Laaja siffle d'un air impressionné devant les vitrines d'armes à feu, fusils, grenades et explosifs qui s'étalent sur toute la façade nord de la salle de préparation logistique, au sous-sol.
- Je commence à comprendre pourquoi tu voulais être seule à chercher tes parents...
Kaïcha se contente de plisser les yeux, et je sais alors qu'elle se demande si le Pavillon Cerf est aussi peu innocent que celui-là en avait l'air.
Comme tous les autres Agents, j'enfile des chaussures d'interventions aux semelles antidérapantes, un pantalon marron clair résistant et étanche avec deux poches latérales au niveau de la ceinture, un tee-shirt vert léger et étanche et par-dessus, j'ajuste un gilet pare-balles gris et des protèges-épaules.
Taaf, le Yack de mon escouade qui devra pirater le système informatique du complexe, nous passe un pack de premier secours. Je le remercie et le glisse dans ma ceinture à côté des porte-chargeurs, de la lampe frontale, de ma para-corde de survie et des pinces multifonctions. Je me sens bizarre, très nerveuse, mal au ventre, mal au cœur. J'ai eu des simulations de missions, chez les Cerfs, mais comparé à la pratique, ce ne sont pas les mêmes sensations.
On me passe un pistolet Magnum et je le range dans son étui avec la cinquantaine de cartouches que j'ai mise dans mon porte-munition. La capacité du Magnum n'est que de trente-six munitions, mais comme il peut tirer en rafales, ça descend vite. J'en ai déjà fait les frais. Kaïcha et Laaja sont les seules qui n'ont pas le droit d'en prendre. Elles n'ont pas eu de formation pour les utiliser et sont réduites à des armes plus basiques. Je n'aime pas ça. Ça me fait encore plus penser à quel point elles sont vulnérables face à des gardes armés.
Nous décrochons un masque à gaz et un talkie-walkie dans l'étagère d'à côté et on nous fixe une oreillette et une autre dans une poche au cas où l'autre serait arraché ou perdue. La porte s'ouvre à nouveau et nous sortons tous un par un. Jason, le Coyote de la mission s'approche et me met un boîtier noir dans la main. Je baisse les yeux dessus.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Pour ta première mission, explique-t-il.
Kaya, la commandante Panthère hoche la tête en silence. J'ouvre le boîtier, méfiante. À l'intérieur, je découvre une seringue avec un liquide rouge sombre presque bordeaux. Je la soulève et le liquide prend une teinte plus claire à la lumière. Je fronce les sourcils. Kaïcha, Laaja et moi échangeons un regard. C'est du sang.
- Le sang des Àlfars est nocif pour les humains, explique Taaf en voyant notre perplexité. Une dose injectée dans les veines du bras ou directement dans leur trachée suffit pour les rendre malade comme des chiens. (Il montre un boîtier similaire accroché à sa ceinture.) On a tous les mêmes. Il suffit que tu arrives à approcher suffisamment de l'humain, et tu le mettras hors d'état de nuire sans avoir à perdre du temps à le tuer.
Je pense à l'homme que j'ai tué sur le champ de bataille, et mes tripes se nouent.
- Pratique, en effet, murmure Laaja.
Je l'accroche à ma ceinture.
- La prochaine fois, je ne serai pas là pour te passer mon sang, tu devras te débrouiller toute seule, m'avertit Yosh.
Je hoche la tête. Ca ne devrait pas me poser de problème, ces derniers jours il a tendance à sortir facilement de mon corps... La Panthère se détourne et je la suis du regard prendre la tête de l'escadron, la tête droite et le regard fixe. Il y a dans ses pupilles une certaine distance qui m'avait frappée au premier étage. C'est le genre de personne dont il vaut mieux être ami qu'être ennemi.
En marchant, je remarque des détails auxquels je n'avais accordé aucune importance en arrivant. La façon dont la lumière joue sur les murs, la couleur vive du plafond, des pas feutrés plusieurs étages plus haut. Un rire d'enfant. L'odeur de poussière et de chaleur dans l'air. La moiteur de l'air chaud. Un simple reflet de la lumière dans un verre d'eau. Du bruissement du linge qu'on défroisse. On débouche à l'extérieur, et les impressions sont encore plus intenses, comme si d'un coup mes sens se réveillaient d'une longue sieste. Je sens la vie, partout. Je perçois avec une netteté limpide les battements de mon cœur, l'air sur ma peau, celui qui circule dans ma gorge, le sang dans mes veines.
Comme si je les sentais pour la dernière fois.
La crampe à mon estomac s'intensifie. Nous arrivons sur la plateforme d'envol où une vingtaine de petits avions furtifs sont déjà en place. Les pilotes et co-pilotes Yacks tournent autour d'eux en effectuant les dernières vérifications et modifications. Il y a de la place pour trois personnes dans chacun. Kaya et Sander nous attribuent chacun un binôme et un avion. Laaja est avec Kaya, Kaïcha, avec Sander et moi, je suis avec Kan-Wu. Je les soupçonne de vouloir garder un œil sur nous.
Avant d'embarquer dans nos avions respectifs, on distribue à chaque membre de mon escouade une sarbacane et des fléchettes. Je les reconnais, ce sont des fléchettes spéciales, pas plus grandes que ma paume, elles se plantent dans le mur et retransmettent les paroles et les bruits de la pièce derrière. Elles nous serviront à savoir quelles salles sont des cellules de prisonniers.
Je me retourne une dernière fois. Les Lions et les Yacks se sont rassemblés sur le seuil du Pavillon. Une fille aux yeux verts et aux longs cheveux noirs, penchée à une fenêtre attire mon attention. Ce n'est pas une Lionne et ce n'est pas non plus une Yack. Il y a des semaines, je n'aurais pas été capable d'appréhender cela, pourtant, je sais que c'est une Blaireau.
Quand son regard croise le mien, je ressens une décharge électrique. Je n'y vois pas les mêmes émotions que les autres qui sont venus nous dire au revoir - de la peur et de la tension. Son regard est brûlant, antipathique. Elle se retourne et disparaît. Je fronce les sourcils, mais Kan-Wu m'appelle et je claque la portière de l'avion derrière moi. Le Renard se glisse dans le siège derrière.
- Nerveuse ?
Je hoche la tête. Mes mains tremblent. Je n'arrive pas à savoir si c'est de colère ou de peur. La torture... il n'y a que des humains pour faire ça. Il me jette un coup d'œil.
- Persuade-toi que la cible n'est pas Ash. Rentre-toi dans le crâne que c'est un inconnu. Tu ne dois pas être impliqué émotionnellement.
J'acquiesce tout en sachant que je n'y arriverais pas. Le but de ce sauvetage est trop présent. Je sens la panique monter en moi.
Ne panique pas.
Facile à dire. Mon cœur refuse obstinément d'obéir.
Je ferme les yeux. Je ne peux pas me le permettre. Je respire profondément et lentement. Le couvercle de notre bocal se referme, et les sons deviennent brouillés. Les avions s'avancent un à un sur la piste de décollage. Je respire à fond. C'est parti.
Notre avion, le numéro 5, tourne puis roule sur l'asphalte de plus en plus rapidement, prenant de la vitesse jusqu'à ce qu'avec un tremblement qui agite la machine, nous quittons la terre. Je n'ai jamais pris l'avion et je me force à ravaler ma nausée. Ce n'est pas le moment de me sentir mal. Je regarde droit devant moi pendant que l'avion s'élève et je répète dans ma tête les dernières instructions encore et encore pour être sûr de m'en souvenir.
Les souvenirs défilent dans ma tête. Je les arrête.
Je coince mes mains sous mes cuisses pour stopper les tremblements. Comme au Pavillon, j'essaye de graver dans ma tête la texture molle et douce du siège sous moi, la chaleur qui émane de ma peau, la température fraîche de l'air dans l'avion, son odeur de renfermé et de métal. Une autre odeur de métal, et d'encre, prend possession de moi.
Je grogne et secoue la tête. La voix de Kan-Wu grésille dans mon oreillette.
- Shari ? Quelque chose ne va pas ?
Aussitôt, celle de Kaya s'élève :
- Que se passe-t-il ?
J'avais oublié que mon oreillette communiquait avec tous les membres de mon escouade. Je réalise que si les autres se taisent, c'est uniquement pour entendre ma réponse. Je relève la tête et croise le reflet de la Panthère dans la vitre. J'y aperçois ma propre image, livide et transpirant.
Ils n'attendent qu'une faiblesse pour m'écarter. Je me compose un visage neutre.
- Tout va bien, je dis. Un coup de chaud.
- Tu es sûr ? Intervient Kaya.
Elle n'a pas gobé mon mensonge. Je me demande qui l'a gobé, d'ailleurs.
Je me force à me détendre, mais le regard de l'Àlfar sur mon dos me crispe. Je sais que ce n'est pas son intention, mais je me sens espionnée. J'effleure mes dagues. Je laisse leur froid et leur puissance m'apaiser. Elles me rassurent. Je me demande si j'aurais à les utiliser, et comment je m'y prendrais. Par-derrière ? Dans la gorge ? Les reins ? L'aine ? Cette question m'effraie, parce que je connais déjà la réponse. Je n'ai pas besoin de réfléchir pour cela. N'est-ce pas ce que j'ai fait, au Printemps ? C'est venu tout seul.
Nous survolons depuis déjà un bon moment une jungle épaisse traversée par un large fleuve marron quand notre pilote annonce :
- Nous atteindrons la zone d'atterrissage dans moins de deux minutes. Préparez-vous.
Mon estomac se tord. Je n'ai pas pour habitude de me jeter du ciel. A fortiori si c'est pour plonger dans un fleuve avec un courant aussi puissant que celui-là. Ma dernière expérience des cours d'eau ne m'a pas très bien réussi.
Je me redresse sur mon siège. Il me suffira juste d'appuyer sur un bouton. Juste ça. Ce n'est pas plus stressant que de rentrer dans l'Arène, après tout. Aucune raison d'être inquiète. J'essuie mes mains couvertes de sueur. Mon cœur s'emballe.
Je me force à me ressaisir. Ma main se dirige vers le bouton noir sur le côté de ma cabine. Je m'oblige à ne pas penser à la suite. J'enfile mon masque pour pouvoir respirer pendant la chute. Le pilote annonce calmement le décompte :
- 5... 4... 3... 2...1... 0.
Je ferme les yeux. Ma gorge est sèche. Je tremble.
Vas-y.
Vas-y !
Ma main presse le bouton.
La trappe s'ouvre brusquement et je tombe dans le vide. Pas le temps de hurler. Le choc me coupe brusquement le souffle. Je lutte pour que mes mains restent accrochées à mes chevilles pour que la pression dézippe la fermeture éclair. Mes ailes se déploient brusquement. Je remonte d'un coup. L'air est toujours glacial, mais il ne me gifle plus.
J'en ai eu la présentation brève, ces ailes sont constituées de plusieurs centaines de couches résistantes qui me permettent de planer, mais elles sont d'autant plus petites qu'elles sont facilement dérivables. Pour éviter que le vent influence sur ma direction, je dois influencer moi-même sur elles. Je dois me diriger, je sais théoriquement comment le faire. Un mouvement dans le ciel et je repère un parachutiste à un kilomètre de ma position, puis un, deux, trois, quatre autres.
- Duo numéro 5 en atterrissage. J'entends résonner dans mon oreillette.
- Duo numéro 3 aussi, répond un autre.
- Pareil pour le duo numéro 1.
- Bien, répond la voix de Kaya. On se retrouve au point de contrôle.
- Reçu.
- Reçu.
- Reçu.
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