêchent ces choses d'arriver.

Liban acquiesce silencieusement, le regard sombre.

- Je connais très peu de personnes qui sont toujours vivantes après s'être installé parmi les hommes sans être devenu célèbre ou haut placé par un moyen ou un autre. Et ceux qui le sont ont coupé tous les liens avec nous pour ne pas être retrouvé par les services secrets. Quand ils partent, on sait qu'on ne les reverra plus jamais. C'est une question de survie. Ils ne le disent même pas à leur femme ou leur mari humain, s'ils en ont. Cela les mettrai eux aussi en danger.

Ash s'apprête à ouvrir la portière quand Namak l'arrête :

- Eh, stop ! Laissez vos armes ici.

- Quoi ? Je fronce les sourcils. Pourquoi ?

- Elle reste avec moi, grogne Ash en posant une main sur le fourreau de sa parazonium.

Liban nous regarde droit dans les yeux.

- Ce n'était pas une question. Les gens normaux ne sortent pas avec des armes, pas ici en tout cas. On peut se faire arrêter si les autorités s'en rendent compte. Vous n'en aurez pas besoin, croyez-moi.

Il veut prendre mes dagues ?

- Et si on ne vous croit pas ? Je grogne.

Liban souffle.

- Vous allez vous forcer. Donnez-les-moi. On ne sait pas quelle réaction vous pouvez avoir devant les choses nouvelles que vous allez rencontrer, si vous avez une arme à portée de main à ce moment-là, ça peut être risqué pour les humains autour. Rappelez-vous qu'ils ne sont pas entraînés et qu'ils n'ont pas d'armes non plus, vous devez toujours vous rappeler qu'ils sont plus faibles que vous.

- Quelles choses nouvelles ? Je m'exclame. Nous venons nous aussi d'une ville !

- Donnez-les moi.

Avec un grognement furieux, je lui lance mes trois dagues. Ash lui passe son épée tout autant à contrecœur. Liban ne bouge pas pour autant.

- Quoi encore ? Je soupire, irritée.

Il me fixe.

Fais chier.

Je lève les yeux au ciel, attrape le couteau caché dans ma botte et lui passe avec un grognement. Il le rattrape, le glisse dans sa veste et se racle la gorge.

- Quoi ? Je m'agace.

Il ne bouge pas. Je souffle, dégaine deux couteaux de mes manches et lui lance. Il me fixe toujours. Sérieux ?

- J'ai plus rien ! Je dis. Tu veux vérifier ?

Il hausse un sourcil pas dupe. je serre les lèvres. Il abuse ! J'attrape le coutelas glissé dans le col de ma nuque et lui passe. Voleur ! Il le rattrape et sort de la voiture.

- Bien. Maintenant, on y va.

Agacée, j'ouvre la portière qui s'est déverrouillé avec un petit "clic" et sors de la voiture. Un énorme vrombissement me gifle de plein fouet.

- Shari !

Je fais un salto arrière. Un souffle d'air violent me frôle. J'atterris en roulant sur le sol alors que le vrombissement s'éloigne. Je me relève d'un mouvement de hanches et regarde précipitamment dans toutes les directions. Il y en a d'autres ? Où ils sont ?

Les passants me dévisagent avec des grands yeux. Des mains m'entraînent dans une ruelle perpendiculaire et j'aperçois nos gardes boucher la vue aux passants. Analya m'inspecte rapidement du regard.

- Tu as été touché ? Elle me presse. Où ?

Je fronce les sourcils, sous le choc.

- Non. Non, j'ai dit !

Elle s'immobilise et essuie quelque chose sur ma joue. La Cerf ramène sa main et je vois du sang sur son pouce. Je porte une main à ma joue. J'ai une égratignure. La Cerf soupire de soulagement.

- Je... c'était quoi ? Je murmure.

- Une voiture. (Elle se retourne et plisse les yeux.) On dirait qu'elle est partie loin. Tu t'es mise en plein sur la route !

Je savais bien que ces machins là étaient pas fiables ! Liban et Ash sont près de moi en moins d'une seconde.

- Tu n'as pas été blessé ? S'enquiert Liban d'un air anxieux.

Je me tourne vers les Cerfs, qui me soulèvent de partout pour voir si je saigne. Je secoue la tête en me dégageant.

- Non. Non, c'est bon.

Analya jette un regard au bout de la rue où les passants se dispersent sous l'action discrète des gardes.

- Autant pour la discrétion...

Un éclat d'obsidienne se reflète dans les yeux plissés d'Ash.

- On peut jamais la laisser toute seule, celle-là...

Je me redresse d'un coup en grondant, mais Analya s'interpose entre nous deux.

- Wow, wow, wow ! Stop !

Mes avants-bras sont crispés, mains sur mes fourreaux. Il ne daigne même pas me regarder et s'éloigne. Je ferme les yeux, me donne dix secondes pour enlever le sang qui éclabousse ma vision et me tourne sèchement pour ne pas le voir. Je vais le... non. Non. Je souffle profondément. Liban souffle par les narines.

- Ceci dit, Shari, on ne sort jamais d'une voiture du côté de la route sans regarder !

Je serre les dents.

- Tu m'as dit de sortir, je suis sorti. Je savais pas que y avait un manuel d'emploi !

Il ferme les yeux fort.

- Dieu, donnez-moi votre patience. (Il nous attrape le bras) Venez vous deux, il va falloir que je vous apprenne deux-trois trucs. Histoire que vous surviviez à la journée.

- On t'a entendu, je dis.

- Tant mieux, priez pour que Lui aussi..



___________________________________________

Petite surprise... rendez-vous au chapitre suivant ;)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top