Chapitre 27 :

Dès que je sors, on me fait savoir que je suis attendu quelque part. Des soldats s'offrent très gentiment de m'accompagner. Je ne sais pas où ils comptent m'emmener, mais je ne suis pas rempli d'espoir. Je ne crois pas en ce qu'a dit Kallol.

Je ne suis pas libre. Je ne le serais jamais ici. Quel serait l'intérêt pour eux ? Rien n'est jamais gratuit. Ils ont provoqué une attaque surprise contre les Alfars pour me kidnapper. Ce n'est pas pour me faire voir la beauté du monument ici. Ce qui veut dire qu'ils veulent quelque chose de moi en douce.

Je me renfrogne. Cela va être encore plus difficile que je le pensais. Je peux gérer une menace frontale. Une menace déguisée est vicieuse, imprévisible. Je vais devoir danser avec eux. Jouer a leur jeu pour pouvoir les y battre. Je n'ai plus le choix.

Je relève la tête et hausse les sourcils.

- Je ne connais pas ce bâtiment. Il sert en renfort aux missions de sauvetage de la population, c'est ça ?

Les soldats se regardent entre eux. Celui qui semble être le commandant plisse les yeux. Je fais un petit sourire nerveux.

- On m'a expliqué la situation. Je vais essayer de m'adapter le plus vite possible, mais je veux d'abord bien comprendre tout.

Le commandant me fixe, mais c'est assez réaliste pour qu'il se détende enfin.

- Il sert à différentes opérations. Grâce à sa largeur, il est souvent utilisé pour du sauvetage ou des missions de grande envergure.

Je hoche la tête et les compte rapidement. Trois devants et trois derrière. Deux autres sont en éclaireurs plusieurs mètres devant. Ils semblent parler dans le vide, sans doute ont-ils des oreillettes d'où ils reçoivent directement leurs ordres.

Les personnes qui s'écartent à notre passage dans le couloir semblent toutes familières à mes yeux. Je reconnais certaines Bourrasques ou Brises, qui écarquillent les yeux à ma vue. Ils ont dû donner refuge à tous les Atrimiens dans le même bâtiment pour ne pas séparer des proches. Si j'arrivais à rencontrer quelqu'un que je connais bien, il pourrait faire une diversion... soudain, une silhouette se détache des autres et je me fige.

- M. Jamal !

Je sens une urgence et une vivacité dans ses yeux qui ne me trompent pas. Il est en danger. Les soldats se resserrent autour de moi, semblant vouloir m'ôter l'air de la bouche.

- Continuez à avancer, m'ordonne leur supérieur.

- Shari, lance M. Jamal.

Je me tourne vers le commandant.

- S'il vous plaît. J'ai besoin de parler à cet homme. Cela ne prendra pas plus de dix minutes.

Il s'apprête à me forcer à avancer, mais s'immobilise d'un coup, le regard fixé sur moi, mais les oreilles dans un autre endroit. Il hoche la tête, comme s'il s'adressait à quelqu'un d'invisible.

- Dix minutes. Pas un millième de seconde de plus.

Il fait un mouvement de menton en direction des soldats sur mes flancs.

- Escortez-la dans la salle la plus proche. Tout ce qui sera dit devra être entendu également par mes subordonnés, il assomme.

Je ravale ma colère, mais le supérieur qui lui souffle les réponses dans son oreillette peut décider à tout moment de changer d'avis, alors je m'exécute et suis les soldats. Ils ouvrent une porte et fouillent la salle à la recherche du moindre piège ou moyen de m'échapper avant de me faire entrer. M. Jamal est escorté derrière moi avec la même gentillesse. Dix soldats sont à l'intérieur, les autres se sont déployés devant et derrière la pièce au cas où il me viendrait l'idée saugrenue d'échapper à mes hôtes.

Je fais fi de la proximité des soldats et me tourne vers mon ancien mentor. Ses yeux ne me quittent pas du regard.

- Tu as changé, il murmure. Je peux le voir. Ils t'ont trouvé, n'est-ce pas ? Tu sembles plus sûr, plus droite sur tes jambes.

Mes yeux se plissent, puis j'ouvre grand les yeux.

- Tu les connais ! Comment se fait-il que tu les connaisses ?

Comment ça peut se faire ? Braçalia était isolé du monde ! Il connaît mes ancêtres, il connaît mon peuple ! Ses lèvres esquissent un sourire, légèrement âpre. Il ne peut pas tout dire, car des oreilles écoutent et la moindre information en révélant trop le mettra lui aussi en danger.

- J'ai beaucoup vécu... j'ai eu des périodes difficiles, comme tout ado. Je me suis même fait tatoué sur l'omoplate un jour, il me confie sur le ton de l'anecdote. Un « P ». Je l'ai toujours, d'ailleurs.

Je prends une respiration brusque, mais essaye de masquer mes émotions aux observateurs autour. Il est tatoué sur l'omoplate. Un « P », le symbole des Pupilles. C'est une Pupille ! Comment n'ai-je jamais vu son tatouage ? L'a-t-il recouvert, d'une manière ou d'une autre ?

- Ex, corrige-t-il, comme s'il m'entendait penser. Mais nous n'avons pas le temps de parler de moi. Tu cherches tes origines, je le sens. Bien qu'à ton regard, je devine que tu sais déjà ce qui est advenu à tes ancêtres... (Son regard devient chargé.) oh, Shari, j'aurais tellement aimé être là pour toi. J'aurais voulu tout te dire moi-même, mais j'aurais dû tout t'expliquer et je voulais te tenir à distance de ce monde... (il jette un regard aux soldats)... du danger.

- C'est faux, je grogne. Tu le savais, qu'ils allaient me retrouver ! Mais tu m'as laissé dans le trouble sur mon identité. Tu savais tout, mais tu ne m'as rien dit. Tu aurais pu m'en parler avant que tu ne m'envoies au casse-pipe, dans les montagnes !

Il serre les dents.

- Ne dis pas ça ! Si je t'ai envoyé là-bas, c'est que j'avais confiance en toi. Je savais que tu allais réussir. J'aurais envoyé n'importe qui d'autres traverser les montagnes, nous serions tous morts à l'heure qu'il est. Je t'ai envoyé parce que tu es la meilleure dans ton domaine.

- Arrête avec tes flatteries ! Je gronde. Tu avais besoin de moi, tout simplement. Si je suis si forte que cela, pourquoi ne pas m'y avoir envoyé seule ? Tu mens depuis le début et tu continues encore maintenant !

- Je ne fais pas dans les flatteries, Shari. J'ai envoyé Kaïcha et Laaja avec toi, car à trois, vous êtes bien plus fortes. C'est la puissance de l'amitié. Je suis sûr que tu mentirais si tu me disais que cette amitié ne vous a pas sauvé plusieurs fois durant la traversée.

Je me renfrogne. Il croit que je vais lui jeter des fleurs, peut-être ?

- Et Ash alors ?

Son visage se ferme.

- J'ai dû faire un choix. J'aurais pu le laisser avec nous, mais je savais que ses capacités seraient d'une aide vitale dans les montagnes. Je voulais que vous arriviez tous en vie de l'autre côté, je n'avais pas prévu que vous vous haïraient comme cela d'un jour à l'autre...

Je me tends et fronce les sourcils, ulcérée par toutes ses stratégies, ses plans, ses manigances. Pourquoi ne nous l'a-t-il pas dit, tout simplement ? Pourquoi s'est-il entêté à nous cacher des choses ?

- Tu étais au courant des talents d'Ash autant que des miennes. Tu aurais dû nous dire ce qui nous attendait de l'autre côté !

Il soupire.

- Je n'avais pas le temps, le temps pressait ! Je n'étais même pas sûr de ce qui allait se passer. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils vous tombent dessus aussitôt les montagnes passées. Ils semblent avoir redoublé de vigilance depuis que je suis parti...

Je plisse les yeux et place les mots avec précautions pour nos chers voyeurs.

- Tu es parti ? Ce ne sont pas eux qui t'ont exilé ?

Je nage dans une eau trouble. Incapable de voir à moins de deux mètres. Mon cœur bat à tout rompre, comme s'il savait quelque chose que je ne connaissais pas. Malgré mon aversion envers lui, je suis incapable de ne pas rester accroché à ses lèvres. Eenas prend une profonde inspiration. Ses yeux sont fixés à des années de là quand il chuchote :

- Je suis parti parce que j'ai fait une promesse à un proche.

- Dix minutes ! Séparez-vous.

Je me penche brusquement en avant, le souffle court.

- Quelle promesse ? Je souffle. Quelle promesse ?

Ses yeux se posent sur moi avec une souffrance incroyable. Je recule avec choc. Des soldats lui saisissent les bras. Je m'accroche à lui.

- Quelle promesse ?! Je hurle.

- Hazel ! Il lance. C'est le prénom de ta mère.

Je vacille, seule, debout au milieu de cette pièce empestant l'armée alors que les soldats l'emmènent dehors. Était-il Pupille chez les Guépards ? Faisait-il partie de mon Clan ? Au même moment, un bruit de métal qui se fracasse explose dans le couloir. Des cris explosent de partout, des ordres fusent. Les soldats se resserrent autour de moi alors que je me précipite dans le couloir. Je m'immobilise. Une lance est plantée dans le cœur d'un soldat à terre. Les Cerfs !

Deux soldats me plaquent contre un mur et la moitié couvre ma sortie pendant que l'autre se colle contre les coins et réplique ou mettent en sécurité les réfugiés dans des pièces protégés. On me fait courir dans les couloirs et j'essaye de mémoriser le trajet, jusqu'au moment où des lances tirées d'une grille d'aération percutent les trois soldats derrière moi. Je m'engouffre aussitôt dans la brèche qu'ils ont créée, tourne à droite, échappe aux gardes et accélère pour distancer ceux qui se mettent à ma poursuite.

Je fais le chemin en sens inverse que j'ai mémorisé à l'aller, mais au lieu de sortir par l'entrée principale, je m'engouffre dans les toilettes, verrouille la porte et saute par la fenêtre. J'atterris souplement accroupis, mais des gardes débarquent aussitôt à l'extérieur. Je tombe au sol et rampe en direction de l'hélicoptère qui tournoie dans le ciel. Au même moment, six ombres surgissent autour de moi. Je me retourne brusquement et dégaine mes dagues, mais un Cerf m'arrête d'un mouvement.

L'éclair de soulagement qui me traverse la poitrine est indescriptible. Les Cerfs me font signe de les suivre rapidement et on se rapproche de l'hélicoptère, mais à sa hauteur, il prend le risque d'être visé par les armes des soldats, il ne pourra pas rester longtemps. L'échelle se déploie jusqu'au sol et nous nous relevons et tapons un sprint avant que les gardes ne courent jusqu'à l'hélicoptère. La machine fait demi-tour en plein vol et je m'accroche à l'échelle en montant les barreaux, protégés par les cerfs au-dessus et en-dessous de moi.

Je m'engouffre dans son ventre à bout de souffle et enfile aussitôt mon casque, sous les balles qui ricochent contre l'armature du véhicule. Eh bien ! Je commençais à croire que le traceur GPS du Hamu Chamois ne marchait pas ! Aussitôt à l'intérieur, les Chamois m'allongent sur une civière et s'empressent de prendre des mesures sur mon corps tout en me posant des tonnes de questions. J'aperçois un Coyote qui s'approche. Je plisse les yeux.

- Sahan ?

Le Coyote qui était à mon réveil lors de l'attaque au Printemps s'approche d'un air grave.

- Rassuré de voir qu'ils n'ont pas eu le temps de te blesser. Je suis désolée de ne pas te laisser de répit, mais j'ai une mauvaise nouvelle. (Il se racle la gorge et lance de but en blanc :) Ash a été enlevé.

Je me redresse brusquement.

- Quoi ?!

Des mains m'allongent aussitôt à nouveau sur la table de soin. Je les arrache de moi brusquement.

- Qu'est-ce qu'A...

- Deux humaines sont accrochées en bas de l'échelle ! Me coupe brusquement le pilote dans nos casques. Elles n'ont aucune protection, il faut les récupérer !

Je bondis sur mes pieds et rouvre brusquement la porte. Mon cœur s'arrête de battre. Secouées dans les airs comme des poupées, Laaja et Kaïcha gravissent l'échelle l'une derrière l'autre. À des kilomètres du sol.

- Qu'est-ce que vous foutez ? Je hurle.

Je descends un pied quand un Cerf et Sahan me rattrapent par les épaules et ma taille pour me retenir. Des soldats viennent en renfort pour m'immobiliser. Je me débats.

- Lâchez-moi ! Je rugis. Lâchez-moi !

- Tu es folle ?! Halète Sahan. Tu vas pas descendre sans protection !

- Envoyez-leur des protections !

Quatre Agents Cerfs descendent et leur assurent une parade jusqu'en haut sous la force du vent et de la vitesse. Je les soulève avec empressement dans l'hélicoptère alors que je devrais leur refermer la porte au nez.

J'attends qu'elles soient en sécurité à l'arrière pour leur hurler dessus en enlevant mon casque au préalable pour ne pas faire exploser le micro à l'intérieur. Elles m'écoutent en silence jusqu'à ce que je sois forcé de m'arrêter pour reprendre mon souffle. Je les fusille du regard. Mon cœur ne veut pas s'arrêter de galoper. Je lève brusquement les bras en l'air.

- Et à cause de vous, je perds du temps !

Je passe une main tremblante dans mes cheveux, me tourne brusquement vers Sahan et le presse :

- Explique-moi tout. Qui a enlevé Ash ? Quand ?

Il s'exécute, alors que le silence se fait parmi tous les Agents dans l'hélicoptère.

- Ash a été capturé lors d'une mission d'entraînement par des agents de forces spéciales, probablement de la DGDSE, le service secret de renseignement du Niger. Des traceurs dans la ceinture de sa tenue de combat ont permis de suivre son enlèvement jusqu'en Centrafrique et il y a cinq heures, le signal s'est stabilisé dans un complexe fortifié au Sud du pays. Depuis, plus rien, mais il est probable qu'ils se soient débarrassés de tout vêtement pouvant contenir ce type de traceur.

À partir de là, j'essaye de bloquer les images qui arrivent dans mon cerveau. Malgré tout, mes ongles s'enfoncent dans le cuir avec tant de force que je le transperce. Je me détourne brusquement et lâche un chapelet de juron.

- Personne n'a encore été envoyé ? Qu'est-ce que le Hamu Lion fait ? Qu'est-ce qu'on doit faire ? C'est vous qui êtes entraînés pour réagir à cela, merde !

L'Agent Cerf qui semble diriger les opérations croise les bras.

- Shari, s'énerver est la pire chose à faire dans cette situation. Nous sommes en train de voler le plus rapidement possible vers le Pavillon des Lions et des Yacks, où une réunion d'urgence est en cours. Ces missions se déroulent dans le cœur même de la base ennemi est sont hautement mortelles. Il faut que tout soit planifié avec exactitude pour que le sauvetage puisse réussir.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? Je m'exclame. On va rien faire en attendant ?

Sahan me regarde sans me toucher.

- Depuis cinq heures, les stratèges et responsables logistiques Lions et Yacks travaillent sur la mise à exécution d'un plan de sauvetage. Le nombre de paramètres a prendre en compte est énorme et nous avons très peu d'informations. Il y a beaucoup d'inconnus.

Je secoue la tête.

- Plus le temps passe et plus Ash se fait... se fait...

Le visage de l'Agent Cerf ne cille pas.

- Assieds-toi et laisse-toi examiner par l'équipe médicale. Tu sors de territoire ennemi, nous devons nous assurer qu'on ne t'as pas injecté de traceur, micro ou caméra avant toute discussion.

Je me retourne vers Kaïcha et Laaja, qui arborent une mine aussi sombre que le reste de l'équipage.


...

Le bruit de notre course résonne sur le sol du Pavillon Lion. Kaïcha et Laaja dérapent derrière moi dans le changement de direction et les Lions se plaquent contre les murs pour nous éviter. Je m'élance et abaisse la poignée de la porte de réunion.

"Swissssh."

Je me baisse brusquement. Tchac. Un poignard s'est planté dans la porte juste au-dessus de ma tête. Je relève lentement la tête.

- On est attendu, ironise la voix de Laaja, derrière moi.

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